En 2015, la directrice de la Galerie de l’UQAM, Louise Déry, présentait dans la capitale italienne une exposition individuelle de l’artiste montréalais Jean-Pierre Aubé (M.A. arts plastiques, 1998), Electrosmog. Cette habituée de la Biennale de Venise a noué, au fil du temps, de nombreuses relations avec la communauté artistique italienne, et, en particulier, avec Mario Pieroni et Dora Stiefelmeier, fondateurs de l’Association pour l’art contemporain Zerynthia, à Rome, et de RAM radioartemobile, une plateforme d’art contemporain. Cette année, en collaboration avec ces complices, elle propose à Montréal Zerynthia. Metamorphosis, une exposition centrée sur l’écoute, la poésie et les mondes en mutation, qui met en résonance œuvres canadiennes et italiennes.
L’équipe de commissaires dédiée au projet inclut également Claudio Libero Pisano, commissaire et professeur à l’Académie des beaux-arts de Rome, ainsi que la conservatrice adjointe de la Galerie, Anne Philippon (M.A. études des arts, 2013).
Fresque photographique et œuvres sonores
Les commissaires ont confié la réalisation d’une vaste fresque photographique à Jean-Pierre Aubé, qui a souhaité réaliser un paysage boréal soumis aux lueurs nocturnes produites par un drone en mouvement dans le ciel. Harmonographe Lac Caribou occupe un mur complet de la galerie. L’harmonographe – un appareil destiné à l’étude des vibrations sonores et à leur transcription en dessin – renvoie à la démarche de l’artiste, qui a utilisé un drone pour dessiner dans le ciel. Cette approche scientifique est typique de l’œuvre de Jean-Pierre Aubé, qui a souvent recours à des procédés techniques pour enregistrer les sons des phénomènes naturels présents dans la magnétosphère (organes électriques, aurores boréales, vents solaires). Ici, l’approche épouse une perception romantique du paysage évoquant la grande tradition picturale allemande du 19e siècle.
Dix œuvres sonores, littéralement pendues au plafond de la galerie, accompagnent le paysage. On y retrouve la parole intense et fragile de Yona Friedman, une complainte bouleversante d’Alanis Obomsawin, la poésie chantée de Jonida Prifti, une variation de Bach interprétée sur un piano modifié par Patrick Bernatchez, des pépiements d’oiseaux enregistrés par Jimmie Durham et Maria Thereza Alves, un discours imaginé par Michael Snow, une nouvelle création de Geronimo Inutiq et autres propositions artistiques aux sonorités étonnantes, qui se mêlent et renvoient les unes aux autres.
L’exposition propose aussi des pièces vidéographiques de Myriam Laplante et d’Annie Ratti inspirées du confinement (la première comporte une surprise qui fera sourire), une bibliothèque remplie de miroirs du célèbre artiste Michelangelo Pistoletto et une pierre au sol d’Alberto Garutti, gravée d’une inscription: «toutes les étapes que j’ai franchies dans ma vie m’ont amené ici, maintenant».
«Fidèles à des artistes dont les réalisations jalonnent nos initiatives respectives, expliquent les commissaires, nous avons retenu l’idée de la métamorphose incarnée dans le sens même du mot latin zerynthia, une famille de papillons de l’ordre des lépidoptères ». C’est ainsi que des pièces sonores et visuelles et des objets, auxquels s’ajoutent des documents et des publications de genres variés, interagissent et connaissent d’autres mutations du fait de se côtoyer dans la Galerie de l’UQAM.
Mémoire de sucre dans la petite salle
Dans la petite salle de la Galerie, la finissante de la maîtrise en arts visuels et médiatiques Maria Hoyos présente Memorias de Azucar, une expostion qui s’intéresse au sucre dans une perspective décoloniale. L’artiste propose une exploration de la charge symbolique de la culture du sucre, et de ce qu’elle révèle sur les rapports de force et de pouvoir exercés dans l’histoire coloniale, l’histoire moderne et l’établissement du capitalisme en Amérique latine.
L’exposition consiste en une installation qui se décline au moyen de plusieurs éléments: sculptures, vidéo, écritures en sucre, constructions en cubes de sucre, interventions in situ. Parmi les composantes présentées, on retrouve Cañaduzal en duelo (2021-2022), une série de moulages de cannes rendant hommage à cinq enfants afrodescendants tués en 2020 dans le quartier de LLano Verde à Cali, en Colombie; un antimonumento (2022) – geste artistique produit en réponse aux abus de l’État et des groupes criminels contre la société civile – conçu à partir de 150 mots écrits en sucre se déployant sur les murs de la galerie; Nefropatía azucarera (2020-2021), la vidéo d’une animation en sucre dénonçant une maladie qui affecte plusieurs milliers de travailleuses et travailleurs agricoles défavorisés, et enfin un espace rituel créé dans le cadre des interventions de l’artiste à même la galerie.
Originaire de Santiago de Cali, en Colombie, Maria Hoyos a fait des études à Bogota, à Madrid et à La Havane. Elle est arrivée au Québec en 2002. Sa réflexion identitaire met en valeur sa propre expérience, marquée par la diversité culturelle et l’interculturalité.
Les deux expositions sont présentées jusqu’au 23 juin 2022.