Le professeur du Département de communication sociale et publique Destiny Tchehouali revient d’un périple de plusieurs semaines qui l’a conduit en France, en Égypte, au Bénin et au Sénégal, où il a participé à différentes rencontres internationales dans le but, notamment, de promouvoir les productions culturelles francophones dans l’environnement numérique.
Cotitulaire avec le vice-recteur à la Recherche, à la création et à la diffusion Christian Agbobli de la Chaire Unesco en communication et technologies pour le développement, le professeur est d’abord intervenu à un colloque organisé à Paris, en octobre dernier, sur le thème de la diversité des contenus culturels autres qu’anglophones sur les grandes plateformes numériques telles que Netflix, YouTube, Spotify et iTunes.
«Ce colloque visait à mettre en relief le contrôle et l’influence qu’exercent présentement ces plateformes et leurs algorithmes sur les modalités d’accès, de choix, de découverte et de consommation d’une diversité de contenus en ligne», précise Destiny Tchehouali.
Minoritaires, les productions culturelles francophones – films de fiction, documentaires, séries télé, musique, livres, œuvres d’art – se trouvent noyées dans un contexte de surabondance de contenus internationaux, principalement anglophones. Selon un rapport de l’Observatoire de la langue française paru en 2018, les contenus francophones sur Internet, toutes applications confondues, représentaient 6,8 % de l’ensemble des contenus, derrière ceux en anglais (27,3 %), en chinois (10,4 %) et en espagnol (9,8 %).
«Des prescriptions algorithmiques guident le classement et la sélection des contenus. C’est le cas, entre autres, des palmarès de films ou de séries les plus populaires sur Netflix au Canada.»
Destiny Tchehouali
Professeur au Département de communication sociale et publique
À Paris, le professeur a présenté une communication sur ce qu’il appelle l’«algocratie», soit le pouvoir des algorithmes d’agir sur l’attention des publics en utilisant des processus de classement, de hiérarchisation et de mise en valeur de contenus sur les interfaces d’accueil des plateformes numériques. «Des prescriptions algorithmiques guident le classement et la sélection des contenus, note Destiny Tchehouali. C’est le cas, entre autres, des palmarès de films ou de séries les plus populaires sur Netflix au Canada. Dans l’environnement numérique, les gens ne veulent pas perdre de temps à rechercher le contenu idéal à écouter et se laissent guider par les algorithmes.»
Favoriser la découvrabilité
Que peut-on faire pour contrer cette «algocratie», pour favoriser la découvrabilité des contenus culturels francophones sur les plateformes numériques? «La conférence de Paris a permis de dégager des pistes d’action pour une approche concertée en vue de promouvoir et de protéger la diversité culturelle dans des lois, des mesures réglementaires et des politiques publiques, indique Destiny Tchehouali. Au Canada, les sénateurs ont sur leur table le projet de loi C-11 visant à obliger les plateformes numériques à financer la production de contenus nationaux et ainsi accroître leur offre en ligne.»
Cela dit, le fait d’avoir un plus grand volume de productions culturelles francophones disponibles dans le vaste catalogue des contenus offerts en ligne est important, mais cela ne garantit pas leur visibilité et leur découvrabilité, reconnaît le chercheur. «Encore faut-il que ces contenus soient promus et recommandés par les algorithme afin d’être découverts par tout public, y compris par des personnes, en particulier les jeunes, qui n’en connaissent pas l’existence ou qui n’en font pas la recherche.»
Le hic est que les prescriptions algorithmiques des plateformes sont basées sur des critères commerciaux et des impératifs de rentabilité et de popularité, rappelle Destiny Tchehouali. Selon lui, il faut agir sur la paramétrabilité des algorithmes en les configurant pour qu’ils intègrent des critères liés à la diversité linguistique et à l’identité nationale et culturelle. «Avec l’apprentissage automatique, il est possible de concevoir de nouvelle générations d’algorithmes pour qu’ils tiennent compte de ces critères et permettent aux contenus francophones d’apparaître à des endroits stratégiques, comme les pages d’accueil et les interfaces des plateformes.»
Une autre avenue à explorer consiste à soutenir le développement de plateformes numériques alternatives, publiques et gratuites. «Pensons, par exemple, à la plateforme mondiale TV5MONDEplus, qui regroupe des contenus francophones provenant de la France, de la Belgique, du Québec et de pays africains. On pourrait utiliser cette plateforme pour expérimenter le développement de modèles d’algorithmes favorisant la découvrabilité de l’ensemble des productions culturelles de la Francophonie.»
Le professeur insiste sur l’importance des travaux de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), qui se déclinent de trois façons. «L’OIF peut contribuer à la formation des acteurs culturels francophones dans l’acquisition de compétences relatives au fonctionnement de l’environnement numérique, à la façon de l’appréhender et de s’y adapter. Un autre rôle consiste à renforcer la capacité d’action et de régulation des gouvernements pour mieux mettre en valeur les contenus culturels nationaux. Puis, l’Organisation doit soutenir les activités de veille et de recherche afin de documenter les tendances qui caractérisent l’évolution de l’univers numérique.»
