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L’amour vu autrement

Le recueil 15 brefs essais sur l’amour propose des réflexions qui sortent des sentiers battus.

Par Pierre-Etienne Caza

14 février 2023 à 6 h 53

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Une enquête révélait récemment que l’exclusivité romantique représente l’idéal à atteindre pour une grande majorité de Canadiens et Canadiennes en relation intime. Avec 15 brefs essais sur l’amour: petits et grands chantiers de reconstruction (Somme toute), qui paraît ces jours-ci, la diplômée Marilyse Hamelin (B.A. communication / journalisme, 2006) offre d’autres perspectives. «Comment remettre en question la suprématie de l’amour romantique dans la culture populaire?», a demandé l’écrivaine à la ronde, question de brasser un peu la cage.

«J’ai beaucoup investi dans l’amour romantique et j’avais le goût d’explorer autre chose», confie Marilyse Hamelin, qui a déjà réuni 11 brefs essais sur la beauté: pour échapper à la tyrannie des idées reçues (Somme toute), paru en octobre 2021. Elle n’était assurément pas seule, car celles (et celui) qui ont répondu à son appel ont relevé avec brio le défi de traiter l’amour autrement. On ne parle pas uniquement d’éviter les clichés, mais plutôt de faire table rase pour redéfinir les manières de ressentir, de percevoir et d’exprimer l’amour. D’où les «chantiers de reconstruction» du sous-titre.

Il était incontournable, en premier lieu, de publier un texte comme «Le refus total des amours toxiques», un manifeste coup de poing signé par la comédienne Mylène Mackay. La voie était libre ensuite pour l’exploration.

«Le texte de Raphaëlle Corbeil sur le déséquilibre amoureux m’a éclairée à plusieurs égards, notamment sur le fait qu’on apprend aux jeunes garçons à se désintéresser de l’amour, souligne Marilyse Hamelin. Comment peut-on souhaiter que ces garçons construisent des relations épanouissantes une fois devenus adultes? Je n’ai jamais lu une explication aussi claire de cette injonction à la virilité.»

La chargée de cours du Département d’études littéraires Carmélie Jacob (Ph.D. sémiologie, 2021) signe un texte intitulé «Nos autres», lequel porte sur l’impossibilité de rencontrer une personne qui satisfasse l’entièreté de nos besoins. «Qu’est-ce qui nous amène à avoir autant d’attentes et à mettre autant de pression sur une seule personne?, se demande-t-elle. Ces attentes, mais aussi notre amour et notre temps ne pourraient-ils pas être répartis entre plusieurs des personnes importantes dans nos vies plutôt que concentrées sur une seule?»

Dans «Des coming out en confinement», la diplômée Maude Nepveu-Villeneuve (M.A. études littéraires, 2013) utilise sa tribune pour faire son propre coming out, révélant ainsi toute une zone d’ombre de la pandémie. «Les confinements ont forcé plein de gens à l’introspection et de nombreuses personnes se sont réorientées professionnellement… mais aussi sexuellement! Ce type de remise en question m’avait complètement échappé, observe Marilyse Hamelin. Dans son texte, Maude invite à cesser de s’en remettre à une hétéronormativité par défaut. C’est magnifique!»

Le texte de Laura Doyle Péan sur le phénomène du «rapetissement» des femmes a grandement émue l’instigatrice du recueil, surtout ce passage: «Je me plais toujours à citer cette leçon donnée à sa fille par la mère d’Angela Davis, à propos de la ségrégation raciale en Alabama dans les années 60: ”Ce n’est pas comme ça que les choses sont censées être… (et) elles ne seront pas toujours comme ça.” Si on donnait cet enseignement aux jeunes assigné·es filles plutôt que de leur apprendre à se faire douces et obéissantes, peut-être qu’iels grandiraient en connaissant leur valeur et en ne se sacrifiant pas pour l’amour des autres.»

Au-delà de l’amour entre les personnes, le collectif touche également à l’amour pour les animaux avec un texte de Julien Gravelle intitulé «Les bêtes». «On est gêné d’aimer autant nos animaux, mais on ne devrait pas, affirme Marilyse Hamelin. Je suis encore en deuil de mon chien même si ça fait cinq ans qu’il est mort. J’étais tellement contente que Julien nomme cet amour.»

D’autres ont souhaité traiter de l’amour pour les enseignantes et enseignants («L’œil du prof» de Véronique Alarie) ou de l’amour d’un lieu à habiter («Maison et madriers» d’Anne Peyrouse).

Avec son texte intitulé «Tu m’aimes-tu ?», Takwa Souissi nous parle de son amour pour la langue française et à travers lui, de son parcours d’immigrante. «Ce récit d’amour est aussi un récit de son désamour de la société québécoise en raison de la loi 96. J’ai braillé en lisant ce texte, qui est à la fois touchant et révoltant», confie Marilyse Hamelin.

La diplômée ouvre la porte à un troisième opus de brefs essais, sans toutefois s’avancer sur la thématique qui sera retenue. «Ce ne sera pas pour tout de suite, car c’est beaucoup de travail!», conclut-elle en riant.