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Cohabitation interculturelle sur la Côte-Nord

Les résultats d’une recherche partenariale sur les relations entre Innus, Naskapis et allochtones sont présentés sous forme de courts métrages.

Par Pierre-Etienne Caza

13 février 2023 à 9 h 01

Mis à jour le 17 février 2023 à 11 h 09

Réalisé dans le cadre d’un projet mené par la professeure du Département de géographie Laurie Guimond et ses partenaires, le court métrage Mamuku Meshkanat Ensemble sur le chemin a été présenté en clôture du Festival du film de Sept-Îles Ciné Sept, le 12 février dernier. «Le film témoigne de la cohabitation quotidienne sur le territoire et dans les communautés allochtones et innues de Natashquan et de Nutashkuan», précise la professeure, qui mène des recherches en Minganie de l’Est et en Basse-Côte-Nord depuis une vingtaine d’années.

C’est une citoyenne engagée de Natashquan, Nathalie Lapierre, qui a eu l’idée de départ de ce projet de recherche amorcé en 2018, révèle Laurie Guimond. «Impliquée auprès de la communauté innue de Nutashkuan, Nathalie déplorait que l’on ne parle pas suffisamment des aspects positifs de la cohabitation entre les deux communautés, particulièrement sur le Nitassinan, le territoire ancestral des Innus, dans l’arrière-pays», raconte la professeure. Une équipe s’est rapidement constituée avec des partenaires innues de Nutashkuan, Yvonne Mesténapéo et Vicky Bellefleur, et Caroline Einish de la nation naskapie de Kawawachikamach. Plusieurs autres collaboratrices et collaborateurs s’y sont greffés subséquemment.

Le projet visait à documenter cette cohabitation et à mettre en lumière les facteurs de rapprochement et de tension entre les différentes communautés sur trois territoires: Natashquan et Nutashkuan; Schefferville, Kawawachikamach et Matimekush-Lac John;  et La Romaine et Unamen Shipu. «Il a été convenu de présenter les résultats de recherche sous forme de courts métrages, pour chacun des terrains à l’étude», précise Laurie Guimond.

Jusqu’à maintenant, des étudiantes en géographie ont participé à la collecte, au traitement et à l’analyse des données, ainsi qu’à la rédaction d’un article et d’un rapport de recherche, souligne la chercheuse. «Nous avons également initié de jeunes innues à la recherche de terrain et elles ont appuyé l’équipe de production des films.» Le réalisateur des trois courts métrages est Benoit Desjardins, de Productions Perceptions 3i.

Nutashkuan et Natashquan

Le premier des trois films porte sur l’occupation du territoire ancestral autour du Chemin du 5e, un ancien chemin forestier que les résidentes et résidents de Nutashkuan et de Natashquan utilisent pour pratiquer des activités de chasse, de pêche et de cueillette, pour le plein air et pour se ressourcer en forêt, explique Laurie Guimond.

Même si le court-métrage a été projeté devant le grand public au Festival du film de Sept-Îles, son avant-première a eu lieu l’automne dernier. «Puisqu’il s’agit d’une recherche partenariale misant sur la co-construction des connaissances, il était essentiel de dévoiler le film aux communautés impliquées en premier lieu, souligne Laurie Guimond. Nous avons donc organisé une projection en plein air dans le Chemin du 5e, à laquelle environ 80 personnes ont participé après une corvée de nettoyage du chemin ayant regroupé une trentaine de bénévoles des deux communautés. La projection a suscité beaucoup d’émotions et il y avait un sentiment de fierté palpable au sein de l’auditoire.»

