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Eaux souterraines: rendre visible l’invisible

La protection des eaux souterraines fait l’objet d’une conférence à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau.

Par Claude Gauvreau

21 mars 2022 à 16 h 03

Mis à jour le 9 juin 2022 à 13 h 09

Série En vert et pour tous
Projets de recherche, initiatives, débats: tous les articles qui portent sur l’environnement

Constituant l’un des maillons du cycle de l’eau, les eaux souterraines alimentent constamment le niveau d’eau des rivières, des lacs et des zones humides.
Photo: Organisme de bassin versant de la Rivière-du-Nord

«Les eaux souterraines: rendre visible l’invisible» est le thème de l’édition 2022 de la Journée mondiale de l’eau, célébrée par les Nations Unies le 22 mars de chaque année. À cette occasion, l’équipe UQAM écoresponsable a présenté la conférence virtuelle «L’état de l’or bleu au Québec», qui a réuni la professeure du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère Violaine Ponsin, la postdoctorante Karine Lefebvre et la chargée de projet Caroline Larocque (voir encadré). Violaine Ponsin a abordé les défis actuels liés à la protection des eaux souterraines au Québec.

Les eaux souterraines ont beau être invisibles, leur influence, elle, est visible partout. Les eaux souterraines fournissent près de la moitié de l’eau potable dans le monde, environ 40 % de l’eau destinée à l’agriculture irriguée et environ un tiers de l’eau nécessaire à l’industrie. Sans elles, la vie ne serait pas possible sur Terre.

«Au Canada, 10 millions de personnes sont tributaires de l’eau souterraine pour leurs besoins domestiques, que ce soit par l’entremise de puits privés ou de puits municipaux», rappelle Violaine Ponsin, qui est membre de l’Institut des sciences de l’environnement et du Centre de recherche sur la dynamique du système Terre (GEOTOP). «Au Québec, poursuit-elle, 90 % du territoire, en grande majorité rural, dépend des eaux souterraines pour l’approvisionnement en eau.»

Les eaux souterraines sont aussi essentielles à l’équilibre des écosystèmes aquatiques dans la mesure où elles alimentent le niveau d’eau des rivières, des lacs et des zones humides. Enfin, les poissons et autres espèces aquatiques dépendent de ces eaux pour le maintien de leur habitat et de la qualité de l’eau.

«L’état de l’or bleu au Québec», 22 mars

Outre Violaine Ponsin, les chercheuses Karine Lefebvre et Caroline Larocque comptaient parmi les conférencières. 

Post-doctorante au GEOTOP, Karine Lefebvre est une spécialiste de l’hydrogéologie et de la géochimie isotopique. Coordonnatricede l’équipe Hydro Sciences du professeur Florent Barbecot, elle collabore à une recherche visant à répondre aux besoins de collectivités locales. Elle met à profit son expérience pour améliorer la compréhension de l’impact des activités humaines sur la ressource en eau dans le contexte des changement climatiques. Dans sa présentation, elle a dressé un portrait des contextes climatiques et hydrologiques du Québec méridional ainsi que des enjeux majeurs en matière de recherche.  

Caroline Larocque est chargée de projet – développement durable et communication – au Réseau des femmes en environnement. Elle est aussi coordonnatrice du projet «Diminuer les rejets toxiques dans l’eau: j’agis aujourd’hui», dont la mission est de sensibiliser les citoyens à l’adoption de comportements responsables visant à réduire la quantité de rejets toxiques dans l’eau. Lors de la conférence, elle a mis en lumière différents gestes pouvant être posés à la maison pour réduire à la source la pollution des eaux.

Des eaux mal connues

Malgré l’importance des eaux souterraines, la connaissance que nous en avons au Québec a longtemps été fragmentaire. Afin de répondre aux sollicitations croissantes concernant son utilisation, le gouvernement du Québec a lancé, en 2008, le Programme d’acquisition de connaissances sur les eaux souterraines (PACES). «L’objectif du programme est de protéger les eaux souterraines et d’en assurer la pérennité, note la professeure. À ce jour, les études PACES ont permis de caractériser cette ressource dans plus de 75 % des municipalités au Québec.»  

Les études PACES visent aussi à répondre à diverses questions afin de brosser un portrait global de la situation. L’eau souterraine est-elle potable? Quelles sont les quantités d’eau souterraine exploitables de façon durable? L’eau souterraine est-elle vulnérable aux activités humaines? Quels sont les polluants les plus préoccupants?

«Au regard de la réglementation québécoise sur l’eau potable, la qualité des eaux souterraines est généralement bonne, observe Violaine Ponsin. Cela dit, on observe des problèmes dans certaines régions, qui sont liés, notamment, à la teneur de polluants dits naturels et à des concentrations élevées de sels de déglaçage.»

La chercheuse estime qu’il faut poursuivre des études sur des questions spécifiques. «Par exemple, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les Changements climatiques (MELC) a mis en place un programme visant à mesurer la présence de pesticides dans les eaux souterraines et de surface, mais nos connaissances, encore là, demeurent parcellaires, d’où l’importance d’assurer un suivi plus systématique à l’échelle du Québec.»

