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Les CPE ont 25 ans

Le réseau des Centres de la petite enfance est devenu un modèle à imiter au Canada et ailleurs dans le monde.

Par Claude Gauvreau

15 mars 2022 à 16 h 03

Mis à jour le 9 juin 2022 à 13 h 09

Les CPE ont favorisé le développement moteur, cognitif, langagier et socio-affectif des enfants.Photo: Nathalie St-Pierre

Il y a un mois environ, les Centres de la petite enfance (CPE) ont fêté la création de leur 100 000e place en services de garde. Réseau public unique au Canada, les CPE célèbrent aussi cette année leur 25e anniversaire. L’impact de ce projet de garderies éducatives sur le développement des enfants du Québec – et sur leurs mères –, documenté dans de nombreuses études, a été immense.   

«Tout a commencé avec la création du ministère de la Famille et de l’Enfance en 1997, qui transforme alors les garderies sans but lucratif subventionnées et les agences de services de garde en milieu familial en CPE, instaurant un réseau universel de services de garde éducatifs sans but lucratif à cinq dollars par jour par enfant», rappelle la professeure du Département de didactique Nathalie Bigras, une pionnière de la recherche en éducation à la petite enfance. L’État québécois annonce du même coup la mise en place d’un programme permettant la création progressive de nouvelles places en CPE.

À l’époque où les CPE sont lancés, le Québec compte quelque 80 000 places offertes par un réseau de services de garde régis par le gouvernement: des garderies sans but lucratif subventionnées, des garderies à but lucratif privées et des services de garde en milieu familial. «Actuellement, on en compte plus de 326 000, dont près du tiers (32 %) se trouvent dans les CPE», indique Nathalie Bigras.

Piloté par la ministre de l’Éducation Pauline Marois, le projet des CPE avait trois objectifs: favoriser la conciliation famille/travail, faciliter l’accessibilité à des services de garde pour les enfants de différentes origines et développer l’égalité des chances pour tous, souligne la professeure. «Avant le lancement du projet, les garderies se battaient pour obtenir des subventions et toutes les familles n’avaient pas les moyens financiers pour envoyer leur enfant en garderie, raconte Nathalie Bigras. Malgré la construction de nouvellles installations de services de garde, le nombre de places n’augmentait pas assez rapidement pour répondre à la demande croissante. À partir du moment où le tarif a atteint cinq dollars par jour, tout le monde voulait des places.»

Intégrer les femmes au marché du travail

L’une des grandes contributions des CPE est d’avoir permis à plus de femmes d’intégrer le marché du travail. «Le pourcentage de mères d’enfants de moins de 6 ans sur le marché de l’emploi  a énormément augmenté, note la professeure. Plusieurs mères monoparentales ont pu ainsi sortir de la pauvreté et offrir à leurs enfants de meilleures conditions de vie.»

Un autre enjeu pour les CPE consistait à recruter du personnel qualifié. «Les CPE ont permis de professionnaliser le métier d’éducatrice et d’éducateur dans le milieu de la petite enfance et de développer une formation spécialisée dans ce domaine, observe Nathalie Bigras. Les éducatrices se battaient déjà pour ne plus être considérées comme des “gardiennes” d’enfant et pour qu’on reconnaisse l’importance de leur travail, soit concevoir et appliquer des programmes éducatifs, tout en maintenant un environnement sécuritaire pour les enfants.»

Les premières années, l’objectif était d’avoir une éducatrice formée sur trois, puis deux sur trois. «À la fin des années 2010, l’ensemble des CPE avaient largement dépassé cet objectif, dit la professeure. La valorisation progressive de la profession et de la formation s’est accrue avec les recherches et enquêtes sur le développement des enfants et sur la qualité des services de garde.»

Outre les cégeps, qui ont ouvert des départements de techniques d’éducation à l’enfance, la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM a joué un rôle important dans la formation d’un personnel qualifié, majoritairement féminin. «Au tournant des années 1990, la Faculté a mis en place le premier programme de certificat en éducation à la petite enfance, à l’initiative de la sociologue et chargée de cours Micheline Lalonde-Graton, relève Nathalie Bigras. Puis, en 2002, j’ai moi-même obtenu le premier poste de professeurw universitaire québécois consacré exclusivement à l’enseignement et à la recherche en petite enfance.»

Des impacts positifs sur le développement des enfants

Les impacts des CPE sur le développement des enfants ont fait l’objet de plusieurs recherches jusqu’à maintenant, comme l’étude longitudinale sur le développement des enfants du Québec et les enquêtes Grandir qualité en 2003 et 2014. «Toutes les recherches montrent que les CPE ont favorisé le développement moteur, cognitif et langagier des enfants, note la professeure. Une étude du parcours préscolaire des enfants avant l’entrée en maternelle menée par la DSP à Montréal, à laquelle j’ai collaboré, indiquait que les enfants de milieux défavorisés ayant fréquenté un CPE étaient, rendus à la maternelle, deux à trois fois moins susceptibles de rencontrer des problèmes de développement que les autres. »

Les études montrent aussi que la fréquentation des CPE a facilité le développement socio-affectif des enfants, notamment leurs habiletés sociales. «Les enfant apprennent très tôt à vivre en groupe, à communiquer entre eux et à exprimer leurs besoins. Les éducatrices sont capables de créer un climat socio-émotionnel positif au sein des CPE», mentionne Nathalie Bigras.

