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Un article sur les émissions de GES des grands barrages dans Nature Geoscience

L’étude révèle des données étonnantes sur les émissions de CO2 et de méthane.

Par Pierre-Etienne Caza

6 septembre 2022 à 14 h 47

Une étude cosignée par les diplômées Cynthia Soued (Ph.D. biologie, 2021), première autrice, et Sara Mercier-Blais (M.Sc. Biologie, 2014), professionnelle de recherche à la Chaire UNESCO en changements environnementaux à l’échelle du globe, vient de paraître dans Nature Geoscience. «Les scientifiques savent depuis de nombreuses années que les réservoirs des grands barrages (hydroélectriques ou autres) émettent des gaz à effet de serre (GES), mais c’est la première fois que l’on démontre l’évolution dans le temps de ces émissions, de leur ampleur et de leur composition», indique le professeur du Département des sciences biologiques Yves Prairie, qui a supervisé leur travail à titre de titulaire de la Chaire.

Yves Prairie et son collègue John A. Harrison (Washington State University) figurent également parmi les cosignataires de l’étude qui analyse la contribution des réservoirs du monde entier aux émissions de gaz à effet de serre anthropiques. Elle est basée sur les données et les projections de 9 000 réservoirs répartis sur 5 continents pour la période 1900-2060.

Construction des barrages et CO2

L’étude démontre que les émissions totales de GES générées par les réservoirs ont atteint leur maximum en 1987 – en lien avec la période de construction des grands barrages – et qu’elles étaient alors dominées par le CO2.

La construction et la mise en opération des barrages hydroélectriques nécessitent la création de réservoirs afin de contrôler le débit d’eau utilisée pour faire fonctionner les turbines, rappelle Yves Prairie. Ces réservoirs sont créés en inondant le territoire en amont de l’installation. «L’inondation des matières organiques entraîne leur décomposition très rapidement, explique le professeur. Voilà pourquoi on observe une grande libération de CO2 au cours des 20 premières années après la construction d’un barrage.»

Bien que les émissions totales des réservoirs diminuent depuis plus de 30 ans, leur impact sur le climat continuera d’augmenter pendant encore quelques décennies. «C’est le résultat de l’importante quantité de CO2 qui a été libérée par les nombreux réservoirs sur la planète entre 1950 et 1990», précise Yves Prairie.

Le cas du méthane

L’étude publiée dans Nature Geoscience révèle que les émissions de méthane des réservoirs continuent de s’accroître. «À l’échelle de la planète, le méthane provenant des réservoirs représentait, au début des années 2000, environ 6 % des émissions anthropiques de ce gaz, une proportion étonnamment élevée», souligne le chercheur. Le méthane, précise-t-il, est un gaz aux effets encore plus dévastateurs que le CO2, mais il demeure moins longtemps dans l’atmosphère.

En plus de se retrouver dans l’atmosphère à la suite de la décomposition des matières organiques, comme le CO2, le méthane est également produit par la «nouvelle» matière organique, soit les bactéries qui s’accumulent au fil des ans dans l’écosystème qu’est le réservoir. «Ces bactéries se retrouvent principalement dans les zones sans oxygène, c’est-à-dire dans les couches profondes des réservoirs», précise le professeur.

Au Québec, comme dans les autres pays nordiques, les grands barrages émettent peu de GES, car la couche profonde des réservoirs est généralement froide, et donc peu propice aux bactéries méthanogènes, note Yves Prairie. Dans certaines zones tropicales, en revanche, les émissions de GES produites par un barrage hydroélectrique peuvent être pires que celles d’une centrale au charbon pour une même quantité d’électricité produite», illustre-t-il.

Le deuxième boom de construction de barrages hydroélectriques auquel on assiste actuellement, notamment en Chine, en Inde et au Brésil, laisse donc présager une augmentation des émissions de méthane provenant des réservoirs tropicaux. «L’étude indique que le tiers des émissions de méthane provenant des réservoirs est le résultat du dégazage, souligne Yves Prairie. Ce phénomène survient lorsque l’eau qui alimente les turbines est puisée dans les couches profondes du réservoir, là où la concentration en méthane est très élevée. Une fois l’eau passée dans les turbines et rejetée en aval, le méthane est libéré dans l’atmosphère.»

La bonne nouvelle, souligne le spécialiste, est que l’on peut modifier la conception et l’opérationnalisation des barrages en puisant l’eau plus près de la surface. «En Malaisie, dans l’un des réservoirs qui ont retenu notre attention, nous avons observé que si la prise d’eau était située quelques mètres plus haut dans le réservoir, on aurait pu diminuer la quantité de méthane libérée d’environ 90 %. C’est énorme!»

L’étude conclut que les réservoirs sont à l’heure actuelle de faibles sources de CO2 en comparaison avec d’autres secteurs d’activité, mais qu’ils constituent tout de même une composante significative des émissions anthropiques de méthane. «Les émissions de GES associés à la libération de méthane à la sortie des barrages seront prépondérantes au cours des prochaines années et elles devraient devenir une cible privilégiée de mitigation afin de réduire l’empreinte carbone de ces écosystèmes», conclut Yves Prairie.