Du 28 août au 3 septembre prochains, l’UQAM accueillera plus de 300 spécialistes du patrimoine provenant de 35 pays dans le cadre du 18e congrès de l’International Committee for the Conservation of Industrial Heritage (TICCIH). Cet événement est organisé par la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain de l’ESG UQAM, dont la titulaire est la professeure du Département d’études urbaines et touristiques Lucie K. Morisset, en collaboration avec l’Association québécoise pour le patrimoine industriel.
«Le comité était intéressé par l’approche de notre chaire, qui vise à élargir le regard sur le patrimoine industriel en le considérant comme un enjeu de développement territorial, social, et aussi environnemental», indique Lucie K. Morisset. Depuis quelques années, on assiste à une vague de désindustrialisation, due notamment à la délocalisation et à la diversification des activités de production. «Cette désindustrialisation, rappelle la professeure, a entraîné des fermeture d’entreprises qui ont affecté des villes et des régions entières, comme Sudbury, en Ontario, ou le Saguenay-Lac-Saint-Jean, au Québec.»
«L’héritage industriel fait partie de l’identité des populations et peut contribuer à l’épanouissement d’une société qui a la mémoire de son passé.»
Lucie K. Morisset,
Professeure au Département d’études urbaines et touristiques
Que faire avec les traces matérielles de l’héritage industriel? Cette question sera soumise à la discussion lors du congrès. Selon Lucie K. Morisset, on ne peut pas se contenter d’abandonner ou de détruire les ensembles industriels désuets ou vacants sous prétexte qu’ils encombrent le paysage. «Cela entraînerait des coûts sociaux et environnementaux importants. L’héritage industriel fait partie de l’identité des populations et peut contribuer à l’épanouissement d’une société qui a la mémoire de son passé.»
Il n’y a pas si longtemps, c’était l’ensemble de la population d’un village ou d’une petite ville qui travaillait à la scierie, à la mine ou à l’usine de la région. «Aujourd’hui, des communautés, à Arvida notamment, ont pris en charge la transmission de leur mémoire en préservant des infrastructures industrielles», note la chercheuse.
Le thème du congrès, «Le patrimoine industriel rechargé», est «une allusion à la série cinématographique The Matrix, qui questionne les rapports de l’humain à la machine, précise Lucie K. Morisset. Le congrès vise justement à renouveler le regard sur ces rapports.»
Une centaine de conférences
Tout en réservant des espaces de débat au thème de la sauvegarde des bâtiments et autres infrastructures, le congrès favorisera les échanges sur des sujets moins discutés du patrimoine industriel. À travers une centaine de conférences, il abordera l’identité de la civilisation industrielle sous l’angle de ses représentations, de sa culture et de ses territoires, ainsi que la documentation, la valorisation et les usages de ses héritages.
Le rôle du patrimoine industriel dans le développement urbain, ses impacts environnementaux, les défis liés à la conservation et à la transformation des canaux historiques, dont les berges abritaient plusieurs usines, le passé, le présent et l’avenir des sites d’industries textiles et les fonctions des musées et autres lieux culturels dans la mise en valeur du patrimoine industriel figurent parmi les nombreux thèmes à l’affiche du congrès.
«Afin d’adopter une perspective globale et pour éviter de centrer les discussions sur l’Europe et l’Amérique, il sera aussi question du rapport à l’héritage industriel dans les pays du Sud, avec l’ambition de décoloniser l’interprétation du patrimoine industriel», mentionne la professeure.
Des conférences destinées au grand public seront aussi offertes, dont «Le grand Montréal industriel d’hier à demain», «Le patrimoine industriel, un agent de gentrification?» et «Les trajectoires de désindustrialisation et les paysages mémoriels des passés industriels.»
«L’une de ces conférences examinera la manière dont le populisme de droite, comme celui incarné par Donald Trump aux États-Unis, a exploité et alimenté la colère, le ressentiment et la peur des laissés-pour-compte de la désindustrialisation», relève Lucie K. Morisser. La conférencière australienne Laurajane Smith montrera qu’il est possible de mobiliser un répertoire d’émotions positives et d’utiliser le passé industriel pour donner vie à une nostalgie dite progressiste, basée sur l’histoire des luttes collectives des communautés ouvrières.
