Journaliste depuis 37 ans et chef de pupitre de la plateforme web Espaces autochtones de Radio-Canada, Guy Bois (Ph.D. communication, 2020) connaît bien les enjeux sociaux, politiques, culturels et économiques auxquels les Premiers Peuples sont confrontés. L’École des médias a fait appel à son expertise pour donner, cet automne, le nouveau cours «Introduction à la couverture journalistique en milieu autochtone», qui réunit quelque 30 étudiantes et étudiants du programme de baccalauréat en journalisme.
«En 2015, la Commission de vérité et réconciliation du Canada, créée dans la foulée des révélations sur les pensionnats autochtones, recommandait notamment que les universités forment des journalistes aux enjeux concernant les Premières Nations, rappelle Guy Bois. C’est dans cet esprit que l’École des médias a créé ce cours et parce que les médias sont à la recherche de journalistes compétents pour couvrir les réalités autochtones.»
L’objectif du cours est d’outiller les apprentis journalistes pour qu’ils développent leurs aptitudes à intégrer les enjeux autochtones dans leurs projets de reportage, de dossiers et d’entrevues grâce, entre autres, à une meilleure connaissance de l’histoire des Premières Nations. Outre les exposés magistraux, l’approche pédagogique repose sur le visionnement de documentaires et de reportages permettant de mieux saisir les représentations courantes des Premières Nations, et sur des exposés de personnes invitées, le plus souvent d’origine autochtone, qui abordent des sujets liés à la justice, à la gouvernance et à la diversité de l’expression artistique chez les peuples autochtones.
Débusquer les stéréotypes
Débusquer les stéréotypes associés aux représentations dominantes des Autochtones, en particulier dans l’opinion publique, est un autre objectif du cours. «Nous sommes tous marqués par l’éducation que nous avons reçue – en particulier les gens de ma génération –, par ce que nous avons lu, vu et appris sur les Premiers Peuples, souligne le diplômé. Pendant longtemps, l’image qui a prévalu était celle de l’Autochtone guerrier, qui ne paie pas de taxes, qui boit et qui vit aux crochets de la société.»
«Comme disait l’anthropologue Serge Bouchard, les journalistes ne s’intéressent aux Autochtones que lorsqu’ils bloquent des ponts et lancent des pierres aux policiers.»
Guy Bois
Chargé de cours à l’École des médias
Guy Bois a consacré deux séances de son cours à la célèbre crise d’Oka survenue à Kanesatake en juillet 1990, considérée aujourd’hui comme un moment fondateur dans la couverture journalistique des Autochtones. Le journaliste de Radio-Canada Alain Gravel, qui avait couvert la crise, est venu présenter son documentaire Oka: des deux côtés de la barricade, produit en 2020. Il a expliqué aux étudiants à quel point les journalistes de cette époque, comme l’ensemble de la population québécoise, étaient ignorants des enjeux autochtones.
«La tendance dans les médias était de traiter ces enjeux comme des faits divers, observe Guy Bois. Comme disait l’anthropologue Serge Bouchard, les journalistes ne s’intéressent aux Autochtones que lorsqu’ils bloquent des ponts et lancent des pierres aux policiers. La crise d’Oka révélait un enjeu fondamental pour les Autochtones, celui du territoire. Rompre avec la dépendance et se gouverner soi-même ne veulent rien dire si les Autochtones n’ont pas accès aux ressources de leur territoire et si leurs droits ancestraux ne sont pas préalablement reconnus.»
Une autre séance a porté sur la «guerre du saumon» dans la réserve de Listuguj, en Gaspésie, au début des années 1980. On accusait alors les Autochtones de braconnage, un concept importé d’Europe où la faune était la propriété des aristocrates. «Pendant des centaines d’années, note le journaliste, les Micmacs comme les Innus ont géré la biodiversité sur leur territoire en appliquant leurs propres règles de conservation. L’anthropologue Pierre Lepage est venu nous rappeler comment la presse, en particulier les chroniqueurs de chasse et pêche, membres de clubs privés, avait façonné l’opinion publique en renforçant la représentation de l’indien braconnier.»
Des enjeux modernes
Il ne s’agit pas pour les journalistes de promouvoir les revendications autochtones, ce qui équivaudrait à une forme de propagande, prévient Guy Bois. «Cependant, les journalistes doivent être sensibilisés aux enjeux actuels se trouvant au cœur des réalités autochtones.» Pour ce faire, il faut se débarrasser de la représentation passéiste des Premiers Peuples, comme si ceux-ci ne vivaient pas dans la modernité.
«On oublie, par exemple, que 51 % des Autochtones au Canada vivent aujourd’hui en milieu urbain, où ils sont confrontés à des problèmes d’accès aux services de santé et à des logements abordables, où ils doivent faire des études dans une deuxième langue.»
