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Scénarios de fin de pandémie 3

Avec la cinquième vague qui frappe de plein fouet, on se demande s’il y aura une fin à la COVID-19.

Par Marie-Claude Bourdon

10 janvier 2022 à 17 h 01

Mis à jour le 9 juin 2022 à 13 h 10

Série L’actualité vue par nos experts
Des professeurs et chercheurs de l’UQAM se prononcent sur des enjeux de l’actualité québécoise, canadienne ou internationale.

Le virus de la COVID-19 va continuer à faire partie du paysage, croient les experts. Photo: Getty images

Il y a quelques mois, à peine quelques semaines, on croyait encore à la fin de la pandémie. On parlait de post-pandémie. De télétravail, de tourisme, de relance post-pandémiques. On se demandait comment réinventer un monde meilleur pour l’après-pandémie. Et puis, juste à la veille des Fêtes, la cinquième vague est arrivée, déferlant comme un tsunami sur tous les projets de retour à la normale. En quelques jours, les cas ont bondi, les hospitalisations sont reparties à la hausse et tous les indicateurs ont viré au rouge.

«Le variant Omicron est arrivé au pire moment: en saison hivernale, à l’approche des Fêtes, quand les gens ont tendance à se regrouper à l’intérieur, souligne le professeur du Département de sciences biologiques Benoit Barbeau. Le virus prend avantage de ce contexte-là.»

Récompensé d’un Prix du mérite de l’UQAM en octobre dernier, le virologiste Benoit Barbeau est devenu l’une des références en matière de COVID-19 dans les médias québécois. Plusieurs fois par semaine, on lui demande de se prononcer sur la bataille menée contre le microorganisme qui tient la planète en haleine depuis 22 mois.

C’est déjà la troisième fois qu’Actualités UQAM s’adresse à lui et à sa collègue, la professeure spécialisée en immunologie Tatiana Scorza, pour tenter de dégager les scénarios possibles d’une sortie de crise (voir «Scénarios de fin de pandémie» et «Scénarios de fin de pandémie 2»). En se basant sur les connaissances qui s’accumulent en temps réel, à mesure que l’on progresse dans l’histoire du SRAS-CoV-2, les deux experts essaient de prévoir l’évolution de la situation et comment l’on pourra enfin s’en sortir.

« Le virus de la grippe n’a pas été éliminé. Il revient chaque année avec de nouvelles souches. La capacité de muter du SRAS-CoV-2, le virus qui cause la COVID-19, est moindre, mais, comme on le voit avec Omicron, elle est bien réelle. »

Benoit Barbeau,

Professeur au Département des sciences biologiques

Si l’on en sort. Car il devient de plus en plus probable que la COVID-19 est là pour rester. «Le virus de la grippe n’a pas été éliminé, note Benoit Barbeau. Il revient chaque année avec de nouvelles souches. La capacité de muter du SRAS-CoV-2, le virus qui cause la COVID-19, est moindre, mais, comme on le voit avec Omicron, elle est bien réelle.»

La vague Omicron

Depuis que la pandémie a explosé, en mars 2020, plusieurs variants sont apparus: Alpha, au Royaume-Uni, Beta, en Afrique du Sud, Gamma, au Brésil, Delta, en Inde. Et, pour une deuxième fois en Afrique du Sud, Omicron, qui a la particularité de déjouer les défenses du système immunitaire. En date du 21 décembre, un communiqué de l’Institut national de la santé publique du Québec indiquait qu’Omicron était désormais dominant au Québec, représentant environ 80% des cas de COVID-19.  

Une surprise, Omicron? Son degré de contagiosité représente un bond spectaculaire par rapport au variant Delta, déjà beaucoup plus transmissible. «En soi, c’est une surprise de voir un virus doté de propriétés gagnantes à ce point», commente Benoit Barbeau.

Cela étant dit, on sait depuis le début de la pandémie que l’émergence de nouveaux variants est inévitable, remarque le professeur. «Le virus va atteindre une limite dans sa capacité de se transmettre, mais, sans vouloir être défaitiste, il y aura d’autres variants. Qu’ils découlent d’Omicron ou d’une autre souche, on est loin d’avoir fini d’entendre parler de nouveaux variants.» 

