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Iran: les raisons de la colère

La politologue Hanieh Ziaei explique les enjeux qui sont au cœur du mouvement de révolte dans son pays d’origine.

Par Claude Gauvreau

13 octobre 2022 à 16 h 55

Mis à jour le 18 octobre 2022 à 11 h 53

«Le mur de la peur est tombé», lance la politologue d’origine iranienne Hanieh Ziaei (Ph.D. sociologie, 2018), membre associée de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand. L’Iran s’embrase depuis la mort tragique, le 16 septembre dernier, de la jeune Kurde iranienne de 22 ans Masha Amini, arrêtée par la police des moeurs pour un hidjab mal ajusté. Sous le slogan «Femmes, vie, liberté», le mouvement de révolte s’est répandu à travers tout le pays, touchant quelque 150 villes. Malgré la répression brutale du régime islamique, qui a causé la mort d’une centaine de personnes, le mouvement ne faiblit pas.

«La colère est généralisée, traversant les générations et les classes sociales, poursuit la chercheuse. Les Iraniennes et Iraniens sont prêts à prendre des risques, à mettre leur vie en danger pour signifier leur opposition à un État qui, depuis plus de 40 ans, bafoue les droits humains et les libertés tant individuelles que collectives.»

Ce n’est pas la première fois qu’un vent de rébellion souffle sur l’Iran. En 2009, des émeutes avaient éclaté après la réélection contestée du président conservateur Ahmadinejad, entachée de fraudes électorales. De grandes manifestations contre la corruption et la politique d’austérité, en 2017-2018, et contre l’augmentation du prix du carburant, en 2019, avaient aussi secoué le régime. Ce qui distingue le mouvement de protestation actuel, c’est, notamment, l’utilisation des réseaux sociaux – Facebook, Instagram, Twitter –, malgré les tentatives du régime de couper l’accès à Internet.

«Les réseaux sociaux – pensons aux images fortes de femmes brûlant leur hidjab ou de policiers frappant des manifestants – donnent une ampleur particulière au mouvement de protestation et lui procurent une grande visibilité, y compris à l’international», souligne Hanieh Ziaei, qui a commenté la situation en Iran à la populaire émission Tout le monde en parle diffusée le 16 octobre dernier sur les ondes de Radio-Canada.

«Le rejet par de nombreuses Iraniennes du code vestimentaire strict imposé par les autorités, qui oblige à porter le voile, a une portée universelle.»

Hanieh Ziaei,

Membre associée de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord

Les femmes à l’avant-plan

Aujourd’hui, les femmes sont le fer de lance de la révolte. «Le rejet par de nombreuses Iraniennes du code vestimentaire strict imposé par les autorités, qui oblige à porter le voile, a une portée universelle, affirme la politologue. Il faut rappeler que dès 1980, au lendemain de l’instauration de la République islamique, des milliers de femmes avaient manifesté dans les rues de Téhéran et d’autres villes contre le port obligatoire du voile.»

Depuis l’arrivée au pouvoir des mollahs, les droits des femmes ont régressé de manière importante. «Soumises à la charia et à des lois discriminatoires, les Iraniennes ne jouissent pas de droits égaux aux hommes, qu’il s’agisse de mariage, de divorce ou d’héritage, observe Hanieh Ziaei. Elles n’ont pas le droit de voyager seules sans l’autorisation de leur mari, de leur père, de leur frère ou de leur tuteur.»

Cela dit, la forte présence des hommes aux côtés des femmes dans les manifestations des dernières semaines a beaucoup frappé les esprits. «C’est la première fois que l’on voit une telle mobilisation, remarque la diplômée. Les hommes partagent le sentiment de colère des femmes. Celles-ci remettent en question un système de valeurs que beaucoup d’Iraniens, les jeunes surtout, rejettent également. Chose certaine, il est rare de voir des hommes se battre aux côtés des femmes dans les pays dominés par un régime islamique. En Afghanistan, par exemple, les hommes n’ont pas bougé quand les femmes ont subi la répression des talibans.»

«Les moins de 35 ans forment près de 75% de la population. Très présents dans l’espace public, ils constituent une génération fortement scolarisée, dont la maturité politique est remarquable.»


