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Soutenir les apprentissages des enfants palestiniens

Une étude examinera le rôle protecteur de l’éducation pour les enfants exposés à la violence armée.

Par Claude Gauvreau

7 novembre 2022 à 16 h 16

«Lors de mon premier séjour dans la bande de Gaza, en 2019, des enfants palestiniens me confiaient qu’ils n’osaient pas courir. Pourtant, quoi de plus naturel pour un enfant que de courir dans les rues. Mais les enfants palestiniens ont peur, peur d’être pris pour cible par des tireurs israéliens», raconte le professeur du Département de didactique Olivier Arvisais (M.A. science politique, 2013; Ph.D. éducation, 2020).

Coprésident du comité scientifique de la Chaire UNESCO de développement curriculaire, Olivier Arvisais dirige le projet de recherche «SABRINE: stress, bien-être et résilience chez les élèves palestiniens dans les territoires occupés et les impacts sur les plans cognitif et de l’apprentissage à l’école». «Cette étude représente un jalon important dans le développement des connaissances sur le rôle de l’éducation comme facteur de protection et de résilience pour les enfants vivant dans des contextes de violence politique ou de conflit armé», souligne le professeur. Elle est le fruit des progrès de la recherche dans les champs de la psychopathologie développementale et de l’éducation en situation d’urgence.

«En 2019, 51% des enfants palestiniens à Gaza étaient atteints du trouble de stress post-traumatique et une proportion importante souffraient d’anxiété et de dépression, de troubles de la régulation émotionnelle et de troubles du sommeil.»

Olivier Arvisais

Professeur au Département de didactique

Les enfants sont particulièrement vulnérables aux effets psychosociaux nocifs associés à la violence politique. «Le peuple palestinien a vécu quatre guerres au cours des deux dernières décennies», rappelle Olivier Arvisais, qui est aussi directeur scientifique de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires (OCCAH). «En plus de faire de nombreuses victimes, ces conflits ont causé plusieurs traumatismes au sein de la population, en particulier chez les enfants. En 2019, 51% des enfants palestiniens à Gaza étaient atteints du trouble de stress post-traumatique et une proportion importante souffraient d’anxiété et de dépression, de troubles de la régulation émotionnelle et de troubles du sommeil.»

Après un séjour à Gaza et en Cisjordanie, en 2019 et 2020, où il a effectué des recherches préliminaires et rencontré des responsables d’écoles et de cliniques en psychologie et en psychiatrie, Olivier Arvisais a obtenu une subvention du CRSH pour réaliser le projet SABRINE. Celui-ci est mené en collaboration avec le professeur palestinien de Gaza Amjad Joma, les professeurs Jonathan Bluteau (éducation et formation spécialisées) et Lorie-Marlène Brault Foisy (didactique) ainsi que le Gaza Community Mental Health Program (GCMHP), un réseau de cliniques offrant un soutien psychosocial aux enfants dans les écoles.

Le projet SABRINE n’aurait pas vu le jour sans le concours d’Amjad Joma, qui a séjourné trois mois à l’UQAM en 2019. «Notre rencontre a été rendue possible grâce au programme de collaboration scientifique Québec-Palestine mis en place en 2017 par les Fonds de recherche du Québec et l’Académie de la Palestine pour les sciences et les technologies (PALAST)», mentionne Olivier Arvisais. L’objectif du programme est d’accueillir dans les universités québécoises des chercheurs et chercheuses provenant d’universités palestiniennes dans le cadre de missions scientifiques.


Stress, bien-être, résilience et apprentissage

Les incursions de l’armée israélienne et les affrontements dans les territoires occupés ont un impact sur le bien-être émotionnel et psychosocial des élèves ainsi que sur leurs résultats scolaires et leur comportement en classe. «Notre projet vise à saisir les interactions entre les facteurs de stress, les niveaux de bien-être et de résilience psychologiques, les habiletés liées aux fonctions cognitives et l’apprentissage chez des élèves du primaire à Gaza et en Cisjordanie», explique le professeur.

Son équipe de recherche s’intéressera, notamment, aux fonctions cognitives dites «exécutives», reconnues pour leur rôle essentiel dans de nombreux apprentissages scolaires. «Des études longitudinales menées auprès de jeunes adultes ont montré que ces fonctions – mémoire de travail, contrôle inhibiteur, mémoire à long terme, flexibilité – contribuent également à réduire les impacts négatifs de l’exposition à des événements traumatiques, favorisant ainsi la résilience, note Olivier Arvisais. Sur la base de ces études, nous examinerons la possibilité que ces fonctions cognitives, stimulées par des situations d’apprentissage en classe, jouent un rôle similaire chez les enfants.»

