«Apple, McDonald’s, Disney, Chanel, Nike et Starbucks», identifient facilement les étudiantes et étudiants à la vue des logos des six entreprises. «Quand le travail d’image de marque est réalisé avec cohérence pendant de nombreuses années, cela s’imprègne dans notre cerveau. L’idéal, pour une destination touristique, serait de générer le même réflexe, mais peu d’entre elles ont les ressources financières de ces grandes multinationales», observe Paul Arseneault.
Le professeur du Département de marketing de l’ESG UQAM nous accueille dans le cours Marketing des destinations touristiques en cette matinée ensoleillée de la fin octobre – le local où se déroule le cours, au premier étage du pavillon R, est baigné de lumière naturelle entrant par les grandes fenêtres. Une quinzaine d’étudiantes et d’étudiants, inscrits à la maîtrise ou au DESS en développement du tourisme, assistent à la séance.
À la fin du trimestre, les quatre équipes formées dans le cours devront remettre un plan marketing complet pour une destination touristique de leur choix. Elles ont choisi Calgary, Vancouver, Bordeaux (France) et le Queensland (Australie).
«Le marketing des destinations touristiques s’inspire du marketing des produits et des services, mais ce n’est pas la même chose, poursuit le professeur. Comment établit-on une marque pour une destination et pourquoi le fait-on? Ce sont les questions auxquelles nous tenterons de répondre aujourd’hui.»
Une identité concurrentielle
La marque est une identité qui caractérise la destination et la différencie de toutes les autres, explique Paul Arseneault. «C’est l’élément de base fondamental dont devraient découler toutes les opérations et toutes les communications marketing», précise-t-il.
Les organisations qui s’occupent du marketing des destinations touristiques font constamment l’erreur de déterminer leur marque sans procéder au préalable à une analyse essentielle de ce qu’elles sont, souligne le spécialiste. «C’est toujours la catastrophe lorsqu’on brûle les étapes menant à la création d’une marque», dit-il en illustrant son propos, photo à l’appui, avec la ville d’Amqui, dont le slogan est «Là où l’on s’amuse». «Amqui vient-elle spontanément en tête lorsqu’on pense aux meilleures destinations québécoises pour s’amuser? Bien sûr que non! C’est un exemple de très mauvais slogan.»
«Pour créer une marque forte, il faut faire naître dans la tête du consommateur potentiel une image représentant la destination touristique.»
Paul Arseneault
Professeur au Département de marketing
Le ministère du Tourisme du Québec a fait le même genre d’erreur à la fin des années 1990, raconte Paul Arseneault. Une campagne mettait en scène des personnes au visage verdâtre afin de suggérer leur épuisement. La question “Besoin de vacances?” apparaissait à l’écran à la fin de la publicité. «D’abord, le besoin de vacances n’est pas propre au Québec et dépenser de l’argent pour dire aux gens qu’ils ont besoin de vacances est un peu inutile», analyse-t-il.
À l’époque, l’équipe de tourisme du Nouveau-Brunswick avait opté pour des publicités vantant ses plages d’eau chaude, poursuit le professeur. «Leur génie a été d’acheter tous les créneaux publicitaires suivant la publicité du Québec. Pendant des semaines, le Québec demandait “Besoin de vacances?” et le Nouveau-Brunswick répondait: “Venez chez nous!”»
Faire naître une image forte
Les éléments constitutifs d’une marque peuvent inclure (ou pas) un nom, un logo, un slogan, des éléments de graphisme, des couleurs ou même des sons. «Ce sont des outils utilisés pour commercialiser la marque, mais attention, la marque ne peut pas être uniquement un logo ou un slogan», précise-t-il.
Un bleuet apparaît à l’écran. «De quelle région québécoise s’agit-il?», demande Paul Arseneault. «Le Saguenay–Lac-Saint-Jean», répond la classe. «Peu de régions dans le monde peuvent se définir aussi facilement. On pense bien sûr à la tour Eiffel pour Paris et à quelques autres endroits, mais il n’y en a pas tant.» «L’Empire State Building pour New York?», suggère une étudiante. «Pas certain que tout le monde reconnaissance immédiatement ce bâtiment», commente le professeur.

«Pour créer une marque forte, il faut faire naître dans la tête du consommateur potentiel une image représentant la destination touristique. Il faut que cette image puisse vivre dans l’imaginaire des consommateurs, pas uniquement dans la tête des spécialistes en marketing ou des décideurs locaux», prévient Paul Arseneault.
Jeune consultant, il raconte avoir travaillé pour une MRC qui souhaitait se faire connaître davantage. «Sans effectuer le travail diagnostique préalable, ils ont choisi de miser sur le concept de “racines” et de présenter la région comme on en parlait en 1800: la Petite-Nation. Après deux ans sans impact, ils ont décidé de modifier leur branding pour “Papineauville”. Ce n’était guère mieux. En réalité, il s’agissait de la région de Montebello. Pourquoi ne pas avoir utilisé le Château Montebello? Ils ne voulaient pas faire de publicité à une entreprise privée… une occasion ratée, car le Château Montebello fait partie des icônes de la région.»
La marque doit reposer sur quelque chose qui existe réellement, soit physiquement, soit historiquement, et qui sera minimalement compris par le public auquel on s’adresse, explique Paul Arseneault. «Il ne faut pas se définir comme destination touristique par rapport à ce que l’on pense que l’on est, ni comment on voudrait que les autres nous perçoivent, mais plutôt sur ce qui nous différencie des autres et qui est observable», précise-t-il.
