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États-Unis: un verdict électoral en demi-teinte

Une table ronde de l’Observatoire sur les États-Unis analyse les résultats des élections de mi-mandat.

Par Claude Gauvreau

11 novembre 2022 à 12 h 18

Mis à jour le 14 novembre 2022 à 8 h 27

Qui sont les gagnants et les perdants des élections de mi-mandat aux États-Unis? Comment ces élections mettent-elles la table en vue de l’élection présidentielle de 2024? Quels seront les enjeux à surveiller au cours des deux prochaines années? Ces questions et bien d’autres étaient au centre des discussions lors d’une table ronde de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, tenue à l’UQAM le 10 novembre.

«On ne connaît pas encore les résultats finaux des élections, mais on a déjà de bons indices sur ce qu’ils réservent pour les deux grands partis américains», a déclaré d’entrée de jeu le professeur du Département de science politique Frédérick Gagnon, titulaire de la Chaire et directeur de l’Observatoire. Les démocrates conservent de justesse le contrôle du Sénat grâce aux deux sièges remportés ce week-end en Arizona et au Nevada. Quant aux républicains, ils devraient obtenir la majorité à la Chambre des représentants, mais d’une courte tête.

Chose certaine, les résultats des élections de mi-mandat n’ont pas sanctionné sévèrement le parti au pouvoir à la Maison-Blanche, comme le veut la tradition.

Animée par Frédérick Gagnon, la table ronde réunissait quatre doctorantes et doctorants en science politique – Andréanne Bissonnette, Mathilde Bourgeon, Vincent Boucher et Victor Bardou-Bourgeois –, tous chercheuses et chercheurs en résidence à l’Observatoire.


Un redécoupage moins favorable que prévu pour les républicains

Comment expliquer que les démocrates aient résisté mieux que prévu, privant Donald Trump de la vague rouge sur laquelle le milliardaire américain comptait surfer pour se lancer à nouveau à la conquête de la présidence? «Le redécoupage électoral a desservi jusqu’à un certain point les républicains, car le nombre de circonscriptions où ils pouvaient espérer faire des gains était moins élevé qu’en 2010 et 2018», a noté Vincent Boucher.

Certains observateurs ont expliqué les faibles gains du Pari républicain par la présence des election deniers, ces candidats controversés qui continuent de contester la victoire de Joe Biden à la présidentielle de 2020. «Le 8 novembre, les election deniers ont plutôt connu une bonne soirée, a rappelé Victor Bardou-Bourgeois. Quelque 13,4 millions d’Américains ont voté pour eux et 169 de ces candidats ont remporté la victoire. De ce nombre, une dizaine ont exprimé ouvertement leur soutien à des groupes d’extrême-droite. Tous ces élus, dont certains adhèrent à la mouvance conspirationniste QAnnon, risquent d’avoir un poids important à la Chambre des représentants.»

Dans certaines régions, toutefois, «les election deniers ont moins bien performé, a relevé Frédérick Gagnon, notamment en Pennsylvanie, un État clé où le candidat républicain Mehmet Oz a perdu son poste de sénateur contre son adversaire John Fetterman». Dans le Midwest, les démocrates ont bien fait également. «Beaucoup d’électeurs républicains semblent avoir choisi consciemment des candidats plus modérés.»


Droit à l’avortement

Des sondages réalisés à la sortie des urnes ont indiqué que les enjeux les plus importants aux yeux de plusieurs électrices et électeurs étaient l’inflation et le droit à l’avortement. Les démocrates ont fait campagne pour défendre le droit à l’avortement, ce qui leur a permis de maintenir et de remporter des sièges, notamment de gouverneur. «Cette question a été particulièrement déterminante dans des États où elle faisait l’objet d’un vote référendaire, a observé Andréanne Bissonnette. Au Kentucky, un État pourtant ultra conservateur, 52 % des électrices et électeurs ont rejeté une mesure visant à modifier la constitution pour y interdire l’avortement. Même constat au Montana. Au Vermont et en Californie, une majorité d’électeurs ont décidé, pour leur part, d’enchâsser le droit à l’avortement dans leur constitution respective.»


Impacts sur la présidence Biden

Le congrès élu le 8 novembre entrera en fonction le 3 janvier prochain. Cela signifie que, d’ici là, les démocrates continueront de se prévaloir de leur majorité actuelle à la Chambre des représentants. «Ils pourront ainsi essayer de régler des dossiers susceptibles de leur poser problème, comme celui de l’adoption d’un budget pour l’année fiscale 2023, a indiqué Vincent Boucher. Un autre dossier important concerne la négociation de la dette fédérale, qui a atteint des sommets astronomiques. Les républicains vont tout tenter pour enrayer le processus législatif et ainsi obtenir des concessions de la part des démocrates.»

