En milieu urbain, les bâtiments inoccupés se multiplient depuis quelques années. À Montréal seulement, on compte quelque 800 édifices vacants, publics ou privés. Face à ce phénomène, des organisations de la société civile se mobilisent pour mettre en œuvre des projets d’occupation immobilière dite transitoire ou passagère, comme préalable à un aménagement pérenne. Cette approche émergente est associée à ce qu’on appelle l’«urbanisme à échelle humaine», en vogue en Europe et aux États-Unis.
Au Québec, l’OBNL d’économie sociale Entremise, qui regroupe des spécialistes en urbanisme, en architecture, en patrimoine et en finance, s’inscrit dans cette mouvance. En collaboration avec le professeur du Département d’études urbaines et touristiques Michel Rochefort, Entremise a supervisé un stage de recherche de l’étudiant à la maîtrise en études urbaines Samuel Miron, financé par MITACS, qui a mené à la production d’une trousse d’accompagnement visant à évaluer, accroître et pérenniser des projets d’occupation transitoire.
Lancée récemment en présence de représentants de la Ville de Montréal et de personnes porteuses de projets en économie sociale et solidaire, la trousse d’accompagnement a été conçue pour deux projets d’occupation transitoire d’édifices patrimoniaux pilotés par Entremise: celui de la Cité-des-Hospitalières en transition de l’Hôtel-Dieu, à Montréal, et le projet la Grande Fabrique visant la requalification de l’église de l’Assomption-de-Notre-Dame à Grande-Rivière, en Gaspésie. Elle pourra cependant servir à d’autres organismes intéressés par l’occupation transitoire. «Nous l’avons conçue comme un outil adaptable, que d’autres acteurs ou communautés de pratique peuvent s’approprier en fonction de leurs besoins», précise Samuel Miron.
Revitalisation urbaine
L’occupation transitoire est une pratique reposant sur l’occupation graduelle d’un bâtiment ou d’un site en vue d’identifier une vocation pérenne. «L’objectif est de sauvegarder et de rentabiliser des espaces vacants ou sous-utilisés en vue de trouver de nouveaux usages dans une perspective de revitalisation et d’aménagement urbain», souligne le professeur Michel Rochefort. Chaque projet transitoire est unique et doit être adapté à son contexte, au maillage des partenaires, aux objectifs des parties prenantes et aux caractéristiques intrinsèques du bâtiment et de l’espace qui le compose. Dans le cas des bâtiments patrimoniaux, l’occupation transitoire vise à les protéger et à les valoriser.»
L’occupation transitoire cherche à répondre aux besoins de la collectivité ou d’une communauté d’usagers, poursuit le candidat à la maîtrise Samuel Miron. «Elle vise, par exemple, à favoriser l’ouverture d’espaces de travail ou de création pour des entreprises, des commerçants, des artistes, des OBNL ou des organismes communautaires, lesquels sont intéressés à occuper des locaux accessibles et à prix abordable.»
Si Entremise se spécialise dans l’occupation de bâtiments, d’autres organismes s’intéressent à d’autres types d’espaces, comme les terrains vagues. Dans la notion d’occupation transitoire, l’expérimentation occupe une place importante, dit Michel Rochefort. «Au départ, on ne sait pas toujours ce que l’on va faire des espaces vacants. Il s’agit d’expérimenter des usages et des fonctions qui aideront à déterminer la future vocation du lieu.»
Dans le cas du projet Young, premier projet pilote d’occupation transitoire montréalais développé par Entremise de 2018 à 2020, une vingtaine d’entrepreneurs, d’artistes et de leaders de projets communautaires ont démontré qu’il était possible de passer de l’idée à l’action en occupant et en faisant vivre un grand entrepôt public vacant du quartier Griffintown.
Innovations sociales
Relativement récentes au Québec, les occupations transitoires sont qualifiées d’innovations sociales parce qu’elles contribuent à la sauvegarde d’un patrimoine bâti en péril ou à la revitalisation d’artères commerciales, parce qu’elles ouvrent la voie à des projets collectifs et à la mise en place d’un environnement créatif pour les occupants.
