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Combler le manque de logements étudiants

L’Unité de travail pour l’implantation de logements étudiants a le vent dans les voiles et c’est le diplômé Laurent Levesque qui tient la barre.

Par Pierre-Etienne Caza

10 novembre 2022 à 9 h 47

Mis à jour le 22 août 2023 à 13 h 57

Au début de ses études à l’UQAM, Laurent Levesque (B.Sc. urbanisme, 2013) s’intéressait aux enjeux de mobilité et de transport à Montréal. «L’immobilier? Je n’y connaissais absolument rien!», se rappelle en riant le cofondateur et directeur général de l’Unité de travail pour l’implantation de logements étudiants (UTILE), qui a inauguré au printemps dernier son deuxième projet, la Rose des vents, dans l’Écoquartier Angus, à Montréal.

Si l’expression «construire l’avion en plein vol» a été utilisée à outrance durant la pandémie, elle définit parfaitement le parcours de Laurent Levesque et de ses collègues. En misant sur l’économie sociale, ils ont revisité l’entrepreneuriat immobilier pour trouver des solutions à la crise du logement étudiant. Après un parcours semé d’embûches de toutes sortes, l’UTILE est devenu un incontournable dans le paysage montréalais et québécois du logement abordable.

Un projet pour l’Îlot Voyageur

L’UTILE est née dans la foulée du Printemps érable en 2012. «C’était un contexte d’effervescence sociale et nous souhaitions aller au-delà des revendications étudiantes pour démontrer que la jeunesse était aussi capable de proposer des choses et de les réaliser», se rappelle Laurent Levesque.

L’élément déclencheur: la consultation publique sur le Programme particulier d’urbanisme (PPU) du Quartier des spectacles et sur son application au pôle du Quartier latin. «J’ai mobilisé une équipe d’étudiantes et d’étudiants en urbanisme pour la rédaction d’un mémoire, dont l’une des recommandations était de revenir à la vocation initiale de l’Îlot Voyageur, qui devait à l’origine comporter, entre autres, une résidence étudiante de 1000 chambres. Nous suggérions que ce projet soit réactivé par et pour les étudiants», raconte Laurent Levesque.

Plutôt que d’attendre de la part des différents paliers de gouvernements d’improbables suites concernant ses recommandations, le groupe décide de se mettre au travail. Son premier constat est brutal: il n’existe à peu près rien dans la littérature concernant le logement étudiant au Québec. «Nous ne trouvions aucune donnée, aucun expert, il n’y avait pas d’accompagnement et pas de programme de financement pour ce type de projet. Tout était à faire, se rappelle Laurent Levesque. Et nous étions tellement novices: nous ne connaissions même pas la notion ni les préceptes de l’économie sociale. C’est dire à quel point nous partions de loin!»

En janvier 2013, l’UTILE s’incorpore et lance officiellement son projet pour l’Îlot Voyageur, qui reçoit un accueil favorable de la part du gouvernement Marois. La première tuile tombe l’été suivant, lorsque le gouvernement annonce la vente d’une partie du quadrilatère à un promoteur immobilier bien connu. En contrepartie, on annonce le financement d’un projet pilote de logements étudiants, projet que l’UTILE semble assuré de décrocher… jusqu’à ce que le Parti libéral remporte les élections du 7 avril 2014 et abandonne l’idée dans la foulée des mesures d’austérité.

La Note des bois et la Rose des vents

Déçus mais pas abattus, les membres du collectif poursuivent leurs réflexions et séjournent à quelques reprises à l’étranger, notamment en Europe, afin de s’inspirer de projets existants. Avec une bonne idée de ce qu’ils souhaitent réaliser, ils partent à la recherche d’un nouveau terrain pour réaliser leur premier projet. Mais pour acheter un terrain, il faut de l’argent. «L’immobilier est un secteur qui valorise beaucoup l’argent, l’expérience et les projets antérieurs. Nous n’avions rien de tout ça», souligne Laurent Levesque, qui a complété un programme court de 2e cycle en gestion du développement économique urbain en 2015.