On peut aussi s’interroger sur ce qui adviendra de la loi sur la lutte contre l’inflation, laquelle comporte des mesures importantes, notamment en ce qui concerne la réduction des prix des médicaments, le combat contre le réchauffement climatique et les investissements dans les énergies renouvelables. Selon Frédérick Gagnon, «cela ne veut pas dire que le plan Biden sur ces questions sera mis de côté, mais il est à prévoir que les républicains engageront un bras de fer pour forcer le président à abandonner ses promesses».

Une autre querelle pourrait survenir autour des enjeux d’immigration, alors que des élections importantes pour des postes de gouverneur ont eu lieu dans trois États concernés par les mouvements migratoires à la frontière américano-mexicaine, soit le Texas, l’Arizona et la Floride. «Vainqueur au Texas, le gouverneur républicain Greg Abbott a déjà annoncé qu’il expulserait les migrants sans papiers et les demandeurs d’asile vers des États démocrates, a noté Mathilde Bourgeon. L’enjeu est aussi de taille en Arizona et en Floride où les législatures républicaines ont adopté des mesures extrêmement restrictives à l’égard des immigrants.»

En matière de politiques sociales, de santé notamment, la possibilité de discussions entre républicains et démocrates n’est pas à exclure. «En matière de soins de santé, le taux d’endettement de la population est problématique, a mentionné Andréanne Bissonnette. Après avoir combattu l’Obamacare ces dernières années, les républicains n’ont rien de nouveau à proposer, alors que les démocrates souhaitent accroître la télémédecine et l’importation de médicaments.»

Sur le plan de la politique étrangère, le Congrès représente un acteur majeur, a souligné Vincent Boucher. «Détenant les cordons de la bourse, c’est lui qui autorise le financement de l’aide militaire à l’Ukraine. Sur cette question, les républicains sont divisés et l’opinion publique américaine est peu favorable. Des négociations importantes sont à prévoir.» Par ailleurs, en étant majoritaires à la Chambre des représentants, les républicains pourront utiliser les commissions parlementaires afin de mener des enquêtes et forcer l’administration Biden à rendre des comptes, notamment en ce qui concerne le retrait bâclé des troupes américaines d’Afghanistan.

Une majorité démocrate au Sénat aura aussi des effets importants. «N’oublions pas que le Sénat doit approuver les nominations présidentielles aux postes de Secrétaire d’État et de Secrétaire à la Défense», a rappelé Frédérick Gagnon.


Un nouveau duel Biden-Trump en 2024?

À quoi faut-il s’attendre pour les présidentielles de 2024? Donald Trump et Joe Biden se porteront-ils à nouveau candidats? Même si les républicains ont connu des résultats mitigés aux élections de mi-mandat, la plupart des panélistes ont reconnu que le trumpisme demeure vivant chez nos voisins du Sud.

Dans la course à l’investiture républicaine en vue des prochaines présidentielles, le gouverneur Ron DeSantis, qui a remporté une victoire éclatante en Floride, s’avère l’étoile montante du Grand Old Party et le principal rival potentiel de Donald Trump. «Sur le plan des idées, DeSantis épouse un conservatisme similaire à celui de Trump, a affirmé Victor Bardou-Bourgeois. Champion de l’opposition aux restrictions anti-Covid, il s’est aussi distingué par ses croisades morales et ses positions anti-immigration.»

«Même si les partisans de Trump demeurent très mobilisés, de plus en plus de républicains s’interrogent sur ses dernières performances, a souligné Frédérick Gagnon. Aux présidentielles de 2016, Trump a gagné par la peau des dents, puis a subi une défaite aux élections de mi-mandat de 2018, avant de mordre la poussière devant Joe Biden en 2020. Aujourd’hui, beaucoup de républicains disent qu’il est peut-être temps que Trump se retire parce qu’il est devenu une nuisance.»

Dans le camp démocrate, l’incertitude demeure. «De possibles candidats parmi les élus du 8 novembre pourraient se présenter aux prochaines primaires démocrates», a avancé Andréanne Bissonnette. Frédérick Gagnon, pour sa part, n’a pas exclu une nouvelle candidature de Joe Biden. Depuis deux ans, malgré une mince majorité au Congrès, le président a réussi à imposer d’importantes réformes, qu’il s’agisse du plan de relance postpandémie, de la loi sur la réduction de l’inflation, du développement des technologies vertes ou du contrôle des armes à feu. «Après tout, Joe Biden est l’un des présidents les plus impopulaires de l’histoire à avoir perdu le moins de sièges lors d’une élection de mi-mandat!», a conclu le professeur.