«Actuellement, les usages transitoires ne sont pas permis par la loi, observe Michel Rochefort. Les projets d’occupation transitoire exigent d’innover en matière de réglementation, si on ne veut pas que les espaces soient privatisés. On peut aussi faire preuve d’innovation dans la façon dont les occupants partagent l’espace: économie et recyclage de matériaux, mise en réseau et utilisation commune des locaux, etc. Enfin, il s’agit de travailler avec les citoyennes et citoyens pour définir les modalités d’occupation.»
Grille d’évaluation et guide d’entretien
La trousse d’accompagnement produite par Samuel Miron pour la Cité-des-Hospitalières et l’église de l’Assomption-de-Notre-Dame, deux sites ayant une valeur à la fois historique, patrimoniale et communautaire, comprend trois documents. Le premier consiste en une recension d’écrits sur l’évaluation de l’impact social des projets d’occupation transitoire, alors que le deuxième propose une grille d’évaluation et un guide d’entretien. Le troisième document présente l’application de la grille d’évaluation aux deux projets pilotés par Entremise.
«La grille d’évaluation des projets porte sur leurs impacts sociaux – offrir des espaces pour le développement d’une communauté –, environnementaux – créer des projets écoresponsables – et patrimoniaux – conserver et mettre en valeur le patrimoine immobilier et immatériel –, explique le candidat à la maîtrise. Quant au guide d’entretien, il sert d’outil de consultation auprès des parties prenantes des projets: les propriétaires des espaces et les personnes les occupant ainsi que les usagers et les partenaires.» Les questions portent sur l’occupation du bâtiment, l’inclusion, la participation et la transparence, la communication et l’aménagement des espaces et du site.
En 2021, la Ville de Montréal a mandaté Entremise pour assurer la planification, le déploiement et la gestion de l’occupation transitoire à la Cité-des-Hospitalières, l’ancien monastère des Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph. L’approche transitoire a pour objectif de participer à la définition, au fur et à mesure de son évolution, du sens, de la vocation, des usages ainsi que du modèle de gouvernance du site.
«La Cité-des-Hospitalières accueille actuellement une dizaine d’organismes communautaires et culturels, notamment des troupes de théâtre et de danse, mentionne Samuel Miron. Les organismes du quartier ont été consultés pour fournir leur avis et des recommandations sur le projet.»
À Grande-Rivière, la démarche consiste à transformer l’église de l’Assomption-de-Notre-Dame à travers un processus axé sur l’expérimentation et l’appropriation citoyenne des lieux. Sa sacristie est ainsi occupée par des membres de la communauté paroissiale, qui organisent, entre autres, des ateliers d’animation culturelle et sociale. L’activité nommée «ligne du temps» a permis de valoriser l’histoire du site, alors que les résidents de Grande -Rivière ont pu ajouter leurs souvenirs sous la forme de photos ou de récits.
«L’évaluation représente un processus en continu visant l’amélioration des projets à différentes étapes, tout en répondant aux souhaits des différents acteurs, qu’il s’agisse de la Ville de Montréal, propriétaire de la Cité des Hospitalières, ou de la communauté de paroissiens dans le cas de l’église», remarque Michel Rochefort. L’usage transitoire d’un bâtiment est complexe. Les espaces doivent être sécurisés, qu’il s’agisse de l’électricité, de l’eau ou des normes d’incendie. Chaque bâtiment est différent. « Il s’agit de croiser les objectifs sociaux d’Entremise avec ceux des propriétaires des espaces», note le professeur.
Chose certaine, conclut Michel Rochefort, l’urbanisme transitoire est créateur de valeur: gain économique pour les propriétaires des espaces, dynamisation de la vie urbaine pour les collectivités, locaux à bas prix et environnement créatif pour les occupants et accompagnement d’initiatives citoyennes pour les associations partenaires.