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Qui sont les personnages issus de la diversité capacitaire?

La Chaire de recherche du Canada sur les médias, les handicaps et les (auto)représentations analyse les productions médiatiques québécoises des 40 dernières années.

Par Pierre-Etienne Caza

9 décembre 2022 à 16 h 12

Mis à jour le 12 décembre 2022 à 15 h 04

La Chaire de recherche du Canada sur les médias, les handicaps et les (auto)représentations a lancé, le 8 décembre dernier, une nouvelle base de données sur les représentations médiatiques du handicap et de la sourditude au Québec pour la période 1980-2020. Accessible gratuitement, celle-ci permet de repérer les productions médiatiques iconiques (bandes dessinées et romans graphiques) et audiovisuelles (films documentaires et de fiction, séries télé et installations immersives) présentant au moins un personnage en situation de handicap, neurodivergent et/ou sourd. «À ma connaissance, il s’agit d’une première mondiale», affirme le professeur de l’École des médias Mouloud Boukala, titulaire de la Chaire.

Jusqu’à maintenant, les étudiantes et étudiants de 2e et 3e cycles formés pour la tâche ont analysé un peu plus de 200 productions québécoises, parmi lesquelles le film Les bons débarras et le téléroman Le temps d’une paix (1980), ainsi que la série télé Lance et compte (1986), le film Gabrielle (2013) et les séries télé Les Mutants, Toute la vie et M’entends-tu? (2020). «Nous créons une fiche pour chaque production ainsi que pour chacun des personnages en situation de handicap», précise le professeur. Plus de 550 fiches de personnages ont été produites et environ 400 fiches de membres des productions (scénarisation, réalisation, illustration, etc.).

Pour chaque personnage de la diversité capacitaire, il est indiqué si l’interprète artistique a déclaré être en situation de handicap, neurodivergent ou neurodivergente et/ou sourd ou sourde. Par exemple, Andrew Bednarski, interprète de Jimmy Mercier dans Lance et compte, n’est pas un comédien en situation de handicap, tandis que Gabrielle Marion-Rivard, interprète de Gabrielle dans le film du même nom, a une déficience intellectuelle (ou incapacité cognitive selon la typologie de Statistique Canada utilisée dans la base de données).

De nombreuses caractéristiques

Chaque fiche consigne les caractéristiques des (auto)représentations et les thématiques abordées. «On saura s’il s’agit d’un personnage primaire, secondaire ou tertiaire, s’il vit de la colère par rapport à sa situation de handicap, s’il est victime d’intimidation, s’il subit du capacitisme ou de la maltraitance, illustre Mouloud Boukala. Nous avons également relevé les informations concernant l’identité de genre, l’orientation sexuelle représentée, le statut civil et socioéconomique, et la présence d’enjeux liés au fait religieux ou à la parentalité.»

L’équipe a porté une attention particulière au sort réservé à ces personnages issus de la diversité capacitaire. «Dans plusieurs productions, les personnages en situation de handicap ont des pensées suicidaires et certains passent à l’acte. Voilà pourquoi il était pertinent d’en garder la trace», explique le chercheur.

Par exemple, la base de données nous renseigne à l’effet que le personnage principal du film Gabrielle vit de la colère par rapport à ses incapacités ou aux situations de handicap vécues, que son statut civil change au cours du récit, qu’elle vit des enjeux liés à la parentalité, qu’elle occupe un emploi de soutien administratif et qu’elle lutte pour ses droits dans le long métrage.

Chacune des entrées des fiches a fait l’objet de discussions avec les membres du comité aviseur de la Chaire – composé de personnes aux capacités diverses spécialistes des handicaps, de la sourditude ou des médias – et certaines ont fait l’objet d’une expertise externe pour éviter tout biais, précise Mouloud Boukala. «Je tiens à souligner le travail remarquable de la coordonnatrice de la Chaire, Rachel Trahan Brousseau, qui fait le lien entre le comité aviseur, les programmeurs du Bureau des initiatives numériques de l’UQAM, Louis-Renaud Desjardins et Pierre Léveillé, et la dizaine d’étudiantes et d’étudiants qui analysent les productions médiatiques.»

Ce processus d’élaboration collective a donné lieu à plusieurs communications scientifiques au Québec et à l’international ainsi qu’à un article en cours de rédaction, note le professeur.

Il est possible d’interroger la base de données en faisant une recherche simple ou avancée. La recherche simple donne accès à une dizaine de critères pour filtrer les résultats, tandis que la recherche avancée en offre plus de 80.

À la recherche de partenariats

«L’objectif de ce projet était de comprendre l’évolution de la représentation des personnes en situation de handicap au Québec, souligne Mouloud Boukala. Entre 1980 et 2020, on note une augmentation de plus de 200 % des productions qui présentent un ou des personnages ayant un ou des handicaps, ou des personnes sourdes.»

Cela s’explique en partie par la démocratisation des moyens de tournage, analyse le spécialiste. «À partir des années 2010, on observe une plus grande facilité d’accès aux moyens de s’enregistrer, ce qui facilite les autoreprésentations par les membres de la diversité capacitaire.»

«Entre 1980 et 2020, on note une augmentation de plus de 200 % des productions qui présentent un ou des personnages ayant un ou des handicaps, ou des personnes sourdes.»

Mouloud Boukala

Professeur à l’École des médias

La démocratisation des moyens de tournage ne signifie pas pour autant la démocratisation des moyens de diffusion, note le chercheur. Son équipe se heurte, en effet, au fait que certaines productions médiatiques ne sont pas numérisées ou sont peu accessibles. «Nous avons besoin de partenariats pour obtenir une vue d’ensemble la plus exhaustive possible de toutes les productions médiatiques, dit-il. Nous aimerions également trouver des partenaires pour poursuivre l’analyse au-delà de l’année 2020, ou encore étendre l’outil aux productions canadiennes.»

Le professeur espère sincèrement que l’idée fera boule de neige ailleurs dans le monde. «Je souhaite qu’elle puisse inspirer les gens pour favoriser la création de contenus inclusifs et respectueux des personnes en situation de handicap et des personnes sourdes», conclut-il.