Voir plus
Voir moins

Prévention des cyberviolences

Près de 80 % des femmes déclarent avoir déjà subi un geste de cyberviolence de la part de leur partenaire ou ex-conjoint.

Par Claude Gauvreau

23 août 2022 à 14 h 46

Les outils technologiques jouent un rôle important dans les relations intimes des jeunes adultes, favorisant notamment la rapidité avec laquelle ils peuvent entrer en contact. Mais ces outils – services de messagerie instantanée, géolocalisation, réseaux sociaux – peuvent aussi être utilisés pour surveiller, contrôler, harceler et exercer de la pression sur son partenaire ou ex-partenaire.

Selon une recension d’écrits scientifiques réalisée en 2019 par une équipe de chercheuses dirigée par la professeure du Département de sexologie Mylène Fernet, jusqu’à 78 % des femmes ont déclaré avoir déjà subi un geste de cyberviolence de la part de leur partenaire ou ancien conjoint. D’autres travaux de l’équipe ont révélé que 47 % des jeunes, dont 75 % étaient des filles, avaient vécu de la cyberviolence dans le cadre d’une relation intime au cours de la dernière année.

«Bien qu’encore méconnu, le phénomène est de plus en plus documenté», observe Mylène Fernet. Son équipe a recueilli des données sur la prévalence de la cyberviolence au sein de trois groupes de femmes: les adolescentes (14-18 ans), les jeunes adultes (19-25 ans) et les femmes âgées de 26 ans et plus. «Les données montrent, sans surprise, que la cyberviolence se produit plus souvent en contexte de séparation (entre 11 % et 28 %) que durant la relation intime (entre 1 % et 24 %), note la professeure. Elles révèlent aussi que les femmes de 18 à 29 ans sont les plus à risque de subir de la cyberviolence.»

Avec l’omniprésence des médias sociaux et des technologies permettant la communication instantanée et la diffusion rapide d’informations, il est particulièrement difficile pour les victimes de cyberharcèlement de trouver un espace où se sentir en sécurité, libre des influences et du contrôle du partenaire ou de l’ex-partenaire. «Même si ce dernier n’est pas en présence de la victime, il a la possibilité d’entrer en contact avec celle-ci à tout moment, peu importe où elle se trouve, dit Mylène Fernet. De plus, l’absence de témoins limite le recours à l’aide.»

En mars dernier, l’article «Cyberviolences dans les relations intimes: il faut sensibiliser les jeunes aux signes précurseurs» a été publié sur le site La Conversation, cosigné par Mylène Fernet, Martine Hébert, professeure au Département de sexologie, Geneviève Brodeur, doctorante en santé et société, et Roxane Guyon, doctorante et chargée de cours en sexologie.


Une panoplie de moyens

Les réseaux sociaux – Facebook, Twitter, Instagram –, les services de messagerie (courriels) et le téléphone cellulaire sont les moyens technologiques les plus utilisés pour exercer de la cyberviolence. Afin de surveiller leur victime, les agresseurs ont aussi recours à la recherche d’informations en ligne et à la compilation de données, à des logiciels de piratage de mots de passe ou à des logiciels espions qui enregistrent les habitudes d’achats ou de fréquentation de sites, ou encore à des caméras activées à distance.

La cyberviolence revêt des formes directes et indirectes. La cyberviolence directe renvoie à une utilisation des technologies dans un contexte privé, sans que de tierces personnes en soient les témoins.  La cyberviolence indirecte consiste en la diffusion publique de contenus en ligne au sujet d’une partenaire ou d’une ancienne partenaire. Ce contenu peut être à caractère sexuel ou non (photos ou messages portant atteinte à la réputation de la victime). Il peut être envoyé à des individus généralement connus de la victime (famille, collègues, amis, nouveau partenaire) à l’aide d’une liste d’envoi courriel ou d’un service de messagerie instantanée.