Il n’y a pas forcément de bleuets partout au Saguenay–Lac-Saint-Jean, ce n’est pas tout le monde qui en mange et il n’y a pas que ça, évidemment, mais c’est une image connue qui génère une association automatique. «La marque ne peut pas être sortie de nulle part dans une réunion de brainstorming», insiste le professeur.
«Il ne faut pas se définir comme destination touristique par rapport à ce que l’on pense que l’on est, ni comment on voudrait que les autres nous perçoivent, mais plutôt sur ce qui nous différencie des autres et qui est observable.»
La marque doit guider l’ensemble de la stratégie en reflétant des valeurs centrales que l’on peut faire jouer ensemble ou chacune à leur tour en fonction des segments de marché. «Est-ce qu’une destination peut se présenter de façon différente pour les touristes de son pays et pour les touristes à l’international?», demande un étudiant en citant l’exemple du Queensland, en Australie. «Le positionnement interne mise sur la ville de Brisbane, qui n’est pas Sydney ni Melbourne, tandis que son positionnement à l’international repose sur la Grande Barrière de corail», précise-t-il. «C’est possible tant que l’on évite que ce qui est présenté à l’international soit en contradiction avec ce qui est présenté à l’intérieur, répond le professeur. Dans le cas du Queensland, il s’agit effectivement de deux déclinaisons différentes d’une même image de marque cohérente: la ville cool avec une plage donnant sur la Grande Barrière de corail.»
Un autre bon exemple de marque est «Bonjour Québec» adopté par le gouvernement du Québec dans ses communications touristiques, illustre Paul Arseneault. «Le mot bonjour, en français, est connu dans toutes les langues, et il met l’emphase sur l’accueil chaleureux qui caractérise le Québec à l’international.»
Auparavant, fait-il remarquer, le positionnement était «Québec original». «L’adjectif “original” n’est pas le premier à venir en tête pour décrire les Québecoises et Québécois et puis qu’est-ce que ça veut dire?, s’interroge-t-il. “Bonjour Québec” est bien meilleur!»
Extraire l’essence de la marque
Pour leur travail final, les équipes devront extraire l’essence de la marque de leur destination. Il leur faudra pour cela trouver les réponses aux questions suivantes: qu’est-ce qui est aimé en premier lieu dans la destination? de quelle sorte de lieu s’agit-il? quel est mon sentiment à son égard? comment pourrais-je le décrire en une seule phrase? qu’est-ce qui rend cette destination différente de toutes les autres?
«Quelle sorte de lieu est Montréal par exemple?», demande Paul Arseneault. «Il y a toujours quelque chose à faire peu importe le jour de la semaine», souligne une étudiante française. «Très intéressant et très juste, observe le professeur. Montréal, en effet, a toujours joué la carte de la sin city, la ville de tous les vices, une espèce de Las Vegas du Nord. On utilise ce positionnement avec finesse et différemment selon les marchés depuis longtemps.»
Il importe, par-dessus tout, d’impliquer l’ensemble de la communauté et des parties prenantes d’un lieu dans le processus pour définir son identité concurrentielle, insiste Paul Arseneault. «Autrement les gens risquent de ne pas s’y reconnaître et/ou de ne pas y adhérer», précise-t-il.
De bons et de mauvais exemples
Si l’image de marque est adéquate, la destination est reconnaissable facilement, poursuit Paul Arseneault. À l’écran, on aperçoit une espèce de cœur avec un A à l’intérieur. «Quelle destination avons-nous?», demande-t-il. «C’est l’Alsace!», répond une étudiante française. «Qu’est-ce qu’on retrouve dans ce logo?», renchérit le professeur. «Un bretzel, le A de Alsace et le rouge de la tradition alsacienne», analyse-t-elle. «Oui, et on voit aussi le cœur et la coiffe. C’est l’un des meilleurs exemples de logo signature bien réussi.»
L’exemple de la campagne promotionnelle de Vienne, en Autriche, qui mise sur l’importance d’apprécier la ville dans le moment présent, avec son slogan «Enjoy Vienna Not #Vienna», frappe également dans le mille, estime Paul Arseneault.
«C’est toujours la catastrophe lorsqu’on brûle les étapes menant à la création d’une marque.»
Ce n’est pas le cas pour la région des Vosges, en France, qui a choisi le slogan «Je vois la vie en Vosges» et dont la vidéo insipide pourrait être celle de n’importe quelle région campagnarde dans n’importe quel pays. «C’est l’exemple d’un trip intellectuel fait en vase clos, analyse-t-il. Les responsables de cette campagne ont défini leur marque comme étant mue par “des valeurs vitaminées, virtuoses, authentiques, volontaires, généreuses et visionnaires”… C’est n’importe quoi!»
La campagne d’image de marque de Laval lancée en 2019 (et abandonnée par la suite) goûte également à la critique du spécialiste. La ville s’y présente comme «vibrant constamment», offrant de «l’inattendu en continu». «C’est un détournement de sens et de promesses. Laval est l’une des meilleures villes au Québec pour le tourisme d’affaires et elle est reconnue pour son centre commercial, mais ce n’est pas une ville effervescente comme Montréal!»
Un exercice qui suscite des débats
Après avoir expliqué au groupe l’un des outils utilisés pour construire une marque – la pyramide de la marque qui comporte six étapes, parmi lesquelles l’identification des attributs rationnels de la marque, de ses avantages émotionnels, de sa personnalité et de ses valeurs –, Paul Arseneault demande aux équipes de se regrouper afin de l’appliquer à leur destination. L’exercice semble ardu. «Ce fut difficile, nous avons eu des débats», confirme un étudiant lors du retour en groupe. «C’est très bien ainsi, répond Paul Arseneault. Il est normal de débattre, de se questionner, d’analyser les propositions des uns et des autres pour en arriver à bien définir la marque de votre destination.»