C’est finalement l’Association étudiante de l’Université Concordia qui accepte d’investir 1,8 million de dollars pour soutenir le premier projet de l’UTILE. «Cela nous a permis d’acquérir un terrain sur l’avenue Papineau, face au parc Lafontaine», raconte Laurent Levesque.

Une dizaine d’autres partenaires complètent le montage financier de 18 M $ qui permet d’ériger La Note des bois, un complexe de 90 logements pour 144 résidentes et résidents, inauguré en septembre 2020. «Cela aura pris huit ans de travail entre la rédaction de notre mémoire pour le PPU du Quartier des spectacles et l’arrivée de nos premiers locataires. Nous avons vécu toutes sortes d’embûches, la dernière et non la moindre étant la pandémie, qui nous a forcés à repousser le début des baux, se remémore le directeur général de l’UTILE. Cela a valu la peine, car notre récompense est double: en plus de voir des gens heureux de pouvoir étudier avec un toit abordable au-dessus de leur tête, nous avons fait la démonstration que notre modèle de financement fonctionne.»

Le deuxième projet de l’UTILE, la Rose des vents, a été inauguré au printemps dernier dans le quartier Rosemont. L’immeuble accueille 160 locataires qui ont le choix parmi des studios ou des appartements de deux, trois ou quatre chambres. «Tous nos loyers sont 10 % à 30 % inférieurs aux prix du marché, note fièrement Laurent Levesque. Il y a même quelques familles étudiantes parmi les locataires.»

Les étudiantes et étudiants qui louent un logement de l’UTILE doivent être inscrits à un minimum de deux cours par session. «Plusieurs personnes nous disent qu’elles n’ont jamais habité dans un logement aussi beau. Ça ne me surprend pas, car moi non plus, à ce jour, je n’ai jamais eu la chance d’habiter un appartement neuf comme ceux que nous louons», rigole Laurent Levesque.

Deux crises du logement interreliées

Depuis ces deux premiers succès (et de nombreuses récompenses du milieu de l’innovation sociale), le téléphone de l’UTILE ne dérougit plus. Plusieurs régions du Québec frappent à sa porte, car les besoins en matière de logement étudiant, et de logement abordable tout court, sont immenses. «Un des facteurs qui contribuent à la crise du logement est le déficit accumulé de logements étudiants abordables, analyse Laurent Levesque. Lorsque de nouveaux logements étudiants abordables sont offerts, cela libère des logements pour d’autres ménages, ce qui contribue à ramener le marché locatif des villes universitaires plus près de son point d’équilibre.»

L’organisme, qui compte désormais une vingtaine d’employés réguliers, a développé une solide expertise, mais le collectif ne peut résoudre la crise du logement à lui seul. «Nous ne pourrons même pas répondre à la demande de logements étudiants des 10 prochaines années», estime son directeur général.

L’organisme appuie les revendications des cégeps et des universités dans leurs projets de logements étudiants et peut accompagner quiconque se lance dans ce type d’aventure, y compris pour du logement abordable non étudiant. «Notre modèle est reproductible. Nous verrions donc d’un très bon œil la présence d’autres acteurs, surtout en région, ajoute le directeur. Nous ne visons pas le profit, mais le bien commun!»

D’autres projets à venir

L’UTILE devrait inaugurer à l’été 2023 un immeuble de 260 résidents, l’Ardoise, situé à Sainte-Foy, en face de l’Université Laval. «Nous sommes également propriétaires d’un terrain à Trois-Rivières sur lequel nous espérons commencer la construction l’an prochain pour une livraison probable en 2025, note Laurent Levesque. Nous sommes en recherche d’un site à Sherbrooke et nous avons acheté, l’été dernier, le terrain sur lequel se trouvait l’ancien bar Les Katacombes, coin Saint-Laurent et Ontario, à Montréal.»

Impliqué au sein de quelques conseils d’administration – il préside notamment celui du Chantier de l’économie sociale – Laurent Levesque sait qu’il passera à autre chose un de ces jours, mais, pour l’instant, l’UTILE lui donne maintes occasions stimulantes d’apprendre et de relever de nouveaux défis. «Nous tentons de développer un parc immobilier panquébécois. En économie sociale, c’est du jamais-vu au Québec», conclut-il.