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Des lacs de plus en plus pollués par le sel

Des normes gouvernementales plus sévères doivent être établies en Amérique du Nord et en Europe, soulignent deux études.

Par Claude Gauvreau

22 février 2022 à 15 h 02

Mis à jour le 9 juin 2022 à 13 h 09

Série En vert et pour tous
Projets de recherche, initiatives, débats: tous les articles qui portent sur l’environnement

Les sels épandus sur les routes, la chaussée et autres surfaces finissent par ruisseler jusque dans les lacs et les rivières.Photo: Getty/Images

Les directives gouvernementales en Amérique du Nord et en Europe ne parviennent pas à protéger les lacs de la pollution par le sel. C’est l’une des principales conclusions d’une étude internationale à laquelle ont participé des chercheuses et chercheurs de l’UQAM (voir encadré) avec des collègues d’une vingtaine d’universités dans le monde. Cette étude, dont les résultats viennent de paraître dans la prestigieuse revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), portait sur la pollution saline dans 16 lacs situés au Canada, aux États-Unis, en Suède et en Allemagne.

«La pollution saline des écosystèmes d’eau douce est causée principalement par l’utilisation des sels de voirie, notamment le chlorure de sodium, mais aussi par le défrichement des terres, les opérations d’extraction minière et les engrais agricoles», observe la professeure du Département des sciences biologiques Beatrix Beisner, l’une des signataires de l’article.

Les sels épandus sur les routes, la chaussée et autres surfaces finissent par ruisseler jusque dans les lacs et les rivières. Le chlorure s’y accumule, affectant les organismes aquatiques.  «La salinité des eaux douces augmente dans le monde entier et les réglementations  gouvernementales actuelles en matière de qualité de l’eau ne sont pas suffisamment sévères pour enrayer ce fléau», soutient Beatrix Beisner, directrice du Groupe de recherche interuniversitaire en limnologie (GRIL), le plus grand réseau de recherche en écologie des eaux douces au Canada et l’un des plus importants au niveau international.

L’équipe Uqamienne

Outre Beatrix Beisner, l’équipe de l’UQAM ayant participé à l’étude parue dans PNAS était composée de la professeure du Département des sciences biologiques Allison Derry, du doctorant en biologie Louis Astorg et du candidat à la maîtrise en biologie Simon Thibodeau. La doctorante en sciences biologiques de l’Université McGill Marie-Pier Hébert, dont la thèse est codirigée par Beatrix Beisner, a également collaboré à l’étude. Celle-ci était dirigée par des chercheurs de l’Université de Toledo, aux États-Unis, et de l’Université Queen’s, en Ontario.

Effets sur le zooplancton

La recherche consistait à mettre en place des lieux confinés et contrôlés sur les sites à l’étude. Ce dispositif expérimental permet, entre autres, d’étudier des organismes comme le plancton ou le zooplancton lorsqu’ils sont soumis à des variations environnementales ou à des éléments toxiques. L’équipe a prélevé des échantillons d’eau dans les lacs, pour les soumettre ensuite à différentes concentrations de sels. Certains ont reçu de fortes quantités de sels, alors que d’autres en ont reçu beaucoup moins ou pas du tout, l’objectif étant d’examiner la réaction des populations et communautés de zooplancton.

«Les résultats de la recherche viennent renforcer les constats issus d’autres études, selon lesquels la salinité des lacs entraîne une perte massive de zooplancton. Constitué de plusieurs organismes microscopiques, le zooplancton est une ressource alimentaire essentielle pour presque toutes les espèces de poissons dans les lacs, surtout les plus jeunes.»

Beatrix Beisner,

Professeure au Département des sciences biologiques

«Les résultats de la recherche viennent renforcer les constats issus d’autres études, selon lesquels la salinité des lacs entraîne une perte massive de zooplancton, souligne la professeure. Constitué de plusieurs organismes microscopiques, le zooplancton est une ressource alimentaire essentielle pour presque toutes les espèces de poissons dans les lacs, surtout les plus jeunes. Si la population de zooplancton diminue, la population de poissons diminuera également.»