Visites de terrain
Durant et en marge du congrès, les participants seront invités à découvrir Montréal et son patrimoine industriel grâce à des visites de terrain organisées dans les quartiers Pointe-Saint-Charles et Centre-Sud ou le long du canal de Soulanges et du canal de Lachine. D’autres visites sont prévues dans les villes de Saguenay et d’Arvida.
Les congressistes pourront ainsi apprécier la spécificité du patrimoine industriel québécois, lequel prend des formes différentes selon les régions. «À l’extérieur du grand Montréal, par exemple, le patrimoine industriel est indissociable de l’exploitation des ressources naturelles, remarque la professeure. La présence de nombreux sites miniers, parfois situés dans des régions reculées, permet de comprendre l’abondance des villages industriels et des villes de compagnie. Cela a déterminé la manière dont on a habité le territoire et même conçu et construit les maisons, en plus de transformer la relation des habitants avec leur milieu de travail.»
«Au cours des 40 dernières années, beaucoup de personnes au Québec, ou leurs parents, ont travaillé dans une usine, une manufacture ou une mine. Quand on parle à ces gens-là de patrimoine industriel, ils comprennent de quoi il s’agit.»
Une sensibilité accrue
Depuis les 15 dernières années, on observe une plus grande sensibilité à l’égard du patrimoine industriel montréalais. En vue de l’élaboration de son nouveau Plan d’urbanisme et de mobilité, la Ville de Montréal a soumis à la consultation publique, au printemps 2021, des orientations visant à conserver et à mettre en valeur 46 ensembles industriels d’intérêt patrimonial. Situés dans divers arrondissements de la métropole (Sud-Ouest, Lachine, LaSalle, Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, etc.), ces ensembles incluent, notamment, le complexe de Farine Five Roses, avec son enseigne emblématique, l’imposant Silo no 5, sur la promenade du Vieux-Port, le raffineur Sucre Lantic, ou encore la célèbre brasserie Molson, sur la rue Notre-Dame dans l’est de Montréal.
Avec la désindustrialisation massive, cette sensibilité envers le patrimoine industriel est devenue une nécessité, estime Lucie K. Morisset. Elle est présente tant au sein des pouvoirs publics que de la population. «Cela tient en partie au fait que la société québécoise est de plus en plus scolarisée et de mieux en mieux informée et aussi au fait que le patrimoine industriel renvoie toujours à une expérience humaine. Au cours des 40 dernières années, beaucoup de personnes au Québec, ou leurs parents, ont travaillé dans une usine, une manufacture ou une mine. Quand on parle à ces gens-là de patrimoine industriel, ils comprennent de quoi il s’agit.»
Quelle valeur patrimoniale?
La valeur patrimoniale des complexes industriels – bâtiments, machines, cheminées, voies ferrées et équipements divers – dépend de différents facteurs. Certains ensembles comportent un intérêt historique, rappelant notamment la place de métropole économique occupée par Montréal au fil du temps. D’autres présentent un intérêt architectural associé, entre autres, à la qualité formelle de leurs édifices et spatiale de leurs sites. D’autres encore constituent des points de repère identitaires ancrés dans la vie des quartiers ou des régions.
«Chose certaine, on doit poursuivre l’exercice d’inventaire, de documentation et d’évaluation des ensembles industriels, de leurs territoires et de leurs bâtiments, souligne la professeure. Cela permettra d’enrichir l’histoire de l’urbanisme et de l’architecture depuis l’industrialisation. C’est un grand chantier qui s’ouvre devant nous.»
«Les pouvoirs publics doivent appréhender le patrimoine industriel en l’inscrivant dans une perspective de redéveloppement social.»
L’avenir en question
Plusieurs questions demeurent concernant l’avenir des ensembles industriels, dont celle de leur reconversion pour de nouveaux usages, définis en concertation avec les communautés locales, qui permettent de répondre à des besoins socio-économiques et culturels actuels.
«La justice sociale doit être un critère dans la requalification des sites industriels, soutient Lucie K. Morisset. Il faut cesser d’injecter des millions de dollars dans des projets qui ne profiteront qu’à des promoteurs immobiliers et qui alimenteront le processus de gentrification. Les pouvoirs publics doivent appréhender le patrimoine industriel en l’inscrivant dans une perspective de redéveloppement social.»
Pour connaître la programmation complète du congrès, on visite le site web de l’événement.