Polluants d’origine naturelle et anthropique

On trouve dans les eaux souterraines des polluants d’origine naturelle. Plusieurs puits dans les régions rurales du Québec sont affectés par des concentrations élevées d’arsenic, de manganèse, de fluor et de baryum, lesquelles sont supérieures à la norme de potabilité de 10 microgrammes par litre d’eau. Le manganèse, par exemple, est un métal soluble qui se trouve naturellement dans le sol et l’eau souterraine. Le manganèse contenu dans les aliments n’a pas d’effet toxique, mais ce n’est pas nécessairement le cas du manganèse présent dans l’eau potable, qui, à fortes concentrations, a le potentiel d’induire de l’hyperactivité, des déficits cognitifs (mémoire, attention, etc.) et des difficultés motrices.

«L’origine de ces éléments est à chercher dans les aquifères, soit les formations de roches, de sable et d’argile où l’eau souterraine circule, explique Violaine Ponsin. Plus l’eau reste en contact avec la roche, plus elle est susceptible de transporter certains de ses éléments. Ainsi, le parcours de l’eau le long des chemins d’écoulement à travers des couches riches en arsenic entraîne une évolution géochimique de l’eau, dont l’augmentation des concentrations en arsenic.»

La présence de polluants d’origine anthropique, c’est-à-dire liés aux activités humaines, représente un autre défi majeur. C’est le cas des polluants associés aux activités agricoles, tels que les pesticides et les nutriments, en particulier le nitrate. «Un peu plus de 4 300 tonnes d’ingrédients actifs de pesticides ont été vendus en 2019 au Québec, surtout pour des usages agricoles, observe la professeure. La majorité des ventes concerne des herbicides, notamment le glyphosate et le s-métolachlore, liés aux grandes cultures de maïs et de soya, entre autres.»

Quelle que soit l’origine des polluants, l’important est de mettre en place de mesures de protection de l’approvisionnement en eau, notamment pour les puits individuels, indique Violaine Ponsin. «Il est de la responsabilité des propriétaires d’assurer la sécurité de l’eau de leur puits. Malheureusement, en raison d’un manque de sensibilisation ou de moyens financiers, ils ne prennent pas toujours des mesures appropriées, comme l’analyse des éléments traces, des paramètres bactériologiques et des nutriments, sans compter le traitement de l’eau. Certaines municipalités, toutefois, offrent des programmes permettant de financer des analyses annuelles ou tous les deux ans.»

Évaluer la vulnérabilité des aquifères

Pour évaluer la vulnérabilité des aquifères à la contamination par des pesticides, des nitrates et autres polluants provenant de la surface du sol, la réglementation québécoise sur la qualité de l’eau potable et sur le prélèvement des eaux et leur protection préconise la méthode DRASTIC.

«Cette méthode, précise la professeure, repose sur l’évaluation de paramètres physiques et hydrogéologiques propres aux aquifères, comme la profondeur de la nappe phréatique, la pente du terrain, le type de sol, sableux ou argileux, qui sont ensuite pondérés pour obtenir un indice agrégé. Plus cet indice est élevé, plus la vulnérabilité est importante. On peut ainsi établir des cartes de vulnérabilité à l’échelle d’une région, lesquelles constituent un outil pour l’aménagement du territoire.»

Selon la professeure, il est difficile actuellement d’identifier la menace la plus grande pour les eaux souterraines. «Ce n’est pas simple d’établir une hiérarchie entre tous les contaminants, car nos connaissances demeurent incomplètes. Mais les contaminants d’origine naturelle semblent jouer un rôle très important.»

Existe-t-il des solutions pour les eaux souterraines contaminées? «On n’est pas en mesure actuellement de décontaminer les aquifères, mais on peut empêcher certains contaminants de se retrouver dans l’eau que l’on consomme, remarque Violaine Ponsin. Pour barrer la route à l’arsenic, par exemple, il est possible d’installer un système de filtrage de l’eau, soit au niveau de la pompe se trouvant dans le puits, soit après avoir ouvert le robinet.»

Subvention du CRSNG

Originaire de France, la chercheuse enseigne à l’UQAM depuis 2019. Spécialiste de l’étude des sols et des eaux contaminés par des polluants organiques, elle a obtenu l’an dernier un appui financier du Conseil de recherches en sciences naturelles et génie du Canada (CRSNG) dans le cadre du programme Subvention à la découverte, pour un projet de recherche intitulé «Understanding the transformation of emerging organic contaminants in surface and groundwater».

Violaine Ponsin aura recours à l’analyse isotopique de composés spécifiques de pesticides afin d’obtenir des informations sur leur transport dans l’environnement et sur leur processus de transformation. «J’étudierai la concentration de composés d’herbicides que l’on trouve fréquemment dans les eaux souterraines, tels que le métolachlore et l’atrazine, ce dernier ayant des effets délétères sur les organismes aquatiques et sur les travailleurs agricoles.»

Avec son équipe d’étudiantes et d’étudiants, la chercheuse étudiera comment certains processus de transformation sur le terrain, ceux de la biodégradation et de la photo-dégradation (sous l’effet de la lumière), notamment, modifient les isotopes des composés. «L’objectif est de comprendre quels sont les processus de dégradation prédominants en vue d’identifier des mesures de prévention et de décontamination efficaces.»