On apprenait en début d’année que les abonnements aux plateformes de visionnement en ligne ont surpassé les abonnements aux chaînes câblées depuis l’automne 2021 au Québec. «La tendance était inéluctable et la pandémie a accentué le mouvement, observe la professeure de l’École des médias Stéfany Boisvert. Nos habitudes de divertissement contribuent à renforcer l’hégémonie des Netflix, Amazon Prime et Disney+.»
Ces plateformes numériques proposent des films, mais elles attirent surtout leurs abonnés avec des séries de qualité. «Il y a quelques années à peine, on produisait des séries comiques ou dramatiques consensuelles. On sent désormais une volonté d’investir dans des contenus de genre, comme la fantasy, la science-fiction et l’horreur, qui sont très populaires. L’adaptation de jeux vidéo offre des univers de choix pour ce type de production», analyse la spécialiste de la convergence médiatique.
Une guerre de surenchères
À la fin mars, la nouvelle plateforme Paramount+ diffusait le premier épisode de la série Halo, tirée de la série de jeux vidéo du même nom. Cette science-fiction militaire est considérée par plusieurs comme l’un des meilleurs jeux de tir à la première personne sur console. «Halo est une grosse acquisition pour Paramount+, qui espère s’en servir comme locomotive», confirme Stéfany Boisvert.
On assiste à une guerre de surenchères entre les plateformes américaines pour acquérir les droits de propriété intellectuelle des jeux vidéo les plus populaires, souligne la professeure. «L’objectif est d’attirer de nouveaux abonnés, parmi lesquels des joueuses et des joueurs, en plus de retenir les autres avec des productions spectaculaires.»
C’est ainsi qu’Amazon Prime lancera bientôt la production de Fallout et veut acquérir les droits du jeu God of War. HBOMax va adapter The Last of Us, dont l’action est campée dans un univers post-apocalyptique et Netflix va se lancer dans la production d’une série tirée d’Assassin’s Creed, en plus d’avoir acquis les droits de Resident Evil, dont le premier épisode sera diffusé en juillet prochain. Le géant américain a aussi diffusé l’an dernier la première saison d’Arcane, dont le scénario prend place dans l’univers du très populaire jeu League of Legends, ainsi que deux saisons de la série fantasy tirée du jeu The Witcher (2019 et 2021).
Développer un récit
L’idée n’est pas nouvelle. Plusieurs jeux vidéo ont fait l’objet d’adaptations cinématographiques depuis la fin des années 1990. On pense à Tomb Raider (2001) avec Angelina Jolie ou, justement, à Resident Evil (2002) avec Milla Jovovich. «L’expérience a démontré que l’adaptation est rarement un succès, souligne Stéfany Boisvert. La plupart des films ont obtenu une mauvaise réception des fans et des journalistes spécialisés ainsi qu’un faible rendement au box-office – ou un rendement potable, mais nettement en-deçà des attentes.»
Les vastes univers des jeux vidéo ne se prêtent pas facilement aux limites imposées par un film de deux heures. «Voilà pourquoi on reprend aujourd’hui les mêmes jeux en format sériel: cela permet de développer un récit sur une longue durée et d’explorer la multiplicité des univers offerts par les créateurs du jeu», note la spécialiste.
Atteignant parfois plus de 10 millions de dollars par épisode, la production de ces séries représente des investissements astronomiques, mais le jeu en vaut apparemment la chandelle pour les plateformes numériques.
Des adeptes passionnés
«Cela dit, les adeptes d’un jeu vidéo vont toujours attendre une production dérivée avec une brique et un fanal, poursuit en riant Stéfany Boisvert. C’est très difficile de satisfaire des joueuses et des joueurs qui se sont investis dans l’univers d’un jeu pendant des heures.»
Le candidat à la maîtrise en communication (jeux vidéo et ludification) François Savard est l’un de ces joueurs. Il adore l’univers de Halo. «Quand j’ai appris que la série allait proposer une trame narrative alternative, j’étais déçu, reconnaît-il. Quand je consomme le produit dérivé d’un jeu – que ce soit un roman, une BD ou une série, c’est pour ajouter à mon expérience. Or, une trame alternative implique de laisser de côté tout ce que je connais du jeu pour plonger dans une histoire différente.»
Pour les joueurs, le jeu vidéo n’est pas qu’un simple produit, explique la professeure du Département de communication sociale et publique Maude Bonenfant. «Ce n’est pas comme un film pour un cinéphile. Lorsque les gamers s’attachent à un univers ou à un type de jeu, comme Halo, cela devient une part de leur identité. Ils vivent à travers l’expérience du jeu et de la communauté, et ils sont très actifs sur les médias socionumériques. Ils sont critiques des produits dérivés, car le jeu et son univers constituent un objet de passion pour eux», analyse celle qui a mené plusieurs études sur les communautés de joueuses et de joueurs.
«Les créateurs d’une série tentent à la fois de contenter les adeptes du jeu, tout en aménageant le récit pour le rendre plus rassembleur, de manière à intéresser également les gens qui ne sont pas familiers avec cet univers-là. Il y a moyen de satisfaire les fans en offrant un point de vue différent sur une œuvre qu’ils croyaient connaître», estime Stéfany Boisvert.
Après le visionnement du premier épisode de Halo, François Savard a révisé son jugement. «Ce sera une bonne série, dit-il. L’histoire qui se dessine semble intéressante. L’utilisation de bruits tirés du jeu et de scènes de combat à la manière du jeu à la première personne est intéressante. J’ai hâte de voir la suite!»