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Une prime d’assurance liée au kilométrage?

Le modèle actuariel testé par Roxane Turcotte pourrait ouvrir la porte à une tarification dynamique dans le domaine de l’assurance automobile.

Par Pierre-Etienne Caza

13 juillet 2022 à 13 h 49

Qu’elles conduisent beaucoup ou très peu, les personnes souscrivant une assurance automobile paient une prime annuelle. «Les gens qui utilisent peu leur voiture devraient payer moins cher, car la distance parcourue est en lien direct avec le risque d’accident», observe la chargée de cours et doctorante en mathématiques Roxane Turcotte, qui en a fait la démonstration dans un nouveau modèle actuariel. L’article qui rend compte des résultats de ses travaux, publié en collaboration avec son directeur de thèse, Jean-Philippe Boucher, professeur au Département de mathématiques, lui a valu le deuxième prix du meilleur article décerné par la revue Risks.

Traditionnellement, les compagnies d’assurance utilisent des variables comme le sexe, l’âge, le nombre de mois d’expérience à titre de conducteur ou de conductrice, le territoire de résidence et le modèle du véhicule pour déterminer la prime annuelle pour assurer ce dernier. «À l’ère des données télématiques, il existe désormais des mesures plus objectives, directement reliées aux comportements des conducteurs, telles que le nombre de kilomètres parcourus, le moment de la journée pendant lequel on conduit le plus, ainsi que la vitesse moyenne, y compris les pointes d’accélération ou de décélération», souligne Roxane Turcotte. Des applications téléchargeables ou des logiciels électroniques installés à même les voitures permettent de mesurer toutes ces variables.


Introduire une nouvelle variable

Dans le domaine de l’assurance, utiliser une nouvelle mesure d’exposition au risque implique de satisfaire à plusieurs critères, explique Roxane Turcotte. «La nouvelle variable doit être facile à comprendre pour l’assuré, facile à mesurer et à enregistrer par l’assureur, et il ne faut pas que l’assuré puisse manipuler les données. Auparavant, on ne pouvait pas utiliser le kilométrage comme mesure d’exposition au risque, car l’odomètre d’une voiture pouvait être trafiqué, illustre-t-elle. Les données télématiques, transmises par GPS, sont plus fiables.»

Lors de la soumission, les assureurs demandent le nombre de kilomètres qu’un assuré compte parcourir durant une année, mais ils ne peuvent pas vraiment s’y fier. «Rares sont les personnes capables de bien estimer le nombre de kilomètres qu’elles parcourront en voiture durant une année», a constaté la doctorante, qui a eu accès aux données anonymisées de quelque 25 000 assurés afin d’élaborer et de tester son nouveau modèle, dans le cadre des travaux de la Chaire Co-operators en analyse des risques actuariels de l’UQAM, que dirige Jean-Philippe Boucher. «Le défi était d’isoler la variable du kilométrage de toutes les autres variables individuelles afin d’en mesurer son effet réel sur le risque», explique-t-elle.


Vers une tarification dynamique?

La doctorante a comparé le kilométrage parcouru et le nombre d’incidents rapportés aux assureurs pour d’éventuelles réclamations. «Toutes autres variables étant égales par ailleurs, notre modèle présente une relation presque linéaire: les personnes qui conduisent davantage ont plus de risque d’avoir un accident, révèle-t-elle. Cela vaut de manière générale pour tout le monde, de la plus expérimentée des conductrices au plus anxieux des conducteurs.»

Ces résultats ouvrent la porte à l’idée d’une tarification dynamique en fonction du nombre de kilomètres parcourus, ce qui bouleverserait les standards de l’industrie. «Non seulement l’utilisation de la mesure d’exposition au risque qu’est le kilométrage donnerait à l’assuré un contrôle sur sa prime, cela entraînerait de surcroît des bénéfices réels pour la société, car ceux et celles qui le peuvent et qui choisiraient de conduire moins pour épargner auraient un impact positif sur l’environnement», estime Roxane Turcotte.

L’utilisation des données télématiques permettrait également de tendre vers une tarification plus équitable, poursuit la doctorante. «Pour assurer la même voiture, il en coûte toujours plus cher aux jeunes hommes qu’aux jeunes femmes du même âge. Or, certaines recherches ont démontré que lorsqu’on introduit le kilométrage parcouru dans les modèles actuariels, la différence entre les hommes et les femmes n’est plus significative», souligne-t-elle.

Pour l’instant, le modèle élaboré par Roxane Turcotte ne lui permet pas de calculer le coût exact de la prime qui pourrait être liée au kilométrage, un outil qui serait bien utile aux compagnies d’assurances. «Avis aux intéressés: ce pourrait être le sujet d’un autre projet de recherche dans le cadre des travaux de la Chaire», conclut-elle.