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Design graphique en délire

L’affichiste et illustrateur berlinois Henning Wagenbreth en met plein la vue au Centre de design.

28 mars 2022 à 15 h 03

Mis à jour le 9 juin 2022 à 13 h 09

Dès l’entrée dans la galerie du Centre de design, on se sent pénétrer dans un univers très particulier. Pour l’occasion, les murs ont été peints en noir, à l’exception de la paroi du fond d’un rose vibrant. L’éclairage, qui attire l’attention sur les présentoirs où sont disposées les œuvres, est camouflé dans des structures évoquant le décor d’un engin spatial. Bienvenue à l’exposition Henning Wagenbreth – Le design pour les 6 à 99 ans, qui en met plein la vue avec ses affiches éclatantes de couleur, son univers visuel de bande dessinée et ses objets graphiques inusités.

C’est la première fois que l’on peut voir à Montréal une exposition consacrée au travail de l’affichiste et illustrateur berlinois de renommée internationale. Professeur de communication visuelle à l’Universität der Künste Berlin depuis 1994, il a reçu le prix du «plus beau livre au monde» de la Stiftung Buchkunst en 2000 et de nombreuses autres distinctions pour ses affiches et ses livres. Il a présenté plusieurs expositions à travers le monde et est membre de l’Alliance graphique internationale depuis 2002.

Un designer graphique dans tous les sens du terme

«Même si on le présente souvent comme un illustrateur ou un affichiste, Henning Wagenbreth est un designer graphique dans tous les sens du terme, affirme le commissaire de l’exposition, le professeur émérite de l’École de design Marc H. Choko. Il travaille sur toutes sortes de produits, à toutes sortes d’échelles, du timbre-poste à l’affiche grand format en passant par l’illustration de livres pour enfants ou la création d’une police de caractères.»

Organisée en fonction du type d’œuvres, l’exposition propose de découvrir la créativité foisonnante d’Henning Wagenbreth à travers un parcours qui mène progressivement des plus petites œuvres – les timbres – aux illustrations éditoriales – pour le New York Times, le New Yorker ou Libération –, puis aux livres, aux pochettes de disques et aux affiches, jusqu’aux formats géants en sérigraphie présentés dans l’alcôve créée au centre de la salle, véritable délire de design graphique.

On remarque plusieurs clins d’œil à l’histoire de l’art dans les œuvres présentées: l’affiche réalisée pour les 40 ans de son école d’art, en 1985, évoque le Rhinocéros d’Albrecht Dürer, une autre rappelle l’expressionnisme allemand du peintre Otto Dix, tandis qu’un des grands formats offre une réinterprétation déjantée du Déjeuner sur l’herbe de Manet.

«Wagenbreth est un designer qui connaît parfaitement ses gammes», note Marc H. Choko. Pourtant, son univers graphique fortement inspiré de la bande dessinée, avec ses décors colorés, ses fusées, ses pirates, ses scientifiques fous et ses illustrations en morceaux découpés, évoque l’art brut, sa poésie visuelle et sa sensibilité proche de l’enfance.

Un regard critique sur le monde

«Visiblement, Wagenbreth est quelqu’un qui s’amuse, dit le commissaire. Mais il ne faut pas s’y méprendre. C’est aussi un intellectuel qui porte un regard critique sur le monde qui l’entoure.»

Il suffit d’observer les œuvres de plus près pour s’apercevoir que les images colorées révèlent un commentaire social tout en nuances. Dans l’Allemagne de l’Est communiste d’avant la tombée du Rideau de fer, où Henning Wagenbreth est né, les cyclistes est-berlinois, symboles d’une jeunesse en révolte, étaient affublés d’une réputation subversive que le designer a illustrée dans une affiche de 1989. Le slogan de l’affiche, «Bicyclists have nothing to lose but their chains!», parodie la phrase de Karl Marx: «Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes».

Un autre des grands formats, The Art of Utopia, s’amuse à proposer neuf portraits «utopiques»: un chancelier allemand afrodescendant, une femme pape au Vatican, une reine d’Arabie Saoudite, un prix Nobel de la paix nord-coréen ou un journaliste turc… libre!

Un système ingénieux de guides cartonnés (aux formes inspirées de pictogrammes créés par le designer) permet de naviguer à travers l’exposition selon quatre thématiques: «Wagenbreth, un designer engagé?»; «La méthode Wagenbreth»; «Le savoir-faire de Wagenbreth» et «Wagenbreth a (presque) toujours raison». Sur chaque guide mis à la disposition du visiteur, des indications attirent l’attention sur les œuvres pertinentes à la thématique. Ainsi, concernant les rapports entre le designer et le client (quatrième thématique), même si ceux-ci sont parfois difficiles, «le plus souvent, le côté souriant de la proposition réussit à faire accepter un projet qui pouvait sembler impossible à réaliser, comme sa joyeuse série de timbres sur les handisports».

Des films projetés sur des écrans répartis dans la salle offrent d’autres perspectives sur le travail de l’artiste. On le voit dans un atelier d’impression – avant d’être designer, il a travaillé en imprimerie et maîtrise parfaitement les différentes techniques d’impression utilisées pour ses œuvres – et avec son groupe de musique. Car cet homme-orchestre joue aussi de la mandoline et de la flûte.

Visites pour les jeunes

Comme son titre le suggère, l’exposition ne plaît pas qu’aux adultes et séduit particulièrement les jeunes (le Centre de design organise des visites guidées pour les classes, enrichies d’activités d’animation). Elle a aussi connu un franc succès lors de la Nuit blanche, avec des lectures du conte Le pirate et l’apothicaire, illustré par Wagenbreth, offertes par des étudiantes et étudiants de l’École supérieure de théâtre.

Le 24 mars dernier, une visite avait lieu dans le cadre du Printemps de la recherche. En introduction de cette activité, la directrice du Centre de design, Louise Pelletier, a offert une conférence sur les coulisses des expositions présentées depuis plus de 40 ans. Elle a expliqué le processus de conception et de réalisation des expositions à l’aide des outils d’idéation (esquisses, maquettes, modélisations) et des archives photographiques. Une maquette de l’exposition sur Henning Wagenbreth était d’ailleurs en démonstration.

Le commissaire Marc H. Choko a ensuite pris la relève, soulignant tout le travail de collaboration nécessaire pour monter une exposition. Il a expliqué les défis propres à chacun, entre autres ceux des scénographes – le chargé d’exposition Victor Bernaudon et le professeur de l’École de design Louis-Charles Lasnier –, qui se sont une fois de plus surpassés pour mettre les œuvres en valeur, avant d’inviter l’assistance à plonger dans l’univers de Wagenbreth.

Le designer, qui n’a pas pu être présent pour le vernissage, sera à Montréal entre le 6 et le 9 avril. Il animera lui-même une visite guidée, en plus de faire une présentation dans le cours Conceptualisation de Lino (B.A. design graphique, 2003) et d’offrir une conférence aux étudiants de l’École de design.