«Les variants sont le résultat d’un phénomène caractéristique de tous les virus: la dérive antigénique», explique Tatiana Scorza. Chaque fois qu’un virus s’introduit dans une cellule, il commence à se répliquer. Beaucoup de mutations apparaissent au cours de ce processus. Certaines de ces mutations aboutiront à des virus incapables de se répliquer. D’autres, à des virus plus efficaces. Les moins efficaces sont éliminés et ceux qui se transmettent plus facilement sont sélectionnés.

Un processus similaire se produit au niveau de notre système immunitaire, poursuit la chercheuse. Ce processus, l’hypermutation somatique, se produit chaque fois que le système immunitaire est activé par un vaccin (ou par une infection). Les mutations touchent les lymphocytes B, les cellules responsables de la production des anticorps. Certaines mutations, non efficaces, ne seront pas retenues. Mais d’autres vont permettre aux lymphocytes B de produire des anticorps comportant plus d’affinités pour les nouvelles structures du virus, même si le vaccin que l’on a reçu a été généré contre la souche d’origine.

«Selon moi, c’est ce phénomène d’hypermutation somatique qui explique l’efficacité de la troisième dose contre Omicron, dit Tatiana Scorza. Activés par la protéine virale contenue dans le vaccin, nos lymphocytes subissent des mutations qui les rendent aptes à produire des anticorps plus performants.» 

« La protection immunitaire dont nous bénéficions à la suite d’une vaccination par ARN messager est la somme d’un ensemble de mécanismes. »

Tatiana Scorza,

Professeure au Département des sciences biologiques

Les anticorps produits par les lymphocytes B ne sont pas les seules armes stimulées par les vaccins, observe la professeure. Les lymphocytes T font aussi partie de la réponse immunitaire, et leur action est également stimulée par des doses de rappel. Ces lymphocytes jouent plusieurs rôles. Certains vont carrément détruire les cellules infectées par le virus, empêchant ainsi sa réplication. D’autres aident les lymphocytes B à s’activer et à produire de meilleurs anticorps ou simulent des cellules de l’immunité innée, une autre barrière importante contre l’infection. «La protection immunitaire dont nous bénéficions à la suite d’une vaccination par ARN messager est la somme d’un ensemble de mécanismes», souligne la chercheuse.   

Les études montrent qu’une troisième dose du vaccin permet d’obtenir face à Omicron une protection similaire à celle que les deux premières doses procuraient face aux variants précédents. En attendant qu’un pourcentage suffisant de la population ait reçu cette troisième dose, on espère que le plus haut degré de contagiosité du variant sera compensé, au moins en partie, par une moindre virulence. «Tant mieux si Omicron s’avère moins virulent, remarque Benoit Barbeau. En proportion du nombre de cas, il y aura moins d’hospitalisations. Mais une pathogénicité réduite ne peut pas compenser la transmission plus élevée du virus, comme on le voit actuellement avec les hôpitaux qui sont débordés.»

Une évolution naturelle?

En 2019, le SRAS-CoV-2 est arrivé tel un extraterrestre, note Tatiana Scorza. «Depuis, le virus s’est progressivement adapté à l’humain et, peut-être pour cette raison, il devient moins dangereux: cette adaptation se traduit dans le cas d’Omicron par une transmissibilité plus grande, mais par moins de morbidité.» 

Benoit Barbeau ne croit pas à une évolution naturelle de la COVID-19 vers une forme plus contagieuse, mais moins virulente. «Le virus a encore beaucoup de personnes à infecter à travers la planète, dit-il. En plus, il réinfecte des gens qui ont déjà été infectés, comme on le voit avec Omicron. Mais, surtout, depuis le début de la pandémie, il cause le décès dans seulement 1 à 2% des cas, ce qui est relativement peu pour un virus.»

Les virus n’ont pas intérêt à nous tuer. En effet, ils ont besoin d’hôtes vivants pour se répliquer et sauter d’une personne à l’autre. «Le taux de létalité du SRAS-CoV-1 ou du MERS-CoV [deux autres coronavirus qui ont causé des épidémies en 2002 et 2012], qu’on a estimé entre 10% et 30%, était beaucoup plus élevé que celui du SRAS-CoV-2, mentionne le biologiste. Cela a probablement joué contre ces virus.»

Vacciner, vacciner

Avant Omicron, la vaccination avait très bien fonctionné, rappelle Tatiana Scorza. «Le fait que nous étions revenus à une vie à peu près normale démontre l’efficacité des vaccins», souligne la professeure. 

