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À la rencontre des musiciens du monde

Le musicologue Ons Barnat met sur pied un studio mobile pour enregistrer les chansons d’artistes émergents.

Par Pierre-Etienne Caza

22 juin 2023 à 13 h 32

«Il n’y a pas de culture sans métissage», affirme invariablement Ons Barnat à ses étudiantes et étudiants en début de trimestre. Le professeur du Département de musique en connaît un rayon sur la question. Né en France d’un père tunisien et d’une mère danoise, il se spécialise dans l’étude des musiques créoles des Caraïbes et de l’Océan Indien. «Je suis métissé et je travaille sur les métissages musicaux», observe l’ethnomusicologue, sourire en coin.

Embauché à l’UQAM en janvier 2020, Ons Barnat a obtenu plus tôt cette année une subvention d’un peu plus de 55 000 dollars du FRQSC pour un projet de studio d’enregistrement mobile et de recherche-création participative. Grâce à cet appui, il compte aller à la rencontre de musiciens et musiciennes de par le monde en compagnie de quelques étudiants et étudiantes. «C’est un projet qui mijote depuis la fin de mon doctorat, alors que je réalisais des enregistrements en Tanzanie, au Kenya et en Colombie», révèle le chercheur qui est également musicien dans différents groupes de ska et de reggae.

De la France au Québec

Ons Barnat baigne dans la musique depuis son tout jeune âge. Formé en cor français dès l’âge de 7 ans, il a participé à des tournées aux États-Unis et au Canada alors qu’il était adolescent. «Par la suite, je me suis éloigné des partitions classiques pour me spécialiser en musique populaire», raconte-t-il.

C’est pendant sa maîtrise à l’Université Paris 8 qu’il a découvert l’ethnomusicologie. «J’ai compris que l’on pouvait étudier Bob Marley comme on étudie Mozart ou Beethoven et, en plus, que je pouvais faire carrière en voyageant pour mes recherches. Le rêve!», se rappelle-t-il.

Son projet de maîtrise portait sur une musique de l’île de la Réunion. «Il s’agit d’un mélange entre le maloya et le reggae, qu’on appelle malogué, et qui est en réalité une pâle copie du seggae mauricien, précise-t-il. Cette musique a été populaire, le temps d’un feu de paille, au début des années 1990, avec l’arrivée du disque compact.»

À l’époque, les plus grands spécialistes des musiques de l’Océan Indien étaient québécois, souligne le chercheur. «J’ai demandé à faire un échange  interuniversitaire et c’est ainsi que j’ai découvert le Québec… et rencontré ma conjointe, 15 jours après mon arrivée», se souvient-il.

Ons Barnat a poursuivi ses études au doctorat, à l’Université de Montréal, s’intéressant cette fois à la musique garifuna du Belize, du Honduras, du Guatemala et du Nicaragua. «J’ai été embauché au Honduras comme assistant à la réalisation d’un album, en plus d’être arrangeur et musicien invité pour un disque intitulé Laru Beya de l’artiste Aurelio, paru en 2011. En plus de mon implication comme musicien, j’avais demandé à pouvoir enregistrer ce qui se passait en studio. J’ai pu décortiquer la création de l’album et ce fut le sujet de ma thèse.»

L’ethnomusicologie en transformation

L’ethnomusicologie consiste à étudier les liens entre le social et la musique. «Chaque musique qui apparaît quelque part est liée à un contexte social. Faire de l’ethnomusicologie, c’est tenter de comprendre la musique à la lumière du contexte socioculturel, socioéconomique et sociopolitique», explique Ons Barnat.

«En ethnomusicologie traditionnelle, poursuit-il, un chercheur blanc occidental débarque dans un pays pour enregistrer la musique des peuples autochtones et ensuite tenter de la comprendre à leur place. Je me suis écarté de cette vision en prenant part à la création musicale avec les artistes partout où je suis allé.»

L’ethnomusicologie qu’il pratique tend davantage vers la recherche-création participative. «L’idée est de faire de la recherche et de la création musicale en accord avec les réalités des musiciens locaux, en partageant leurs expériences et leur savoir-faire. C’est à la fois une production artistique et scientifique, un dialogue entre la recherche et la création», explique-t-il.

En France, lorsqu’il a présenté son projet de studio mobile à la Société française d’ethnomusicologie, plusieurs personnes trouvaient cela fantaisiste… et trop subjectif, raconte Ons Barnat. «On sait pourtant depuis plusieurs décennies que la neutralité du chercheur n’existe pas vraiment. Elle est biaisée dès le départ par nos origines et notre bagage d’expériences. Toutes les cultures sont réinventées et réactualisées par les rencontres et les métissages.»

L’impact des nouvelles technologies

L’ethnomusicologie s’est développée en parallèle avec les nouvelles technologies, et ce, à toutes les époques, insiste Ons Barnat. «Les avancées technologiques permettent d’accéder à de nouveaux corpus et de les mettre en valeur. C’était le cas avec le phonographe d’Edison qui a été utilisé par Béla Bartók à la fin du 19e siècle pour enregistrer la musique des paysans hongrois et bulgares. À partir de ces enregistrements, il a composé des pièces emblématiques de la musique classique de l’époque des nationalismes musicaux», illustre-t-il.

Pour Ons Barnat, la nouvelle technologie s’est présentée sous la forme d’une enregistreuse portative Zoom H4. «Ma conjointe m’avait offert cet appareil, révolutionnaire à l’époque avec ses microphones intégrés, lors d’un voyage à Zanzibar en Tanzanie à la fin de mon doctorat, en 2012, raconte-t-il. Ça tombait bien, car les musiciens rencontrés là-bas me disaient tous la même chose: le temps de studio coûtait trop cher. Alors j’en ai enregistré quelques-uns avec mon nouvel appareil, directement sur la plage, en participant aux arrangements musicaux.»

Conserver l’ambiance sonore

C’est ainsi que l’idée du studio mobile est née. «De retour à Montréal, un producteur m’a aidé à mixer ces chansons et il m’a convaincu de conserver le bruit des vagues et les sons ambiants, raconte le professeur. Cela fait partie intégrante de l’expérience d’écoute, car ce fond sonore original nous transporte immédiatement ailleurs, dans l’ambiance qui a donné naissance à chacune des chansons.»

Participation des étudiantes et étudiants

Dans le cadre du projet, baptisé Nomadik Studio, des étudiantes et étudiants pourront se familiariser avec ses enregistrements pilotes réalisés en Tanzanie, au Kenya, au Brésil, sur l’Île de Providence et en Colombie (il a été professeur postdoctoral à l’Université des Andes à Bogota) et tenter d’établir de nouvelles collaborations dans le monde. L’équipe souhaite enregistrer des artistes émergents, en filmant et en documentant le processus de création. «Ce n’est pas difficile de recruter des volontaires pour ce type de projet, reconnaît Ons Barnat. L’appel du voyage est irrésistible!»