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Comment gérer la performance au travail?

La recherche s’intéresse depuis une dizaine d’années à de nouvelles approches qui tranchent avec l’évaluation annuelle traditionnelle.

Par Pierre-Etienne Caza

16 décembre 2022 à 10 h 03

Dans plusieurs organisations, gestionnaires et employés se fixent des objectifs en début d’année et font le point 12 mois plus tard, avant de relancer le cycle l’année suivante. «Cette approche traditionnelle de gestion de la performance génère beaucoup d’insatisfaction et ne contribue pas à favoriser la mobilisation des employés», observe Marie-Ève Lapalme.

La professeure du Département d’organisation et ressources humaines de l’ESG UQAM s’intéresse aux nouvelles pratiques de gestion de la performance au travail dans le cadre d’un projet de recherche bénéficiant d’une subvention Développement Savoir du CRSH.

Marie-Ève Lapalme donne le cours Gestion du rendement et de la performance organisationnelle depuis six ans aux étudiantes et étudiants du bac en administration, du bac en gestion des ressources humaines et du certificat en gestion des ressources humaines. «Pour les besoins du cours, mon équipe de recherche et moi avons rédigé un manuel, Gérer la performance des employés au travail (JFD Éditions, 2020). La préparation de ce livre a fait naître plusieurs des questions de recherche qui m’occupent aujourd’hui», raconte-t-elle.

L’approche dite traditionnelle

Au cours des 15 dernières années, différentes critiques du système de gestion de la performance basé sur l’évaluation annuelle ont émergé tant dans la littérature scientifique que dans la littérature grise (revues professionnelles, syndicales, etc.). «Plusieurs spécialistes estiment ce système mésadapté aux besoins des organisations en matière de flexibilité et d’agilité, observe Marie-Ève Lapalme. On reproche aux gestionnaires qui l’utilisent de ne pas fournir de rétroaction en cours d’année et au système de générer de la frustration, car il n’est pas rare qu’une personne employée qui pensait avoir performé durant l’année obtienne une mauvaise évaluation et ne puisse pas obtenir les avantages liés à une bonne performance.»

Cette approche traditionnelle n’est pas tellement plus agréable pour les personnes gestionnaires, poursuit la chercheuse. «Il s’agit d’un moment stressant pour elles aussi, car elles doivent jongler avec plusieurs balises administratives et remplir beaucoup de formulaires, sans compter le risque de décevoir leurs subalternes, un sentiment qui n’est jamais agréable à gérer.»

Les nouvelles approches

Au début des années 2000, certaines grandes entreprises américaines comme Adobe et Deloitte ont popularisé une autre approche. Finies les évaluations de la performance, on misait désormais sur la rétroaction en continue. «Plusieurs entreprises ont emboîté le pas, mais elles se sont rapidement aperçues que cela ne convenait pas à leur contexte organisationnel et qu’elles avaient besoin d’évaluations plus formelles pour éviter les iniquités entre employés», relate Marie-Ève Lapalme.

Depuis un peu plus de 10 ans, on cherche des systèmes mitoyens pour améliorer la gestion de la performance. «On tente de mettre en place des pratiques misant sur la rétroaction en continu, oui, mais aussi sur le coaching, la gestion de la performance axée sur les forces, ainsi que des approches favorisant le développement et la mobilisation des employés», observe la professeure.

La gestion de la performance axée sur les forces a particulièrement le vent dans les voiles. «Il s’agit d’une vision centrée sur les besoins partagés entre employeurs et employés, explique Marie-Ève Lapalme. On a beaucoup évalué la performance par le passé, mais on a peu géré la performance tout au long de l’année. Or, gérer la performance d’un employé, ça implique de reconnaître ses forces pour identifier ses zones de performance, c’est-à-dire là où il peut être le plus utile et épanoui afin de contribuer à la performance de l’organisation.»

Ce type de gestion de la performance permet de mobiliser les employés, ce qui peut être précieux en temps de pénurie de main-d’œuvre, observe la chercheuse. «C’est une évidence, mais il faut le rappeler: nous sommes plus performants quand nous sommes capables d’exploiter davantage notre potentiel, quand nous nous réalisons pleinement dans notre travail, quand nous avons des liens significatifs avec nos collègues et notre ou nos gestionnaires, et quand nous sommes en santé physique et psychologique.»

Revue de littérature et recherche sur le terrain

Pour mieux connaître les enjeux et les retombées de ces nouvelles pratiques, il faut d’abord les identifier. «Nous souhaitons cartographier les nouvelles pratiques de gestion de la performance à travers la littérature scientifique et surtout la littérature professionnelle, car certaines approches ne sont pas encore sur le radar des chercheuses et chercheurs», souligne Marie-Ève Lapalme, qui compte embaucher des étudiants à la maîtrise pour l’épauler.

L’équipe ira ensuite sur le terrain, auprès de quatre organisations du Grand Montréal ayant implanté des nouvelles pratiques afin d’évaluer les enjeux auxquels elles font face, les défis des professionnels RH et des gestionnaires impliqués, et sonder la perception des employés.

«Pour chacune des organisations, nous produirons un rapport et nous prévoyons publier un article scientifique ainsi qu’un article relevant davantage du transfert des connaissances, par exemple dans la revue de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA)», conclut Marie-Ève Lapalme.