Plus la population est vaccinée, moins on compte de décès. Cela reste vrai et c’est la raison pour laquelle le Québec est entré dans une course contre la montre pour inoculer une troisième dose du vaccin à sa population. «Le régime de deux doses que la plupart des gens ont reçu les protège même contre Omicron, note Benoit Barbeau. Ils peuvent être infectés, mais ne développent pas, ou très peu, les formes les plus graves de la maladie.»

Deux doses, trois doses… En Israël, où la vaccination a débuté plus tôt que chez nous, on a même commencé à injecter une quatrième dose à certains segments de la population. Devrons-nous continuer à tendre le bras indéfiniment? Combien de doses de rappel faudra-t-il recevoir pour continuer d’être protégés? 

Selon Tatiana Scorza, si la troisième dose demeure une excellente façon de réactiver le système immunitaire, il y a des limites au nombre de doses qu’on peut recevoir d’un même vaccin. «À partir d’un certain point, le système d’autorégulation du système immunitaire fera en sorte qu’il ne produira pas nécessairement plus d’anticorps.»

En ce moment, les rappels administrés sont des doses du vaccin conçu en fonction de la structure d’origine du virus. Des vaccins différents, mieux adaptés aux nouveaux variants, pourront être mis au point, soulignent les deux experts. «Ce n’est pas impossible que l’on doive se faire vacciner chaque année avec un vaccin conçu pour lutter contre les nouveaux variants», mentionne Benoit Barbeau.

Comme le vaccin antigrippal annuel, ce vaccin serait fabriqué sur la base d’une prédiction des variants en circulation chaque année. Un scénario tout à fait plausible. Cent ans plus tard, les virus de l’influenza qui circulent aujourd’hui sont des héritiers lointains du virus de la grippe espagnole, qui a fait 50 millions de victimes à travers le monde entre 1918 et 1920.

« Un vaccin universel contre tous les coronavirus, pour moi, c’est encore de la science-fiction. Cela fait des années que l’on tente de mettre un au point un vaccin universel contre l’influenza, mais c’est encore un grand défi. »

Tatiana Scorza

Dans des laboratoires aux États-Unis, à Singapour et ailleurs, des chercheurs travaillent sur un projet de vaccin universel qui pourrait s’attaquer non seulement aux différents variants du SRAS-CoV-2, mais aussi aux autres coronavirus qui pourraient émerger dans l’avenir. Malheureusement, selon Tatiana Scorza, ce n’est pas pour demain. «Un vaccin universel contre tous les coronavirus, pour moi, c’est encore de la science-fiction, dit la chercheuse. Cela fait des années que l’on tente de mettre un au point un vaccin universel contre l’influenza, mais c’est encore un grand défi.»

Dans le monde

La pandémie se déploie par vagues. Chacune des vagues ne frappe pas au même endroit au même moment. Ainsi, la vague Delta a frappé l’Inde, où le variant est apparu, avant de se répandre sur le reste de la planète. Il y a aussi des endroits dans le monde où la COVID-19 semble moins présente. «L’Afrique – sauf l’Afrique du Sud et certains pays environnants – a été relativement peu touchée, observe Benoit Barbeau. C’est un peu un mystère.» Différentes explications sont proposées: l’âge de la population (plus il y a de jeunes, moins la COVID-19 fait de victimes), par exemple, ou le nombre de cas rapportés versus le nombre cas réels, le suivi n’étant pas aussi serré qu’il l’est dans les pays plus riches.

Parmi d’autres hypothèses, on avance aussi le fait que les populations africaines sont constamment confrontées à des infections. «Est-ce que les gens auraient développé une réponse immunitaire non spécifique, entre guillemets, qui leur permettrait d’être mieux protégés? s’interroge le professeur. La question demeure.»

En Afrique du Sud, la vague Omicron s’est traduite par un très grand nombre de cas, mais elle a causé relativement peu de décès, malgré un taux de vaccination plutôt bas. Encore une fois, l’âge médian des Sud-Africains (27,6 ans) a certainement joué et le variant est possiblement moins virulent. Mais le fait qu’une proportion importante de la population avait déjà été en contact avec le virus a aussi, fort probablement, contribué à procurer une certaine immunité, croient Benoit Barbeau et Tatiana Scorza. L’extrême contagiosité d’Omicron, faisant en sorte que de très nombreuses personnes sont infectées et se rétablissent, devrait jouer le même rôle chez nous et ailleurs.