Les résultats de la recherche serviront, par ailleurs, à perfectionner les programmes de soutien psychosocial offerts dans les écoles, lesquels visent à réduire le stress et à favoriser le bien-être émotionnel. Ce bien-être, en retour, peut exercer une influence positive sur le développement cognitif et les apprentissages des enfants.

«Notre projet vise à saisir les interactions entre les facteurs de stress, les niveaux de bien-être et de résilience psychologiques, les habiletés liées aux fonctions cognitives et l’apprentissage chez des élèves du primaire.»


Recruter des élèves

Pour mener l’étude à bien, l’équipe de recherche recrutera 120 élèves âgés de 9 à 11 ans, inscrits dans quatre écoles à Gaza et à Ramallah, en Cisjordanie. En décembre prochain, le professeur sera sur le terrain avec son collègue Amjad Joma afin de collecter les premières données servant à évaluer le stress, le bien-être, la résilience, les fonctions cognitives exécutives et l’apprentissage des élèves.

Pour évaluer le stress, les chercheurs mesureront la sécrétion diurne de cortisol en prélevant quotidiennement cinq échantillons de salive durant trois jours consécutifs. La dérégulation du cortisol, aussi appelé l’hormone du stress, peut être le symptôme de pathologies. «Ces données seront croisées avec celles sur le bien-être et la résilience psychologique obtenues grâce à des questionnaires déjà validés dans le cadre d’études antérieures, observe Olivier Arvisais. Quant aux fonctions exécutives, elles seront évaluées au moyen de trois tests portant sur le contrôle inhibiteur, la mémoire de travail et la flexibilité cognitive.»

Enfin, des données concernant la fréquentation et le rendement scolaires seront colligées à partir des dossiers des élèves. Les résultats de tests standardisés en mathématiques, en arabe et en sciences seront aussi compilés.


S’adapter aux particularités de la Palestine

La cueillette de données sera adaptée au contexte de violence politique et aux dimensions culturelles spécifiques à la Palestine. «Le type de violence qui sévit à Gaza est différent de celui que l’on trouve en Cisjordanie, note le chercheur. À Gaza, la population est surtout exposée à des bombardements de drones, alors que la Cisjordanie est le théâtre d’altercations constantes entre l’armée israélienne et des groupes palestiniens armés, dont les enfants sont témoins.»

Autre particularité, les Palestiniens de tout âge parlent peu de leurs problèmes de stress ou d’anxiété. «Dans des sociétés confrontées à la violence politique, comme en Palestine, il faut cacher ses faiblesses, montrer qu’on est fort et que l’on résiste, dit Olivier Arvisais. Cela fait partie de la lutte collective. Pour avoir l’heure juste sur l’état de santé psychologique des enfants palestiniens, il faut développer des stratégies alternatives, comme combiner des données sur le stress perçu avec des données physiologiques.»

En Palestine, de nombreux obstacles logistiques et techniques empêchent les chercheurs étrangers de travailler à leur rythme habituel. «À Gaza, on manque d’électricité tous les trois jours, remarque le professeur. Il faut aussi compter avec les difficultés d’accès à certains territoires, les enjeux de sécurité et la présence d’une population particulièrement vulnérable. Ces conditions imposées par le contexte de violence font en sorte que cette région est délaissée par les chercheurs, peu enclins à venir travailler sur le terrain.»

«Quand j’étais en Palestine, en 2020, j’ai demandé à un gamin ce qu’il voulait que je lui rapporte lors de ma prochaine visite. Il m’a répondu: “Apporte-moi des livres… cela fait un an que je lis toujours le même”.» 

Selon Olivier Arvisais, l’étude SABRINE représentera une avancée majeure dans le domaine de l’éducation en contexte d’urgence. Jusqu’à maintenant, les recherches dans ce domaine ont surtout porté sur les barrières d’accès à l’école, la qualité des programmes d’étude et la formation des enseignants, au détriment des barrières à l’apprentissage. «Nos résultats devraient permettre d’outiller les enseignants et les psychologues palestiniens, et d’ouvrir de nouvelles pistes de recherche. La méthodologie que nous développerons pourra être utilisée dans d’autres contextes marqués par des conflits.»

Affrontements armés, taux de chômage élevé, surpeuplement, blocus économique et privations de toutes sortes font partie du quotidien du peuple palestinien depuis plus de 70 ans. «Quand j’étais en Palestine, en 2020, j’ai demandé à un gamin ce qu’il voulait que je lui rapporte lors de ma prochaine visite, se souvient Olivier Arvisais. Il m’a répondu: “Apporte-moi des livres… cela fait un an que je lis toujours le même”.»