Le bruit dans les océans combiné avec d’autres éléments stressants liés à la navigation, tels que les polluants (pétrole, zinc, cuivre), constitue une menace potentielle pour la vie marine. Cela est reconnu dans la Convention internationale sur la conservation des espèces migratrices et de leurs habitats terrestres et aquatiques, à laquelle adhèrent une centaine de pays. Malgré ce constat préoccupant, très peu d’études ont porté sur ce phénomène. Pour combler cette lacune, une équipe multidisciplinaire regroupant près de 30 chercheuses et chercheurs de la France et du Québec a mis sur pied le projet Auditif, auquel participe la professeure du Département de chimie Isabelle Marcotte.
«L’objectif du projet est de mieux comprendre les impacts écologiques et socio-économiques des pollutions sonore et chimique associées au trafic maritime dans le Golfe du Saint-Laurent sur des espèces d’invertébrés vivant au fond de l’eau, et de développer des outils de suivi et de gestion», explique la professeure, qui est aussi vice-doyenne à la recherche à la Faculté des sciences.
Financé par le Fonds de recherche du Québec sur la nature et les technologies (FRQNT) et l’Agence nationale de la recherche (ANR), en France, le projet est codirigé par les professeurs Réjean Tremblay, de l’Université du Québec à Rimouski, et Frédéric Olivier, du Museum national d’histoire naturelle en France. Ces derniers font partie du laboratoire de recherche franco-québécois BeBest, spécialisé dans l’étude des écosystèmes marins.
Vulnérabilité des mollusques
Auditif se concentre sur la vulnérabilité des mollusques (moules, pétoncles, huîtres, palourdes) au bruit des navires et aux contaminants. Les impacts seront étudiés à la fois dans des zones côtières du Golfe du Saint-Laurent, à proximité des ports de Saint-Pierre-et-Miquelon (territoire français) et de Sept-Îles, ainsi qu’en laboratoire, dans des conditions expérimentales contrôlées. «Une enceinte acoustique a été créée à la station aquicole de l’UQAR et de l’Institut des sciences de la mer de Rimouski, située à Pointe-au-père, pour exposer des larves de moules à des bruits similaires à ceux enregistrés en mer ainsi qu’à différentes concentrations de polluants», indique Isabelle Marcotte.
L’équipe de recherche a ciblé deux espèces de mollusques, la moule bleue et le pétoncle géant, en raison de leur valeur écologique et commerciale. «Nous nous intéressons en particulier aux larves des moules qui, pour se développer, doivent se fixer à des substrats solides immergés, tels que les rochers, les pilotis et mouillages, les parties immergées des bouées ainsi que les coques des bateaux», note la chercheuse. Étant donné son mode d’alimentation par filtration, la moule bleue, par exemple, peut concentrer des substances chimiques toxiques dans ses tissus lorsque ces substances sont présentes dans l’eau ou dans les sédiments. «Notre recherche vise à comprendre dans quelle mesure le bruit causé par le transport maritime et la présence de contaminants peuvent perturber la vie de ces organismes et affecter l’aquaculture des moules», mentionne Isabelle Marcotte.
L’équipe de recherche examinera également les impacts socio-économiques pour les communautés vivant dans les régions côtières du Canada, où l’aquaculture occupe une place importante. Au Canada, l’aquaculture de la moule bleue a débuté dans les années 1990 avec une production relativement faible, inférieure à 5 000 tonnes. Cependant, celle-ci s’est rapidement développée pour devenir un facteur économique majeur dans les zones côtières. En 2019, la production totale de moules au Canada était de 26 000 tonnes, représentant 43 millions de dollars, soit 60 % de la production totale de mollusques bivalves et 37 % des revenus de cette industrie.
Cinq axes de recherche
Le projet Auditif se décline en cinq grands axes de recherche. Isabelle Marcotte est coresponsable du troisième axe, qui consiste à produire des données en laboratoire sur les facteurs multi-stress. «Au moyen de la résonance magnétique nucléaire métabolomique, mon équipe étudiera l’effet du bruit des navires et des cocktails de contaminants ainsi que de leurs interactions sur les larves de moules, en particulier sur les plans génomique, biochimique, physiologique et comportemental», précise la chercheuse.
Les travaux de son équipe, qui inclut le professeur associé du Département de chimie Dror Warschawski, l’agent de recherche Alexandre Arnold et le stagiaire postdoctoral Stéphane Beauclercq, se dérouleront à la station aquicole de l’UQAR et de l’ISMER.
D’autres axes de recherche ont trait à l’évaluation quantitative du trafic maritime dans le Golfe du Saint-Laurent, à l’impact du bruit des navires sur le comportement et la croissance des mollusques en milieu naturel, et à la production de cartes de vulnérabilité des populations de mollusques ainsi que d’outils de gestion pour optimiser l’aquaculture et les pêcheries. «Les résultats de ces recherches pourront servir, notamment, à définir un niveau de bruit acceptable et à identifier des sites de développement d’aquaculture», observe Isabelle Marcotte.
Une démarche entre arts et sciences
Le projet Auditif a aussi fait appel aux talents d’artistes français, le producteur de musique électronique Maxime Dangles et le vidéaste et designer Dylan Cote, qui ont réalisé le film immersif Écosystème, présenté récemment à la Société des arts technologiques (SAT) à Montréal.
Inspiré des travaux des chercheurs, le film nous plonge dans le paysage sonore des fonds marins: bruits des vagues et des moteurs de bateaux, communications des animaux marins, craquements de banquise, écoulement de l’eau ou sons métalliques lancinants. On y entend aussi des commentaires scientifiques sur les recherches de l’équipe du projet Auditif.
«Le fait que nous soyons bombardés d’images sur les impacts environnementaux des activités humaines peut finir, parfois, par nous lasser ou nous désensibiliser, dit la professeure. L’ambiance fascinante créée par la musique et les images du film Écosystème nous font plutôt éprouver une forme d’empathie pour les organismes marins.»
En marge de la COP15, le film est de nouveau présenté à la SAT jusqu’au 16 décembre, à 20 h 30. Le 15 décembre, une causerie est prévue après la projection de 18 h, en présence d’Isabelle Marcotte, de l’agent de recherche au Département de chimie Alexandre Arnold et du réalisateur Alexis Tremblay. Deux autres projections sont prévues la même date à 19 h et 20 h. Pour connaître les détails de la programmation, on clique ici.