Un taux d’infection soutenable

Selon les deux experts, il faut cesser de croire que l’on pourra se débarrasser de la COVID-19 pour de bon. «Aucun vaccin ne permettra d’éradiquer complètement la maladie, souligne Tatiana Scorza. Il y aura toujours des infections. Ce qu’on veut, ce que le gouvernement veut, c’est que le taux d’infection soit soutenable pour le système de santé.»

Même si l’on doit continuer à prendre des mesures pour contenir la propagation du virus, celui-ci ne disparaîtra pas de la surface de la planète, du moins pas de sitôt, confirme Benoit Barbeau. «Il faut vacciner l’ensemble de la population, insiste-t-il. Et il faut agir mondialement. Cela va ralentir l’apparition des variants, mais cela ne les éliminera pas complètement.» 

« Il faut arriver à passer d’une situation pandémique à une situation endémique. »

Benoit Barbeau

Il vaut mieux s’y faire: le virus va continuer à circuler, au moins pendant quelques années. «Il faut arriver à passer d’une situation pandémique à une situation endémique», affirme le biologiste. Une situation endémique, cela signifie que le virus continuera de faire partie du paysage. La COVID-19 comptera parmi les infections que l’on risque d’attraper – comme la grippe, les hépatites ou le VIH –, mais on pourra contrôler sa propagation.

«Au cours de l’année qui vient, et peut-être plus, on devra continuer de miser sur des mesures sanitaires comme le port du masque et la distanciation», dit Benoit Barbeau, qui se montre toutefois sceptique par rapport au couvre-feu décrété par le gouvernement, en l’absence de données probantes démontrant l’efficacité de cette mesure. Selon lui, en plus des mesures déjà éprouvées, il faut mettre l’accent sur de nouvelles stratégies. «Il faut absolument revoir les systèmes de ventilation ou de purification de l’air dans les établissements scolaires et les milieux de travail, soutient-il. Nous devrons aussi miser davantage sur des technologies comme les tests rapides. Le Québec a du retard dans ce domaine.»

L’arrivée des antiviraux

Sur une note plus optimiste, Benoit Barbeau souligne l’arrivée prochaine des médicaments antiviraux: de nouvelles armes dans l’arsenal de la lutte contre la COVID-19 dont l’efficacité semble prometteuse. Chez les gens à risque, le Paxlovid de Pfizer diminuerait le risque d’hospitalisation de 89% en prévenant les formes les plus sévères de la maladie. Ce médicament a été approuvé aux États-Unis en décembre et devrait l’être prochainement au Canada. D’autres antiviraux devraient suivre. 

Dans le cadre d’une stratégie optimale d’utilisation des antiviraux, il faudra toutefois résoudre la question du dépistage et de la disponibilité des tests. Pour être efficaces, les antiviraux doivent être administrés dans les premiers jours de la maladie.

Le grand avantage de ces médicaments sera de contribuer à soulager le système de santé en faisant baisser le nombre de patients admis à l’hôpital ou aux soins intensifs. Mais ce ne sera pas une solution miracle, signale Benoit Barbeau, ni une pilule qu’on pourra prendre à titre préventif avant d’aller au concert. «Le virus va probablement développer des résistances, soutient-il. Ce type de médicament devra donc être utilisé de manière ciblée.»

Tatiana Scorza demeure optimiste, même si elle déplore que les gouvernements réagissent constamment dans l’urgence. Selon elle, il faudra trouver un meilleur équilibre entre les diverses mesures sanitaires, afin que l’on puisse vivre avec le virus sans mettre trop de pression sur un système de santé fragile.

Depuis le début de la pandémie, il a été difficile pour les scientifiques de suivre l’évolution rapide du virus. Les données ne sont pas toujours complètes et on manque de perspective pour les analyser. Il reste encore de larges pans de la biochimie du virus et de la réponse immunitaire à étudier. Il n’en demeure pas moins que les connaissances s’accumulent. «Il y aura de nouveaux variants, dit Tatiana Scorza, mais on ne part plus de zéro.»

La biologiste demeure convaincue qu’une immunité collective acquise en partie grâce aux vaccins et en partie grâce au nombre grandissant de personnes qui ont été infectées par la COVID-19 – et qui ont guéri – va nous aider à passer à travers les prochaines vagues. «Théoriquement, à mesure que le temps va passer, on va devenir de plus en plus résistants à la maladie», conclut-elle.