Voir plus
Voir moins

Violations des droits humains en Colombie

Geneviève Dorais a participé à une mission d’observation dans la foulée de la grève nationale qui a secoué le pays l’an dernier.

Par Pierre-Etienne Caza

31 janvier 2022 à 17 h 01

Mis à jour le 9 juin 2022 à 13 h 09

Geneviève Dorais (que l’on aperçoit devant le microphone) a participé à une conférence de presse de la Mission de vérification de droits humains Québec-Canada-Colombie, tenue le 7 décembre 2021 à Bogotá, en Colombie.

«Il faut que le monde comprenne ce qui est en train de se passer en Colombie», ont martelé des représentants de la société civile aux membres de la Mission de vérification des droits humains Québec-Canada-Colombie, qui ont séjourné dans ce pays du 25 novembre au 7 décembre derniers. «Notre objectif était de recueillir des témoignages et de vérifier les allégations de violations graves des droits humains rapportées dans la foulée de la grève nationale qui a secoué la Colombie de la fin avril au début septembre 2021», explique la professeure du Département d’histoire Geneviève Dorais, codirectrice du Laboratoire interdisciplinaire d’études latino-américaines (LIELA).

Les grands centres urbains de la Colombie ont connu d’importantes manifestations durant le printemps et l’été 2021, à la suite de la tentative de réforme du gouvernement visant à augmenter la ponction fiscale des classes moyennes. «La population a rejeté massivement cette réforme et a pris d’assaut les places publiques tous les jours pendant trois mois, pacifiquement faut-il préciser», raconte Geneviève Dorais. Le gouvernement a répondu par une forte répression policière.  

À l’invitation de la société civile colombienne, la dizaine de participants à cette mission – parmi lesquels la professeure Dorais, des représentants d’organisations pour la justice sociale et les droits économiques, un sociologue, un député fédéral et une ancienne mairesse d’arrondissement – ont visité cinq départements du pays pendant ces deux semaines, accompagnés de représentants d’ONG locales. «Nous nous sommes rendus dans les grands centres urbains où se sont déroulés les affrontements les plus violents, soit Bogotá, Medellín et Cali, ainsi que dans des centres universitaires régionaux, car plusieurs professeurs colombiens ont pris part aux manifestations», raconte Geneviève Dorais. Des collectifs citoyens, des institutions scolaires, des associations sociales, des victimes directes et des personnes proches de celles-ci ont soumis des cas à la mission. Ces cas mettaient en lumière l’importance et l’étendue des séquelles causées par la répression exercée pendant et après la grève nationale sur l’ensemble du territoire colombien.

La Colombie a un lourd passé en matière de violences, rappelle la professeure. «En 2016, un accord de paix a été signé entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), mais depuis deux ou trois ans, le niveau de violence aurait augmenté. Or, la population ne veut plus recourir aux armes, les gens disent même être prêts à se faire tuer plutôt que de reprendre les armes! Ils demandent de pouvoir jouir des droits fondamentaux, comme la liberté d’expression, la démocratie et le droit de contestation.» 

Constats préliminaires

Les membres de la mission rédigent actuellement leur rapport final, mais ils souhaitent partager quelques-uns de leurs constats préliminaires. «Nous avons observé un modèle d’intervention répressif systématique, très inquiétant pour l’avenir; un profilage systématique des leaders sociaux, syndicaux et environnementaux avec de lourdes conséquences pour eux, leurs familles et leurs communautés; ainsi qu’un désir des autorités colombiennes de stigmatiser la contestation sociale», note Geneviève Dorais. 

Dans chaque département visité, les observateurs de la mission ont recueilli des témoignages selon lesquels des manifestants ont été tabassés, enlevés ou même tués. «Plusieurs associations civiles ont rapporté des montages judiciaires, des leaders étant arrêtés avec des fausse preuves pour les dépeindre comme criminels. On finit par les relâcher au bout de quelques mois, voire quelques années, tout ça pour insuffler la peur. On a fait usage de violence psychologique pour dissuader les gens de manifester. Le message de l’État est on ne peut plus clair: “Si vous sortez dans les rues pour exprimer un quelconque désaccord avec les autorités du pays, vous pourriez être emprisonné ou tué.»

Les projets hydroélectriques et miniers

À la demande des associations civiles colombiennes, les membres de la mission ont visité des communautés rurales en lutte contre des grandes compagnies minières ou des projets hydroélectriques enregistrés au Canada ou bénéficiant d’investissements canadiens. «Ce n’est pas nouveau, ça a été vérifié et documenté par le passé, mais dans le contexte de recrudescence de violences et de représailles envers les leaders sociaux, syndicaux et environnementaux, nous avons jugé pertinent d’aller à leur rencontre», souligne Geneviève Dorais.

L’objectif, poursuit-elle, est de sensibiliser la population et le gouvernement canadien pour que ce dernier puisse réévaluer, au besoin, ses relations économiques avec les entreprises impliquées dans la violation des droits humains en sol colombien, tout en sensibilisant les investisseurs canadiens impliqués dans ces entreprises.

Les associations civiles qui ont accueilli les observateurs canadiens ont insisté pour que la mission se déroule l’automne dernier, car des élections législatives auront lieu en mars prochain en Colombie, tandis que les élections présidentielles se dérouleront au mois de mai. «On sentait que la répression visait également à mater l’opposition politique en vue des élections à venir», conclut Geneviève Dorais.