Projection en plein air du court métrage, organisée dans le Chemin du 5e pour les résidentes et résidents de Nutashkuan et de Natashquan. Photo: Laurie Guimond

Laurie Guimond est souvent accompagnée d’étudiantes et d’étudiants qu’elle initie à la recherche nordique, notamment dans le cadre du cours Géographies des relations interethniques. «En plus des étudiantes qui ont contribué à la collecte de données et à l’analyse des résultats, les quatre personnes étudiantes de la dernière édition de ce cours ont participé aux activités de mobilisation des connaissances en lien avec la recherche à Natashquan et à Natushkuan, précise-t-elle. Elles ont pu se familiariser aux enjeux de la cohabitation interculturelle en rencontrant les gens sur le terrain et en donnant un coup de main à l’équipe pour monter la tente innue et préparer le goûter en vue de la projection en plein air.»

Schefferville, Kawawachikamach et Matimekush-Lac John

Sur le point d’être complété, le deuxième film porte sur l’écocentre Tricomm, mis sur pied par des Naskapis de Kawawachikamach, des allochtones de Schefferville et des Innus de Matimekush-Lac John pour une meilleure gestion des matières résiduelles et des déchets sur le territoire, souligne Laurie Guimond.

«Les membres des trois communautés peuvent désormais se rendre à l’écocentre pour y déposer leurs résidus domestiques dangereux (pneus, batteries, solvants et peintures), leurs électroménagers, leurs bois et métaux et leur matériel électronique obsolète», précise la professeure.

Le train de passagers et de marchandises de Transport Ferroviaire Tshiuetin, en gare à Schefferville. Photo: Laurie Guimond

Il n’y a pas de route menant à Schefferville, rappelle Laurie Guimond. Les matières recueillies à l’écocentre sont envoyées par train dans le sud du Québec. Ce train est opéré par la compagnie Transport Ferroviaire Tshiuetin (vent du Nord en langue innue). «Les propriétaires tripartites sont Innu Takuaikan Uashat mak Mani Utenam, la Nation Naskapie de Kawawachikamach et la Nation Innue de Matimekush Lac-John, un autre exemple de la nécessaire collaboration interculturelle dans le Nord», souligne-t-elle.

La Romaine et Unamen Shipu

Le troisième film porte sur la collaboration interculturelle autour du dossier épineux des pêcheries à La Romaine et à Unamen Shipu. «Le Conseil de la Nation innue d’Unamen Shipu possède des permis de pêche communautaire et commerciale au homard, au crabe des neiges et au pétoncle d’Islande, et cela a créé de vives tensions avec les anciens pêcheurs de La Romaine, dont les quotas avaient été rachetés par le gouvernement, explique Laurie Guimond. Le Conseil a embauché des pêcheurs de La Romaine pour enseigner leur savoir-faire aux jeunes pêcheurs innus, ce qui a amélioré les relations dans ce secteur d’activité.»

Pêcheurs de homards d’Unamen Shipu dans le golfe du Saint-Laurent. Photo: Benoit Desjardins

Au cours des prochaines années, les dynamiques relationnelles entre allochtones et Premières Nations se modifieront dans l’ensemble du territoire de la Minganie et de la Basse-Côte-Nord en raison, notamment, de l’évolution démographique, observe la professeure. «Le poids démographique des allochtones diminue, tandis que celui des Innus augmente. Par exemple, La Romaine compte moins de 90 résidents permanents, alors qu’Unamen Shipu en compte plus de 1000.»

Des tensions toujours présentes

Si les trois courts métrages valorisent les bons coups de la cohabitation, Laurie Guimond et ses partenaires ne portent pas des lunettes roses pour autant. «Il y a des tensions, des conflits, du racisme et de la discrimination, reconnaît la chercheuse. Il y en a toujours eu et il y en aura malheureusement encore. Le projet en tient compte et nous avons aussi cherché à mieux comprendre ce qui éloigne les nations et nourrit les rapports de pouvoir, même si l’objectif était de faire valoir ce qui peut rapprocher les communautés, dont l’appartenance commune au territoire.»

La récolte de données a été fructueuse et les analyses se poursuivront au cours des prochains mois, assure la professeure. Avis aux étudiantes et étudiants intéressés par le sujet!