«On oublie, par exemple, que 51 % des Autochtones au Canada vivent aujourd’hui en milieu urbain, où ils sont confrontés à des problèmes d’accès aux services de santé et à des logements abordables, où ils doivent faire des études dans une deuxième langue», indique le diplômé. On oublie également, poursuit Guy Bois, que plusieurs artistes autochtones, tels que la poétesse Natasha Kanapé Fontaine, le peintre Kent Monkman, ou l’écrivaine Naomi Fontaine, expriment des préoccupations contemporaines, qui ont peu à voir avec les représentations folkloriques des cultures autochtones.
La sénatrice d’origine autochtone Michèle Audette viendra parler de l’importance des enjeux de sécurité et des conclusions de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées, à laquelle elle a participé. «Depuis plusieurs années, les Autochtones réclament d’avoir leurs propres forces policières et exigent plus de sécurité pour faire face, entre autres, aux fléaux de la drogue et de la violence à l’égard des femmes, rappelle Guy Bois. Les services de sécurité dans les communautés sont encore assurés par la GRC qui, il n’y a pas si longtemps, venait arracher les enfants à leurs parents pour les amener dans des pensionnats.»
Informer, comprendre, expliquer
Lors de la séance du 11 octobre, il a été question du rôle d’Espaces autochtones, le seul média francophone dédié à la couverture quotidienne de l’actualité autochtone, en présence de son rédacteur en chef, Soleïman Mellali. Créé il y a six ans, Espaces autochtones propose un travail journalistique rigoureux et curieux.
«Nous cherchons, notamment, à montrer la diversité des Premières Nations au Canada, soit 60 nations regroupant 600 communautés», explique le chef de pupitre de la plateforme. Diversité signifie que ces nations ne forment pas un bloc monolithique. «Certaines communautés sont, par exemple, en faveur de l’exploitation pétrolière et de la construction de pipelines, alors que d’autres s’y opposent.»
«Le plus important défi pour les journalistes consiste à établir une relation de confiance avec les membres de Premières Nations, ce qui exige du temps.»
Favoriser le dialogue entre les Premières Nations, et entre celles-ci et les non-Autochtones fait aussi partie de la mission d’Espaces autochtones. «Il est important d’expliquer la démarche actuelle des Premiers Peuples vers l’autodétermination, c’est-à-dire vers l’émergence d’un troisième ordre de gouvernement, relève le journaliste. Les Autochtones ne cherchent pas à s’isoler. Ce qu’ils veulent, c’est la souveraineté-association, établir des relations d’égal à égal.»
Instaurer la confiance
Au cours des prochaines semaines, le cours abordera les défis du journalisme en milieu autochtone. «Le plus important défi pour les journalistes consiste à établir une relation de confiance avec les membres des Premières Nations, ce qui exige du temps, souligne Guy Bois. Les communautés autochtones s’interrogent sur la nature des messages qui seront transmis dans les médias. Comme les communautés non-autochtones, elles sont traversées par des tensions sociales et politiques. Traiter de sujets aussi délicats que la disparition d’enfants en Basse Côte-Nord ou des abus sexuels exige beaucoup de doigté de la part des journalistes.»
La dernière séance du cours traitera du concept d’altérité en s’appuyant sur la pensée de l’historien des idées Tzvetan Todorov. «Ce concept clé peut servir d’outil d’analyse pour bien comprendre les réalités autochtones, estime le diplômé. Il s’agit de reconnaître l’autre dans sa différence à travers le prisme de l’égalité. On peut entrer en contact avec l’autre de bien des façons, un autre différent de soi qui, parfois, remet en question nos valeurs.»
Guy Bois a demandé à ses étudiants de réaliser un reportage sur un enjeu autochtone, dans lequel des Autochtones parlent d’eux-mêmes, ce qui signifie d’aller à leur rencontre. «Je suis chanceux, car j’ai un groupe d’étudiants dynamique, composé en majorité de jeunes femmes. Ils et elles sont brillants, participent beaucoup et posent des questions pertinentes. En tant qu’enseignant, je ne cherche pas à leur imposer une vérité, mais à leur transmettre les fruits de mes expériences et de mes recherches.»
Avec les professeurs en journalisme Patrick White et Jean-Hugues Roy, le chargé de cours travaille à un projet d’école d’été qui se déroulerait dans la communauté innue d’Uashat, dans la région de Sept-Îles. «Tous les fils ne sont pas encore attachés, mais l’idée est de réunir des étudiantes et étudiants en journalisme de l’UQAM et des journalistes autochtones qui travaillent dans des radios communautaires, lesquelles constituent un outil de communication très important pour les Premières Nations. Nous sommes présentement en pourparlers avec l’Institut Tshakapesh, le partenaire autochtone, et Radio-Canada.»