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Un étudiant à la défense de Kyiv

Danylo Velychko, ex-stagiaire à l’UQAM, s’est joint à l’armée pour défendre sa ville natale.

Par Marie-Claude Bourdon

4 mars 2022 à 11 h 03

Mis à jour le 9 juin 2022 à 13 h 09

Danylo Velychko

«Le 23 février était une belle journée, le ciel était bleu et le soleil brillait de mille feux. En sortant de l’école, j’ai pensé: “Quel beau temps, et peut-être que la guerre va commencer”», a écrit Danylo Velychko dans le journal qu’il tient depuis le début de l’agression russe. Étudiant à l’Université nationale Taras-Chevtchenko de Kyiv, la plus grande et la plus prestigieuse d’Ukraine, le jeune homme de 20 ans a été chercheur stagiaire à l’UQAM l’an dernier. À cause de la pandémie, l’étudiant en commerce international a fait son stage à distance. Jeudi dernier, quand les troupes russes ont commencé à envahir son pays, il a délaissé ses études pour s’enrôler dans la défense de sa ville natale. Le soir même, l’Ukraine annonçait la mobilisation générale.

Comme des milliers de jeunes Ukrainiens, Danylo n’avait jamais reçu de formation militaire. Depuis une semaine, il s’entraîne «à l’art de la guerre», me répond-il dans un échange par messages textes, et manie une AK-47. «Mais, eh, ajoute-t-il, comment peut-on apprendre à se battre en cinq jours?»

Comme il est fort en maths et habile à gérer des documents, Danylo rapporte qu’il collabore à l’organisation documentaire de son unité de défense territoriale. «Il y a beaucoup de soldats aguerris dans mon unité et, en fait, ils s’occupent des tâches difficiles», confie l’étudiant.

Il est tout de même fier d’avoir réussi à faire capturer deux présumés saboteurs affiliés à l’ennemi. On se méfie des infiltrés pro-russes et on utilise diverses astuces pour les traquer: leur faire dire des mots ukrainiens que les Russes ont du mal à prononcer, les questionner sur des sujets typiquement ukrainiens. «Des gars m’ont approché pour se joindre à nous. Nous avons commencé à parler, j’ai posé plusieurs questions à propos de Kyiv et de l’Ukraine. Quand ils n’ont pas été capables de fournir des informations correspondant à leurs papiers, je me suis aperçu que c’étaient des imposteurs. Ils ont été arrêtés.»

Comment se sent-il? Comment perçoit-il la situation? «Il y a deux façons de considérer cette question, répond-il. Je sens que nous allons gagner la guerre. Toute la communauté internationale est derrière l’Ukraine. Nos soldats sont braves et bien équipés. Nos ennemis abandonnent la partie quand ils nous voient. Personnellement, j’ai un peu peur. Sans préparation, je pourrais facilement mourir. Mais je me prépare, et j’espère que cette peur va bientôt s’estomper.»

La famille de Danylo a fui Kyiv pour la campagne. Quand je lui demande si l’Université a cessé toutes ses activités, il répond qu’on leur a donné congé jusqu’au 13 mars… Il faut avoir beaucoup d’espoir pour penser que les cours reprendront aussi rapidement. Depuis une semaine, les Ukrainiens ne cessent de nous étonner.

Danylo Velychko avant la guerre. Photo tirée de son compte Instagram.

Danylo a fait un stage auprès du groupe de chercheurs en responsabilité sociale et développement durable (CRSDD) dirigé par Corinne Gendron (Ph.D. sociologie, 2001), professeure au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’ESG UQAM. Son stage portait sur une comparaison des institutions financières entre le Québec et l’Ukraine dans une perspective de finance responsable. «Le sujet m’intéressait», dit-il pour expliquer ce qui l’a motivé à choisir ce stage à l’UQAM.

«C’est un étudiant très sérieux, malgré son jeune âge», affirme Charles Duprez, finissant à la maîtrise en responsabilité sociale et environnementale, un des deux chercheurs du CRSDD qui a collaboré à son encadrement, avec le doctorant Benoit Genest (B.A. philosophie, 2013). Pour sa recherche, le jeune Ukrainien s’est entretenu avec des cadres de la Caisse de dépôt et placement du Québec, de Desjardins, du Fonds de solidarité FTQ et de Fondaction. «Le but de Danylo serait de venir faire une maîtrise au Québec», ajoute Charles Duprez.

Dans son journal rédigé en Ukrainien – que nous avons pu lire grâce à une traduction automatisée –, l’étudiant confie ses émotions au moment de quitter le chalet où il s’était réfugié avec sa famille le soir de l’attaque russe: «”Maman, je veux aller à l’armée” ont été les mots qui m’ont fait pleurer, écrit-il. Puis j’ai pensé que je ne reviendrais peut-être pas.» Il est parti avec un ami et son père, «une sorte de bataillon familial».

«Sans expérience, sans connaissances et sans compétences», ils sont allés défendre leur patrie. «L’image d’un guerrier suicidaire qui pose sa vie sur l’autel de l’indépendance est encore conservée dans nos têtes», écrit-il.

Après avoir démasqué ses deux saboteurs, Danylo raconte qu’on lui a proposé de joindre une compagnie d’élite. «”Pourquoi?”, je pensais. Je ne suis pas prêt à y aller. Pour une raison quelconque, ils ont décidé que parce que je pouvais parler à deux ivrognes, je serais capable d’aller défendre les endroits les plus chauds de la ville.» Il a refusé.

S’interrogeant sur son choix, se demandant s’il a été lâche, Danilo examine sa décision. «Je comprends que je puisse perdre la chance de devenir le héros dont les films sont faits, écrit-il dans son journal. Cependant, je ne peux pas rester côte à côte avec vous parce que je ne suis tout simplement pas prêt. J’ai tenu une arme à feu trois fois dans ma vie, je frissonne encore parfois à cause des coups de feu, et je ne parle pas du fait que je ne vois pas bien. Et une dernière chose: j’ai promis de revenir vivant.»

Danylo a été affecté à la 7e compagnie. «Un numéro porte-bonheur, n’est-ce pas?»

N.D.L.R.: Par solidarité avec le peuple ukrainien, nous avons modifié l’orthographe de Kiev pour Kyiv, qui reflète la traduction phonétique du nom de la capitale prononcé en ukrainien, plutôt qu’en russe.