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Intelligence artificielle et tests de personnalité

Des chercheurs s’allient à une entreprise pour concevoir des tests capables de mesurer plusieurs facettes du profil d’un individu.

Par Claude Gauvreau

9 juin 2022 à 14 h 26

Mis à jour le 14 juin 2022 à 17 h 48

Plusieurs entreprises et organisations utilisent des tests de personnalité dans leur processus d’embauche de gestionnaires ou de cadres. Validés scientifiquement, les meilleurs tests comportent deux difficultés. Ils mesurent un seul aspect du profil d’un individu – son intelligence émotionnelle, ses aspirations de carrière ou la force de son caractère – et le font en posant un grand nombre de questions, plus de 200 dans certains cas.

Afin de pallier ces difficultés, le professeur du Département d’organisation et ressources humaines de l’ESG UQAM Ewan Oiry mène un projet de recherche en partenariat avec Neuligent, une jeune pousse spécialisée dans les applications d’intelligence artificielle (IA) en gestion des ressources humaines. L’objectif de ce projet financé par le CRSH est d’aider l’entreprise à concevoir, au moyen de l’IA, des tests de personnalité enrichis pour des fins de recrutement. Trois autres chercheurs sont impliqués dans le projet: Alain Lacroux, de l’Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis, Christelle Lacroux Martin, de l’Université de Grenoble Alpes, et  Pénélope Codello, de HEC Montréal.

«Il existe plusieurs types de tests psychométriques de personnalité, comme ceux permettant d’évaluer les valeurs d’un individu, ses comportements, son style de communication ou de leadership, explique Ewan Oiry. Notre projet de recherche représente l’une des premières tentatives au Québec d’utilisation de l’IA pour concevoir des tests améliorés.»

Spécialisée dans le recrutement, la sélection de tests de personnalité et leur validation statistique, l’équipe de recherche accompagnera et guidera l’entreprise Neuligent dans sa démarche.

Un seul aspect de la personnalité

Les entreprises peuvent-elles vraiment décider d’embaucher ou non une personne en se basant sur un seul aspect de sa personnalité? «Oui, répond le professeur. Évidemment, les entreprises utilisent d’autres outils d’évaluation, comme le curriculum vitæ et l’entrevue individuelle, qui fournissent des informations complémentaires concernant, par exemple, les aptitudes à communiquer ou le style de leadership. Mais elles ont généralement recours à un test de personnalité axé sur une seule facette du profil d’un candidat.»

L’entreprise Neuligent vise à concevoir des tests capables de mesurer plusieurs aspects de la personnalité d’un individu – ses aspirations de carrière, sa conception de l’emploi idéal, ses sources de satisfaction au travail, son intelligence émotionnelle, sa force de caractère –, en lui posant moins de questions et dans un laps de temps relativement court. L’équipe de recherche expérimentera des tests auprès d’un échantillon suffisamment large de volontaires, dont les données personnelles serviront de base d’entraînement à un algorithme d’apprentissage automatique supervisé.

«Il s’agit de développer un algorithme capable de prédire les réponses des candidats en s’appuyant sur celles fournies aux premières questions qui leur auront été soumises, précise le chercheur. De cette manière, on pourra considérer qu’ils ont répondu à une question même si celle-ci ne leur a pas été posée.» Le défi consistera à s’assurer de la fiabilité des prédictions de l’algorithme et de la validité statistique des réponses.

Contrer les dérives éthiques

L’équipe de chercheurs et Neuligent sont sensibles aux dérives éthiques potentielles de l’IA. Les données avec lesquelles les algorithmes d’apprentissage sont entraînés peuvent comporter des biais liés, par exemple, au sexe, au genre, à la race ou à l’âge, reproduisant ainsi des préjugés sociaux et générant des effets discriminatoires pour certains individus ou groupes d’individus.

«L’entreprise Amazon, par exemple, a entraîné un algorithme pour son recrutement, lequel a fini par reproduire des biais qu’il était censé éviter, remarque Ewan Oiry. Pour notre part, nous avons écarté certaines technologies d’IA très prometteuses, comme les algorithmes d’apprentissage profond (deep learning), qui s’appuient sur des réseaux de neurones artificiels, parce qu’ils ne permettent pas de retracer la manière dont ils prennent une décision ou font une prescription. Chose certaine, nous devrons nous assurer que la base de données servant à l’entraînement de l’algorithme d’apprentissage automatique reflète la diversité potentielle des candidats, soit des hommes et des femmes de différents âges et d’origines diverses, sinon les prédictions seront erronées ou biaisées.»

Le projet de recherche est basé sur des engagements éthiques clairs concernant l’utilisation des données personnelles des individus qui seront recrutés afin de répondre aux tests. «Ces personnes seront informées quant à la manière dont les données seront utilisées et quant aux prédictions faites par l’algorithme», indique le professeur.

Si les résultats de la recherche s’avèrent probants, l’entreprise Neuligent évaluera la possibilité de les commercialiser.