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Transplanter des arbres matures, c’est possible!

Daniel Kneeshaw déplace les arbres situés sur le tracé de l’autoroute 35 pour créer une nouvelle forêt.

Par Pierre-Etienne Caza

5 juillet 2022 à 9 h 28

Daniel Kneeshaw et son équipe mènent depuis l’automne 2020 un projet de reboisement novateur et inédit à Pike River, en Estrie: ils recréent une forêt «naturelle» à partir d’arbres matures, de jeunes arbres et de semis. «Nous transplantons sur d’anciennes terres agricoles adjacentes à une forêt existante des arbres qui étaient situés dans la zone de construction de l’autoroute 35 entre Saint-Jean-sur-Richelieu et la frontière américaine, explique le professeur du Département des sciences biologiques. Certains arbres atteignent 20 mètres de hauteur, ce qui permet d’accélérer le processus de création de cette “nouvelle” forêt.»

Il s’agit d’une première pour ce type de projet au Québec, précise le titulaire de la Chaire de recherche UQAM sur la résilience et les vulnérabilités des forêts aux changements climatiques, qui dirige également le Centre d’étude de la forêt (CEF).

Le 29 juin dernier, le ministre des Transports et ministre responsable de la région de l’Estrie, François Bonnardel, et la ministre déléguée à l’Éducation, ministre responsable de la Condition féminine et députée de Brome-Missisquoi, Isabelle Charest, ont annoncé la signature d’une entente de 6,67 M$ avec l’UQAM (par l’intermédiaire du Service des partenariats et du soutien à l’innovation) pour ce projet de recherche qui permettra de recréer environ 24,5 hectares de superficie boisée à travers la plantation de 35 000 arbres, semis et gaules (jeunes arbres). Le financement annoncé assure la réalisation et le suivi de ce projet jusqu’en 2033.

«Jusqu’à présent, nous avons transplanté une quarantaine d’arbres matures de différents gabarits, et entre ces arbres une centaine de gaules et de semis, précise Daniel Kneeshaw. Pour les arbres matures, le processus implique de la machinerie lourde et prend entre 1 h et 1 h 30 pour chaque arbre, selon sa taille, le lieu où il se trouve dans la forêt et le lieu où nous devons le transplanter.»

«À Pike River, grâce aux moyens et surtout au temps qui nous sont octroyés, nous explorons, expérimentons et visons à créer de nouvelles façons de restaurer des habitats ou de compenser des pertes d’écosystèmes forestiers.»

Daniel Kneeshaw

Professeur au Département des sciences biologiques

Rappelons que le prolongement de l’autoroute 35 (autoroute de la Vallée-des-Forts) vient conclure le projet de corridor Montréal-Boston. Le seul tronçon qui n’était pas desservi par une autoroute entre les deux villes était celui de 37,9 kilomètres sur la route 133 entre Saint-Jean-sur-Richelieu et le poste frontalier de Saint-Armand/Philipsburg.

«Notre gouvernement est fier de réaliser ce projet qui sort de l’ordinaire en collaboration avec des chercheurs spécialisés de l’UQAM, déclare François Bonnardel. Tout en compensant les répercussions sur l’environnement du prolongement de l’autoroute 35, ce qui est incontournable, cette initiative permettra d’acquérir des connaissances précieuses pour les futurs projets de restauration. C’est l’ensemble des Québécoises et Québécois qui y gagne.»

«La réalisation de ce projet exige une vision et de l’audace, observe Daniel Kneeshaw. Grâce à ce partenariat avec le ministère des Transports, nous pouvons le mener avec une approche écosystémique. Comme chercheurs et comme citoyens, nous devons faire mieux et faire plus pour recréer des habitats forestiers résilients qui survivront aux changements climatiques et aux phénomènes météo extrêmes. À Pike River, grâce aux moyens et surtout au temps qui nous sont octroyés, nous explorons, expérimentons et visons à créer de nouvelles façons de restaurer des habitats ou de compenser des pertes d’écosystèmes forestiers.»


Des espèces à statut précaire

Daniel Kneeshaw et son équipe – ses collègues Yves Prairie, Pierre Drapeau et Tanya Handa, ainsi que les agentes et agents de recherche Natacha Jetha (B.Sc. sciences, 2020), Mathieu Lamarche (B.Sc. biologie en apprentissage par problème, 2022), César Gabillot (M.Sc. sciences de l’environnement, 2018), Dominique Tardif (B.Sc. biologie en apprentissage par problème, 2020) et Mary Elizabeth Bergen – souhaitent recréer avec cette nouvelle forêt un écosystème propice pour la faune afin qu’elle s’y installe, et augmenter la biodiversité locale. «Plus d’une douzaine d’espèces, en raréfaction locale ou à statut précaire, telles que le chêne bicolore, l’érable noir, le noyer cendré et le caryer ovale, mais aussi des herbacées comme l’ail des bois, le trille blanc, la sanguinaire du Canada ou la cardamine carcajou y seront plantées, souligne le professeur. L’intégration d’un volet de recherche permet aussi d’acquérir des connaissances afin de mieux comprendre la restauration des écosystèmes forestiers.»

Plus d’une douzaine d’espèces, en raréfaction locale ou à statut précaire, seront plantées sur le site, comme le chêne bicolore. Photo: Natacha Jetha

Pour aménager la forêt et y conduire leurs expérimentations, l’équipe de recherche a ciblé différents patrons de plantations dans des quadrats de suivi de dix mètres carrés. «Divers suivis permettront de surveiller l’évolution de la forêt en plus de documenter la présence de la faune et de la flore de plus petit calibre dans ce nouvel écosystème, précise Daniel Kneeshaw. Les démarches de reboisement visent aussi à freiner la présence d’espèces végétales exotiques envahissantes ou nuisibles, comme le roseau commun


Trois autres projets de compensation

La nouvelle forêt sera implantée dans la zone inondable de la baie Missisquoi, ce qui favorisera la rétention et l’infiltration de l’eau. Le site accueillera trois autres projets de compensation en lien avec le prolongement de l’autoroute 35: une compensation de l’habitat du poisson visant à créer des habitats favorables à la reproduction et à l’alimentation des espèces présentes dans la zone du projet; la création de milieux humides visant à fournir des habitats pour la faune en général et à veiller à ce que les différentes fonctions écologiques des milieux humides soient recréées; et un réaménagement de certaines terres agricoles enclavées par le projet afin de les redonner à l’agriculture et ainsi consolider l’exploitation agricole dans le secteur.

Un comité se réunit annuellement en collaboration avec Conservation de la nature Canada, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs ainsi que le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques afin de suivre l’atteinte des objectifs compensatoires et de recherche.