
Depuis plusieurs années, les pays occidentaux ont adopté diverses politiques en matière de gestion de la diversité ethnoculturelle et religieuse. Mais qu’en est-il des municipalités? Jouissent-elles d’une autonomie dans ce domaine? Les pratiques municipales et locales correspondent-elles aux modèles nationaux d’intégration? Le professeur du Département de science politique Paul May (Ph.D. science politique, 2004) vise à répondre à ces questions dans le cadre de son projet de recherche «La gestion de la diversité ethnique, culturelle et religieuse au niveau municipal: le cas de Montréal», pour lequel il a reçu une subvention du programme Développement Savoir du CRSH.
«Au-delà de la législation nationale, la ville est le lieu où la diversité ethnoculturelle et religieuse est gérée au quotidien, souvent de manière pragmatique et informelle, souligne Paul May. Mon projet de recherche a pour but de mettre en lumière les interactions et les négociations entre les différents acteurs montréalais – représentants communautaires, fonctionnaires, conseillers et maires d’arrondissement – concernés par les dossiers relatifs à la diversité.»
«Au-delà de la législation nationale, la ville est le lieu où la diversité ethnoculturelle et religieuse est gérée au quotidien, souvent de manière pragmatique et informelle.»
Paul May,
Professeur au Département de science politique
Le Canada compte deux grands modèles d’intégration et de gestion de la diversité: le multiculturalisme, fondé sur la Charte canadienne des droits et libertés, et l’interculturalisme. «Le multiculturalisme est axé sur la défense des droits individuels, tout en déléguant des droits à certains groupes ethnoculturels ou religieux, note le professeur. D’inspiration républicaine, l’interculturalisme est un modèle spécifique au Québec qui reconnaît un pôle majoritaire francophone et la langue française comme l’outil principal d’intégration des nouveaux arrivants. Il se situe entre l’assimilationnisme, souvent décrié, et le multiculturalisme.»
Selon Paul May, un décalage existe entre ces modèles et les pratiques municipales de gestion de la diversité, lesquelles sont beaucoup plus hétérogènes que les politiques nationales ne le laissent penser. «À l’échelon municipal, la manière de gérer la diversité au jour le jour est différente, plus prosaïque, remarque le politologue. Les décideurs politiques dans les villes sont tentés de s’écarter des principes définis par les parlements des États. Il y a quelques années, la Belgique et la Suisse, par exemple, ont adopté des mesures législatives interdisant aux femmes musulmanes de porter le voile intégral dans l’espace public. Or, les maires de certaines villes et municipalités ont jugé qu’il était trop difficile d’appliquer ces mesures, notamment pour des raisons de sécurité.»
Enjeux de négociation
Dans le cadre de sa recherche, Paul May se penchera sur la façon dont se déroulent concrètement les discussions et négociations entre les différents acteurs municipaux sur le territoire montréalais, les types de liens qui se nouent entre eux, la fréquence des rencontres et la nature des requêtes provenant des minorités ethnoculturelles et religieuses, comme celles d’ordre religieux (accommodements raisonnables).
Les formations et les services offerts en langue française aux membres de minorités ethnoculturelles représentent l’un des dossiers importants faisant l’objet de négociations. «J’examinerai, par exemple, dans quelle mesure les services d’accueil destinés aux immigrants allophones et aux réfugiés sont réellement dispensés en français, comme le veut la législation québécoise, ou si des accommodements sont mis en place pour que ces services soient offerts en anglais ou dans une troisième langue», note le professeur.
«Dans certains quartiers, les représentants de la communauté musulmane et de la communauté juive hassidique réclament davantage de mosquées et de synagogues. Pour ces populations, les lieux de culte ne sont pas seulement des espaces de prière, mais aussi des lieux de rencontres, d’étude, de socialisation.»
La question des lieux de culte est un autre enjeu majeur pour les communautés ethnoculturelles et religieuses. «Dans certains quartiers, les représentants de la communauté musulmane et de la communauté juive hassidique réclament davantage de mosquées et de synagogues, indique Paul May. Pour ces populations, les lieux de culte ne sont pas seulement des espaces de prière, mais aussi des lieux de rencontres, d’étude, de socialisation.»
Reconnaissance identitaire
La recherche portera également sur les pratiques informelles de reconnaissance identitaire des communautés ethnoculturelles, comme les cérémonies publiques commémorant un épisode historique important aux yeux d’un groupe ethnique donné, cérémonies qui se sont multipliées ces dernières années, notamment en France et en Grande-Bretagne.
«Ces pratiques ont une portée symbolique importante, qui passe souvent sous le radar des politiques nationales de gestion de la diversité, observe le professeur. Lorsque, par exemple, un maire prononce un discours reconnaissant la responsabilité de sa ville dans la traite esclavagiste des populations afro-antillaises, il pose un geste qui permet de reconnaître un patrimoine mémoriel essentiel.»
Capital social, culturel et symbolique
Les pouvoirs publics municipaux sont toujours en quête d’interlocuteurs au sein des communautés ethnoculturelles. Paul May s’intéresse au parcours des leaders de ces communautés, porteurs de revendications, à leur représentativité, à la façon dont ils sont choisis. Il étudiera de quelle manière ils utilisent leur capital social (réseau de relations), culturel (ressources, connaissances, titres scolaires) et symbolique (statut, prestige) pour faire avancer des dossiers qui leur tiennent à cœur.
«Plus les représentants communautaires disposent d’un capital social et culturel fort, plus cela leur confère une forme de légitimité, tant au sein de leur communauté qu’auprès des instances municipales.»
«Plus les représentants communautaires disposent d’un capital social et culturel fort, plus cela leur confère une forme de légitimité, tant au sein de leur communauté qu’auprès des instances municipales, relève le politologue. Il peut s’agir de personnes nées ou établies depuis longtemps au Québec, qui sont particulièrement actives dans la vie associative et culturelle de leur communauté. On peut penser qu’une personne possédant une expertise concernant les besoins linguistiques des populations immigrantes sera davantage consultée par les pouvoirs publics pour l’élaboration de services multilingues.»
Observation participante et entretiens
Paul May prévoit faire de l’observation participante en assistant à des rencontres de conseils d’arrondissement et du Conseil interculturel de Montréal, dont le mandat est de favoriser la participation des membres des communautés culturelles à la vie politique, économique, sociale et culturelle de la métropole. Le professeur mènera également une quarantaine d’entretiens avec des représentants des communautés ethnoculturelles ainsi que des fonctionnaires dans les arrondissements de Montréal-Nord et de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de Grâce, l’objectif étant de mieux saisir la nature de leurs préoccupations et la dynamique de leurs relations.
«Chose certaine, la préoccupation relative à un vivre-ensemble harmonieux, qui respecte les droits des minorités issues de la diversité, est réelle et même davantage marquée à Montréal que dans les villes d’autres pays», affirme Paul May.
Celui-ci espère que les résultats de sa recherche enrichiront les analyses actuelles, trop souvent cantonnées à des positions stéréotypées sur les modèles d’intégration nationaux et correspondant imparfaitement à la réalité du terrain municipal. Enfin, il souhaite que son étude contribue à la formation des fonctionnaires municipaux en matière de relations interethniques.