Intelligence artificielle et productions scientifiques
Après Paris, le professeur s’est rendu au Caire, en Égypte, où il a participé à la deuxième édition des Assises internationales de la francophonie scientifique, organisées par l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF). À cette occasion, il a présenté une communication sur les impacts de l’intelligence artificielle (IA) en matière de repérabilité des productions scientifiques francophones sur Internet.
«Les constats à l’égard de la faible découvrabilité des contenus culturels francophones dans l’environnement numérique s’appliquent également aux publications scientifiques du monde universitaire francophone.»
«Les constats à l’égard de la faible découvrabilité des contenus culturels francophones dans l’environnement numérique s’appliquent également aux publications scientifiques du monde universitaire francophone, note Destiny Tchehouali. On observe que les productions scientifiques anglophones sont beaucoup plus accessibles et visibles. Il est important que les chercheurs francophones investissent l’espace numérique par tous les canaux possibles afin de diffuser leurs travaux.»
Dans son exposé, le professeur a souligné l’expertise développée à l’UQAM et à la Chaire UNESCO en communication et technologies pour le développement afin d’expérimenter de nouvelles méthodes de forage, de structuration et d’analyse des données du web sémantique avec des processus automatisés de reconnaissance et de mise en valeur, basés sur l’amélioration de la qualité des métadonnées. De tels travaux visent à accroître la répérabilité des contenus scientifiques par les moteurs de recherche et les algorithmes.
Les Assises au Caire ont permis, par ailleurs, la mise sur pied du Réseau francophone de l’intelligence artificielle (REFIA), intégré à l’AUF, dont fait partie la Chaire UNESCO de Destiny Tchehouali. «Dirigé par un chercheur français d’origine congolaise, le réseau rassemblera les chercheurs dont les objets d’étude concernent l’appropriation de l’IA, mentionne le professeur. Avant la fin de l’année 2023, la Chaire prévoit l’organisation à l’UQAM d’un forum francophone international réunissant des chercheurs et des acteurs concernés par l’IA.»
L’innovation numérique en entreprise
Dans le cadre du Forum international sur l’entrepreneuriat innovant, tenu les 9 et 10 novembre derniers à Cotonou, au Bénin, la Chaire UNESCO représentée par Destiny Tchehouali a lancé le projet de recherche-action AcademIA, financé par le ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec et mené en partenariat avec l’Agence francophone pour l’intelligence artificielle (AFRIA) ainsi que l’Association béninoise pour la cybersécurité et la promotion du numérique (ABCPN).
Le projet AcademIA vise, notamment, à accompagner et à sensibiliser une vingtaine de PME et de jeunes pousses du Québec et du Bénin aux enjeux de l’IA et des métadonnées, dans une approche de partage des ressources (humaines, financières et technologiques), d’échange de bonnes pratiques et de co-construction de savoir-faire et d’innovation.
«C’est avant tout un projet de solidarité numérique entre le Nord et le Sud afin que des entrepreneurs de l’Afrique francophone et du Québec partagent leur expertise en IA, explique le professeur. Nous prévoyons organiser des activités de réseau, de mentorat, de formation et de co-conception de services et de produits innovants basés sur l’IA et l’exploitation de données massives.»
À Cotonou, une activité de maillage a débouché sur la création d’une boîte à outils commune pour utiliser les solutions technologiques en IA en vue de répondre à des besoins dans des domaines tels que la culture, l’éducation, la santé, l’environnement, l’agriculture, le divertissement et le tourisme. À l’issue de cette activité, une quinzaine de projets (dont 5 au Québec et 10 au Bénin) ont été sélectionnés et leurs porteurs, qui feront partie de la première cohorte du projet AcademIA, bénéficieront de programmes de mentorat et de formation.
Découvrir les arts africains
Destiny Tchehouali a enfin organisé une conférence internationale à Dakar (Sénégal), à la fin novembre, parallèlement au Sommet de la Francophonie. Portant sur la monétisation et la découvrabilité des arts africains sur Internet, cet événement s’inscrivait dans la programmation du Mois des célébrations des cultures numériques.
Une soixantaine d’artistes et de professionnels des industries culturelles des pays de l’Afrique francophone ont participé à des tables rondes sur les stratégies à mettre en place pour valoriser leurs œuvres en ligne: bâtir une communauté de fans, fidéliser le public, générer des revenus afin que les créateurs puissent vivre de leur art grâce aux outils numériques. «La conférence a permis à de jeunes talents africains de présenter leurs œuvres, des tableaux entre autres, créées à l’aide d’algorithmes», relève le professeur.
Destiny Tchehouali dit être heureux d’avoir pu contribuer ces derniers mois au rayonnement international de l’expertise de l’UQAM. «Il faut le rappeler, l’UQAM constitue un pôle avant-gardiste en ce qui concerne la recherche, la formation et le renforcement des capacités d’action autour des enjeux et défis de découvrabilité des contenus culturels francophones sur le web», conclut le professeur.