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Le rôle stratégique des ressources humaines

La profession s’est développée, mais les défis demeurent nombreux pour les spécialistes souhaitant participer pleinement à l’évolution de leurs organisations.

Par Pierre-Etienne Caza

11 octobre 2022 à 10 h 43

Le rôle administratif qu’occupent les conseillères et conseillers en ressources humaines est bien campé dans l’imaginaire populaire: gestion de la paie, procédures d’embauche, etc. «La fonction RH s’est développée à partir de ces activités liées à la gestion quotidienne, certes, mais on ne doit pas s’en contenter, car elle peut être beaucoup plus que cela», affirme la professeure du Département d’organisation et ressources humaines de l’ESG UQAM Sylvie Guerrero.

La fonction RH s’est enrichie au fil des ans d’une deuxième composante, soit la défense des salariés: la vigilance pour le maintien des emplois et la création de postes, la préservation de la santé physique et mentale des personnes employées, et l’instauration d’un climat de travail sain et sécuritaire figurent désormais parmi les tâches des conseillères et conseillers en ressources humaines, note la professeure.

Les spécialistes en RH sont également appelés à exercer un troisième rôle, celui de partenaire stratégique. «On ne peut pas réfléchir à l’évolution d’une entreprise sans tenir compte des enjeux de ressources humaines, explique Sylvie Guerrero. Les études sont probantes à l’effet que la capacité à exercer ce rôle stratégique participe à la construction des performances organisationnelles.»

Là où le bât blesse, c’est que malgré les données prouvant son utilité, ce rôle de partenaire stratégique n’est pas exercé autant que le souhaiteraient les spécialistes du domaine. «Dans le contexte de la pénurie de main-d’œuvre, l’Ordre des conseillers en ressources humaine agréés (CRHA) souhaite promouvoir la profession et attirer des candidates et des candidats en misant, justement, sur l’importance du rôle stratégique», souligne la professeure.

Sylvie Guerrero et sa collègue Mariline Comeau-Vallée, Michel Cossette (HEC Montréal) et la finissante à la maîtrise Mouna Lachegar ont réalisé une étude visant à comprendre davantage les éléments facilitateurs tout autant que les obstacles empêchant l’exercice de ce rôle stratégique, réalisée auprès de 19 vice-présidentes et de 7 vice-présidents RH au sein de grandes entreprises québécoises (la profession RH est à prédominance féminine, précise-t-elle). «Ces personnes sont capables d’expliquer ce qu’il leur a fallu mettre en place et/ou obtenir pour agir comme spécialiste RH stratégique au sein de leur organisation ainsi que ce qui leur a manqué, note la professeure. Se positionner en tant qu’acteur stratégique au sein d’un conseil d’administration, par exemple, n’est pas du tout la même chose en tant que spécialiste RH qu’en tant que spécialiste marketing.»

Leur étude a bénéficié d’une subvention d’engagement partenarial du CRSH. «À titre de partenaire, le CRHA nous a offert son soutien et ses réseaux afin de faciliter le recrutement des répondantes et répondants, sans toutefois s’immiscer dans la recherche ni dans l’analyse des résultats», précise Sylvie Guerrero.

En plus d’interroger une vingtaine de VP-RH, l’équipe a effectué des entrevues avec une douzaine de directrices et de directeurs généraux ainsi que deux consultants RH à propos de leur travail et de leurs interactions au sein de leurs organisations respectives. «Nous avons ensuite créé trois groupes de discussion mixtes, auxquels nous avons présenté nos résultats préliminaires afin de susciter des discussions et d’enrichir notre analyse», précise la chercheuse.

Développer des tactiques

Les résultats de l’étude indiquent que les VP-RH jonglent avec plusieurs rôles complémentaires: expertes en RH capables de comprendre les défis et les enjeux au quotidien, gestionnaires d’équipe et représentantes de la Direction, capables de formuler une stratégie et de s’investir dans la compréhension des enjeux d’affaires propres à leur organisation. «Contrairement à leurs collègues en finance ou en marketing, les VP-RH soulignent qu’elles doivent non seulement jongler avec tous ces rôles, mais également faire la preuve de l’utilité de leur expertise au niveau stratégique afin que leurs patronnes, patrons et collègues ne les cantonnent pas uniquement aux aspects opérationnels et administratifs traditionnellement associés aux RH», note Sylvie Guerrero.

Ces VP-RH doivent développer des «tactiques» pour établir leur crédibilité au sein des conseils d’administration. «Elles se forment, elles développent leur compréhension des enjeux d’affaires et leur littératie numérique – entre autres, l’analytique RH et la maîtrise des chiffres pour démontrer la valeur ajoutée de ce qu’elles souhaitent mettre en place –, elles apprennent comment se faire des alliés au sein de leur organisation, elles se perfectionnent dans l’art de convaincre et de persuader leurs collègues et leurs patrons. Ce sont des compétences qu’elles acquièrent, mais aussi des habiletés relationnelles et politiques nécessaires pour faire leur place et participer pleinement à l’évolution de l’entreprise qui les emploie», analyse la professeure.

L’équipe de recherche souhaite poursuivre l’analyse des données recueillies afin de mieux comprendre comment se construit le couple DG/VP-RH et comment celui-ci contribue à enrichir le rôle stratégique des ressources humaines.

Du côté des PME

Avec son collègue Michel Cossette, Sylvie Guerrero avait mené une étude portant sur le rôle des conseillères RH dans les PME (80 % de l’échantillon était féminin), étude qui avait aussi bénéficié d’une subvention du CRSH et qui a donné lieu à un article paru l’an dernier dans International Journal of Human Resources Management.

«Contrairement à ce que l’on pourrait croire, plus une entreprise est petite, plus elle bénéficie de la présence d’une conseillère ou d’un conseiller en ressources humaines, révèle Sylvie Guerrero. Parfois on ne voit pas l’intérêt d’un responsable RH dans une petite organisation, où l’on fonctionne souvent de manière informelle. Pourtant, nous avons démontré que la formalisation des processus RH permet de développer une vision à long terme et que c’est au sein de ces entreprises que le rôle stratégique de la conseillère RH a le plus d’impact sur les performances organisationnelles.»