On sait que les sels de voirie perturbent aussi le processus de renouvellement des eaux, diminuant la disponibilité en oxygène dissous dans la couche inférieure des lacs. Cela fait augmenter le stress et la mortalité des organismes, et libère les métaux lourds ainsi que les phosphores des sédiments, lesquels contribuent à nourrir les cyanobactéries (algues bleues).

«Le zooplancton est le plus important prédateur d’algues, incluant des cyanobactéries, jouant ainsi un rôle dans le contrôle de leur prolifération, rappelle Béatrix Besiner. La perte de zooplancton risque donc de favoriser la floraison de cyanobactéries, dont les effets toxiques affectent la faune et la flore aquatiques ainsi que la santé humaine.»

La diminution de zooplancton et la croissance des cyanobactéries entraînent des coûts économiques importants. «La détérioration de la santé des lacs aura nécessairement des retombées négatives sur les activités récréotouristiques, comme la pêche, la baignade, le canot et la voile», indique la chercheuse.

«Sur près des trois quarts des sites étudiés, les seuils de concentration de chlorure à partir desquels on observait une réduction de plus de 50 % du zooplancton étaient égaux ou inférieurs aux seuils établis par la réglementation gouvernementale.»

Alerter les pouvoirs publics

L’étude vise, ultimement, à alerter les pouvoirs publics. Afin de mieux protéger les lacs, l’équipe de recherche appelle les autorités gouvernementales au Canada, aux États-Unis et en Europe à réévaluer et à réduire les seuils existants de concentration des sels.

«Sur près des trois quarts des sites étudiés, les seuils de concentration de chlorure à partir desquels on observait une réduction de plus de 50 % du zooplancton étaient égaux ou inférieurs aux seuils établis par la réglementation gouvernementale», remarque Beatrix Beisner.

Aux États-Unis, le seuil le plus bas de concentration de chlorure établi par l’Environmental Protection Agency est de 230 milligrammes de chlorure par litre d’eau. Au Canada, le seuil a été fixé à 120 milligrammes. Pourtant, une évaluation de la teneur en sels des cours d’eau ontariens réalisée en 2016 par le Fonds mondial pour la nature (WWF-Canada) avait permis de constater dans plusieurs une concentration proche de 1 000 milligrammes tout au long de l’année.

Selon la professeure, il faut réduire les quantités de sels de voirie épandues sur les routes canadiennes chaque année. «On doit aussi envisager le développement d’options alternatives, dit-elle. Entre temps, il faut trouver un équilibre entre le versement de sels visant à assurer la sécurité routière et la protection de la santé écologique de nos cours d’eau.» D’autres chercheurs évoquent le recours à l’eau salée, une solution qui permettrait d’atteindre la même efficacité en matière de déglaçage des routes, mais dont l’impact environnemental pourrait être moins grand.

Les impacts sur la diversité du zooplancton

L’équipe de chercheuses et de chercheurs de l’UQAM a participé à une autre étude, dont les résultats ont été publiés dans la revue Limnology and Oceanography Letters, le 3 février dernier. L’autrice principale de l’article est la doctorante de l’Université McGill Marie-Pier Hébert, codirigée par Beatrix Beisner.

«Nous avons utilisé les données brutes de l’étude internationale parue dans PNAS afin d’examiner les effets des concentrations de sels sur la diversité taxonomique et fonctionnelle du  zooplancton», explique Beatrix Beisner.

L’équipe de recherche a ainsi constaté que certaines espèces de zooplancton étaient davantage intolérantes aux concentrations de sels. «C’est le cas, notamment, du zooplancton crustacé, beaucoup plus sensible au chlore, relève la professeure. Nous avons également remarqué que l’abondance et la biodiversité du zooplancton crustacé déclinaient de façon similaire sur les 16 sites expérimentaux, et ce, malgré des concentrations de chlore considérées comme acceptables dans les recommandations actuellement en vigueur en Amérique du Nord et en Europe.»