«Parce que les victimes n’ont pas de contact physique avec leur agresseur, plusieurs personnes estiment à tort que les cyberviolences ont moins de répercussions que les formes de violence traditionnelles», remarque Mylène Fernet. Or, les impacts peuvent être d’ordre physique (fatigue, perte de poids, automutilation), psychologique (détresse émotionnelle, peur, anxiété, dépression, pensées suicidaires), interpersonnel (perte de relations significatives, difficultés à s’engager avec un nouveau partenaire) et financier (perte d’emploi, déménagement, médication).


Campagne de sensibilisation

Les cyberviolences précèdent souvent les gestes de violence physique, et même d’homicide, notamment en contexte de séparation, d’où l’importance d’agir en amont. L’équipe de Mylène Fernet a développé une campagne de sensibilisation aux cyberviolences reposant sur une démarche participative. Les chercheuses ont mis sur pied des groupes de discussion réunissant une vingtaine de jeunes femmes et ont conçu un questionnaire en ligne auquel 400 femmes ont répondu, afin qu’elles contribuent elles-mêmes à la production et à la diffusion d’outils de sensibilisation.

Les groupes de discussion et les réponses au questionnaire ont permis de créer des contenus de recherche vulgarisés et 14 capsules vidéo, lesquels ont été diffusés sur Facebook, Instagram, YouTube et TikTok durant 14 semaines depuis mars dernier. Réalisées par le Laboratoire d’études sur la violence et la sexualité, dirigé par Mylène Fernet, les capsules portaient sur différents thèmes, dont les manifestations de cyberviolence, leurs signes précurseurs («drapeaux rouges»), les comportements inadéquats, le partage des codes d’accès, les façons de surmonter les obstacles pour rechercher de l’aide et les moyens de prévenir ou de mettre fin aux situations de cyberviolence.

«L’objectif était de semer de petites graines pour nourrir la réflexion et les questionnements sur le type de relation amoureuse que l’on souhaite établir, souligne la professeure. Beaucoup de femmes perçoivent encore les comportements jaloux et possessifs comme une marque d’affection et d’attachement.»

La capsule vidéo sur les «drapeaux rouges», par exemple, vise à éviter l’escalade de la cyberviolence. «Un partenaire qui demande vos codes d’accès ou qui, sans cesse, cherche à savoir à qui vous parlez sur les réseaux sociaux, qui remet en question votre malaise ou votre refus de répondre à ses questions sont des signes préoccupants», prévient Mylène Fernet. La capsule se termine avec un message clair pour les victimes qui doutent de leurs perceptions, à savoir que ces signes ne sont pas le fruit de leur imagination et qu’elles doivent se faire confiance. «Ce n’est pas parce qu’on est dans une relation intime que tout doit être partagé», commente la professeure

Des capsules fournissent également des conseils utiles sur les pratiques sécuritaires en matière d’utilisation des technologies et des réseaux sociaux. D’autres misent sur des approches qui font appel aux témoins et aux confidents et confidentes potentiels afin de les outiller à intervenir de manière adéquate. «Plusieurs femmes ne dévoilent pas les cas de cyberviolence, car elles sont persuadées qu’elles ne seront pas crues en raison de l’absence de marques physiques de violence, insiste Mylène Fernet. Certaines considèrent qu’une dénonciation risque même d’aggraver les actes de harcèlement de l’ex-conjoint. Cela dit, les messages ne visent pas à culpabiliser les femmes ni à leur dire quoi faire. Le choix de la meilleure stratégie à adopter leur revient.»

Les messages de sensibilisation interpellent également les jeunes hommes, lesquels ont un rôle clé à jouer en matière de prévention de cyberviolences. «Certaines capsules abordent de manière positive les relations intimes et misent sur le développement d’un esprit critique face à l’utilisation des technologies, note la professeure. Des intervenants scolaires les ont d’ailleurs utilisées afin d’aborder des enjeux d’éducation à la sexualité. De telles initiatives peuvent contribuer à réduire les cyberviolences et à établir des rapports amoureux plus égalitaires au sein des jeunes générations.»

Les capsules vidéo, qui ont connu beaucoup de succès jusqu’à maintenant, seront de nouveau diffusées au cours de cet automne.