Une jeunesse mobilisée

La mobilisation des jeunes, notamment des étudiantes et étudiants, est une autre caractéristique importante du mouvement de rébellion en Iran. «Les moins de 35 ans forment près de 75% de la population, note Hanieh Ziaei. Très présents dans l’espace public, ils constituent une génération fortement scolarisée, dont la maturité politique est remarquable.»

Aspirant à des réformes démocratiques, la jeunesse iranienne a le regard tourné vers l’Occident. «Les jeunes sont très conscients des réalités extérieures à leur pays. Quand ils comparent les restrictions à leurs libertés fondamentales avec ce qui existe dans d’autres pays, ils éprouvent une grande frustration. Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant de constater que les taux de suicide et d’addiction à diverses drogues sont très élevés.»


Le rôle de la diaspora

Présente au Canada, aux États-Unis et en Europe, la diaspora iranienne joue un rôle important pour relayer les informations sur la situation en Iran et alimenter le mouvement de solidarité internationale. Ses membres ont d’ailleurs organisé récemment des manifestions à Montréal, Toronto, Vancouver et dans d’autres ville en Amérique du Nord.

«De nombreux membres de la diaspora sont des étudiantes et étudiants qui ont gardé des liens forts avec leur famille vivant en Iran, relève la chercheuse. Ils se sentent particulièrement concernés par ce qui se passe dans leur pays, que plusieurs ont quitté pour des raisons politiques.»

«Bien que l’avenir du mouvement demeure incertain, tous les démocrates du monde souhaitent que l’élan du peuple iranien se poursuive.»

Le problème est que cette diaspora est divisée, traversée par différents courants idéologiques et politiques. «On y trouve, entre autres, des démocrates, des partisans de l’ancien régime du Shah, des moudjahidines et des communistes, dit Hanieh Ziaei. Il existe aussi une sorte de clash générationnel entre les Iraniens vivant en exil depuis 30 ou 40 ans et ceux, plus jeunes, ayant quitté récemment leur pays natal. Ils ne parlent pas nécessairement le même langage.»


Une caste corrompue

Faut-il s’attendre à ce que le régime islamique durcisse la répression au cours des prochaines semaines. «Difficile de prédire ce qui va arriver, dit la diplômée. Ce régime autoritaire dispose de plusieurs moyens pour étouffer la révolte. S’il se sent menacé, il est certain qu’il ira au bout de la répression. Les dirigeants forment une caste corrompue qui fera tout pour ne pas perdre ses privilèges.»

La possibilité qu’un président au visage réformateur accède au pouvoir n’est pas à exclure, croit Hanieh Ziaei. «Mais il n’est pas dit que le régime tomberait pour autant.»

Selon la chercheuse, il faudra du temps avant qu’un changement en profondeur ne survienne dans le pays. La question qui se pose actuellement est jusqu’à quel point la population pourra résister à la répression en l’absence d’une opposition structurée. «Bien que l’avenir du mouvement demeure incertain, tous les démocrates du monde souhaitent que l’élan du peuple iranien se poursuive.»

Témoignage d’une étudiante iranienne

Une étudiante d’origine iranienne, dont nous taisons le nom à sa demande pour des raisons de sécurité, a tenu à exprimer un message de solidarité.

«Je soutiens fermement les récentes manifestations en Iran, dit-elle. Étant donné que l’accès à Internet a été restreint ces derniers jours et que les manifestants en Iran sont arrêtés, battus ou tués, il est plus que jamais nécessaire de témoigner sa solidarité avec le peuple iranien.»

Selon l’étudiante, cette «révolution» ne concerne pas seulement l’Iran. «Il s’agit d’une  grande révolution féministe qui cherche à faire respecter les droits des femmes avec le beau slogan “Femme, vie, liberté”. Je souhaite que l’ensemble de la communauté internationale, en particulier les personnes qui défendent les droits des femmes et les étudiantes et étudiants, fasse écho à la voix du peuple iranien.»

L’UQAM compte près de 100 étudiantes et étudiants iraniens.

«Nous, Iraniens, espérons des jours meilleurs et nous ne cesserons pas de nous battre pour la liberté», conclut la jeune femme.