
Le 6 février dernier, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale Jean Boulet annonçait le début des travaux du Comité chargé d’analyser les recours en matière de harcèlement sexuel et d’agressions à caractère sexuel en contexte de travail. Ce comité est formé des professeures Rachel Cox et Dalia Gesualdi-Fecteau, du Département des sciences juridiques, et Anne-Marie Laflamme, de la Faculté de droit de l’Université Laval. Sa mise en place fait suite aux recommandations du rapport du comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale. «Le mouvement de dénonciation #metoo a mis en lumière de nombreux cas de violences à caractère sexuel se déroulant dans le cadre du travail, partout où il y a des rapports de pouvoir», explique Rachel Cox, qui présidera le comité.
Le mandat du comité est d’évaluer la cohérence, la simplicité et l’efficacité des recours dont peut se prévaloir une personne victime de harcèlement ou d’agression à caractère sexuel en contexte de travail, et d’en étudier le traitement. «Les personnes victimes de ces violences au travail font face à un labyrinthe de recours, précise Rachel Cox. Pour chaque recours, il y a des délais ainsi que des conditions d’admissibilité différentes selon que la personne victime est syndiquée ou non, ou qu’elle est devenue malade en raison du harcèlement, par exemple.»
Un phénomène de victimisation secondaire se manifeste dans les recours en droit du travail, observe la professeure. «Les personnes victimes éprouvent un fort sentiment d’injustice du fait que leur vécu est parfois invalidé ou que le harceleur reste impuni.» Il faut non seulement que les recours soient adéquats aux personnes victimes de violences sexuelles en contexte de travail, mais le traitement de ces personnes doit aussi être mieux adapté à leur vécu. «C’est une chose de raconter un accident de travail, comme une blessure au bras, à chaque intervenant, et une autre d’avoir à relater une agression sexuelle plusieurs fois de suite, souligne la professeure. Cela cause des dommages importants aux victimes de ces violences.»
En plus de dresser un inventaire des recours, d’en évaluer les difficultés d’utilisation et les conséquences pour les victimes, les membres du comité devront aussi se pencher sur les mécanismes visant à prévenir le harcèlement sexuel. «Le comité émettra des recommandations afin de contrer le phénomène de harcèlement sexuel dans l’objectif d’amener un vrai changement, tel que souhaité par la société», affirme la juriste.
La personne victime porte souvent sur ses épaules le problème du harcèlement sexuel, fait remarquer la professeure, «alors qu’il faut mobiliser davantage les témoins puisque tout le milieu en est affecté. Le harcèlement sexuel n’est pas un problème individuel.» Le défi est toutefois de taille: le harcèlement sexuel au travail est interdit depuis 40 ans et l’interdit en soi n’a pas été efficace jusqu’ici pour contrer les violences, constate Rachel Cox.
Les membres du comité ont choisi une interprétation large de la notion de harcèlement sexuel en contexte de travail. «On ne protège pas que les personnes salariées. Il faut étendre le plus possible la protection potentielle du droit du travail à toutes sortes de contextes, y compris lors de la période de pré-embauche et dans le cadre du travail autonome, deux situations où les gens peuvent être plus vulnérables», précise la professeure, qui rappelle que le harcèlement sexuel est partout, autant dans le domaine de la culture que dans les milieux de la restauration, du travail agricole, de la construction ou du droit. «C’est un phénomène de société.»
Toute personne intéressée par le sujet, qu’elle soit victime, représentante de victimes, ou encore représentante d’employeurs, d’un syndicat ou d’un groupe communautaire peut déposer un mémoire ou un document présentant un témoignage sur la page web du comité. «Nous espérons que les personnes accompagnant les victimes de violences à caractère sexuel pourront nous faire part de leurs réalités et nous indiquer les outils dont elles ont besoin pour mieux aider et soutenir leurs clientèles», dit Rachel Cox. La professeure lance un appel à témoignages auprès des personnes racisées, handicapées, à statut précaire ou appartenant à des minorités sexuelles, en particulier, «puisqu’elles sont plus à risque de subir du harcèlement sexuel».
Les documents sont acceptés jusqu’au 4 avril 2022. Le rapport du comité de travail est attendu en décembre 2022.