La présence des CPE a enfin permis de déceler plus tôt et plus rapidement les problèmes d’apprentissage ou de comportement chez les enfants, contribuant ainsi à atténuer le décrochage scolaire. «À ce chapitre, on peut émettre l’hypothèse que les CPE ont eu un impact positif surtout sur les enfants issus de familles défavorisées ou vulnérables», remarque la chercheuse.

L’expérience québécoise des CPE a été perçue ailleurs comme un modèle dont on pouvait s’inspirer. «C’est notamment le cas au Canada anglais, observe Nathalie Bigras. Le gouvernement fédéral a récemment conclu des ententes avec plusieurs provinces pour établir des réseaux de services de garde basés sur le modèle des CPE, lequel a aussi été étudié dans d’autres pays.»

Trois chantiers de travail

Tous les objectifs poursuivis par la mise en place des CPE, il y a 25 ans, n’ont pas été atteints. «Il reste du travail à faire dans trois chantiers, souligne la professeure. Le premier concerne la valorisation professionnelle du travail des éducatrices. Le réseau fait face actuellement à un grave problème de pénurie de personnel, qui a été alimenté par les compressions budgétaires des 12 dernières années et, plus récemment, par la pandémie.»

Selon Nathalie Bigras, le travail des éducatrices demeure peu reconnu. «Dans le domaine de la construction, certains jeunes travailleurs gagnent 33 dollars de l’heure, un salaire que les éducatrices n’atteignent même pas après 10 ans d’expérience. Plusieurs professions ou métiers réservés aux femmes, notamment ceux associé au domaine du care, continuent d’être dévalorisés.»

Le deuxième chantier a trait à la complétude du réseau. Le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, a déclaré récemment qu’il visait l’ajout de 37 000 places dans les services de garde d’ici 2025. «On estime à plus de 50 000 le nombre de familles au Québec qui ne parviennent pas à obtenir une place pour leur enfant dans le réseau des CPE, obligeant certaines d’entre elles à ne pouvoir retourner sur le marché du travail. Il faut donc construire de nouvelles installations, tout en s’assurant que les éducatrices seront en nombre suffisant», affirme la chercheuse.

Enfin, le troisième chantier porte sur le renforcement de la qualité des services éducatifs. «C’est une préoccupation importante. En raison de la pénurie de personnel et de la crise sanitaire, le gouvernement a beaucoup diminué les exigences en matière de qualification et de ratios éducatrices/enfants qualifié.»

Axes de recherche

Les recherches universitaires sur la petite enfance (0-6 ans) sont peut-être moins reconnues que celles sur les enfants en milieu scolaire, mais elles sont tout aussi importantes. À l’UQAM, Nathalie Bigras dirige, depuis 2009, l’équipe de recherche Qualité des contextes éducatifs de la petite enfance. La programmation de recherche se déploie autour de quatre axes: définir et mesurer la qualité éducative; identifier les déterminants de la qualité éducative; identifier les effets de la qualité éducative sur les enfants, leurs familles et le personnel éducatif; identifier les meilleures pratiques d’accompagnement à mettre en place pour soutenir la qualité éducative.

L’an dernier, la professeure a dirigé une étude sur les impacts de la pandémie sur la santé mentale du personnel des CPE, en collaboration avec le Regroupement des Centres de la petite enfance de la Montérégie (RCPEM). «Nous avons aussi mis au point un dispositif d’accompagnement de gestionnaires de CPE, appelé “Reprendre son souffle”, et avons évalué ses effets sur le bien-être au travail.» De plus, son équipe de recherche vient de compléter une autre étude, financée par le CRSH, visant à comparer l’influence de la fréquentation des services de garde éducatifs québécois et français sur les interactions et l’engagement des enfants de trois à cinq ans.

Nathalie Bigras a plusieurs projets de recherche sur sa table de travail, dont une recension des écrits sur les services de garde en milieu scolaire et une autre sur les facteurs de rétention des éducatrices récemment embauchées dans le réseau des CPE, toutes deux en collaboration avec le Service aux collectivités de l’UQAM. Elle souhaite également participer à la rédaction d’un ouvrage sur l’histoire des services de garde au Québec, basé sur des récits de vie. «Cette histoire n’a jamais été écrite. Ce sera une façon de rendre hommage à celles et ceux qui ont construit et porté ces services, et de leur donner la parole.»

En 1997, confier son enfant à un CPE pouvait encore être mal vu, alors qu’aujourd’hui, cela va presque de soi pour la majorité des familles, estime la professeure. «Nous avons assisté à un changement de paradigme. Aujourd’hui, les CPE sont reconnus comme le premier maillon de la réussite éducative des enfants.»