La Galerie de l’UQAM accueille Spazio Disponibile («Espace disponible» en italien), une exposition majeure de l’artiste Dawit L. Petros mise en circulation par The Power Plant Contemporary Art Gallery (Toronto) et commissariée par Irene Campolmi. Concluant sa tournée nord-américaine à Montréal, ce projet présente la réflexion menée par l’artiste sur les couches complexes des histoires coloniales et postcoloniales reliant l’Érythrée, l’Italie et le Canada.
Dawit L. Petros déploie un ensemble d’œuvres – photographies, images en mouvement, objets sculpturaux, éléments sonores – qui interrogent les liens inexplorés entre la colonisation, les migrations et le modernisme. Spazio Disponibile fait allusion aux sections publicitaires publiées dans Rivista Coloniale, une revue à grand tirage du début du 20e siècle qui a été l’organe officiel du projet colonial italien. Le titre de l’exposition évoque également le regard colonial percevant les terres d’Afrique comme un espace disponible à occuper et à exploiter.
À l’aide de documents d’archives collectés sur une période de sept ans, l’artiste retrace la présence italienne en Éthiopie et en Érythrée entre la fin du 19e et le début du 20e siècle, mettant en lumière les liens entre la résurgence contemporaine du nationalisme et la mémoire refoulée, mais persistante, de la colonisation italienne.
Spazio Disponibile aborde également les écueils associés à l’édification d’une nation et les récits entremêlés de la migration. Elle examine les parallèles entre les histoires africaines et le modernisme européen, et le rôle des objets dans la construction et la transmission des idéologies culturelles, reliant les individus par-delà les frontières et réunissant des géographies aussi hétéroclites que celles de l’Italie, de l’Érythrée et du Canada.
Artiste visuel, chercheur et pédagogue, Dawit L. Petros s’inspire des travaux portant sur le global modernism, les théories de la diaspora et le postcolonialisme. Au cours des 10 dernières années, il s’est consacré à une relecture critique des liens troubles entre le colonialisme et la modernité. Ces préoccupations découlent de ses expériences d’émigrant érythréen ayant passé ses jeunes années en Érythrée, en Éthiopie et au Kenya avant de s’installer au Canada.
Fantôme topographique
Dans la petite salle, la Galerie propose Views from Above, une exposition posthume d’œuvres photographiques et sculpturales d’Emmanuelle Duret, finissante de la maîtrise en arts visuels et médiatiques décédée le 3 février 2022. Des personnes amies ont entrepris de déposer son mémoire et de produire cette exposition – accompagnée d’un carnet – avec la collaboration de la Galerie et de son père, Edmond Duret.
Views from Above constitue le troisième volet d’une réflexion sur la muséographie du mémorial du camp de concentration de Dachau, en Allemagne. Pour cette exposition, Emmanuelle Duret s’est intéressée au sous-camp Allach, construit en 1943 à Ludwigsfeld, un quartier résidentiel situé à quelques kilomètres de Dachau. Destiné aux travaux forcés, Allach servira après la guerre de camp de transit pour réfugiés avant d’être occupé par des immeubles d’habitations.
Au moyen de quelques photos et d’une installation, la finissante témoigne du caractère presque invisible de l’inscription de l’histoire et de la mémoire sur le territoire du sous-camp.
En 2021, elle décrivait ainsi son projet: «Je propose, entre autres, de mettre à profit la forme quadrangulaire de la salle d’exposition [de la Galerie de l’UQAM], afin d’y réitérer le site du lotissement, plus spécifiquement, l’espace de la fondation vide de la baraque nº 5 [de l’ancien sous-camp d’Allach]. Je souhaite disposer dans l’espace les vues photographiques aériennes de celle-ci, de même qu’une reconstruction de la table en béton se trouvant [sur] la fondation de cette même baraque disparue […].»
À partir du centre de la fondation cimentée, entourée de bâtiments résidentiels, Emmanuelle Duret a effectué quatre prises de vue. «Ce fragment d’histoire demeure bien à la vue des civils, du haut des balcons et des fenêtres des résidences, écrivait-elle dans son mémoire de maîtrise. Pourquoi alors ne pas aborder la mémoire de cet espace-limite au vu et au su de tous?»
Les expositions Spazio Disponibile et Views from Above sont présentées jusqu’au 21 janvier 2023.