L’Unité de recherche et d’intervention sur le TRAuma et le CouplE (TRACE) dirigée par la professeure du Département de sexologie Natacha Godbout lance une série de capsules vidéo visant à démystifier la trajectoire des hommes survivants de violences sexuelles subies dans l’enfance. Les vidéos présentent des hommes qui témoignent de leurs parcours difficiles, des impacts des traumas sur leur vie d’enfant et d’adulte, du moment où ils ont dévoilé les agressions à leurs proches et de leur processus de guérison.
Réalisées dans le cadre du projet de recherche Collectif national sur la victimisation au masculin (CNVAM), financé par le ministère de la Justice du Québec et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, ces capsules vidéo ont pour objectifs de sensibiliser la population aux traumas sexuels subis pendant l’enfance, en particulier ceux vécus par les garçons, à déconstruire certaines normes délétères de la masculinité et à favoriser la santé mentale et la cohésion du tissu social. «Nous souhaitons rejoindre le public, mais aussi les intervenantes et intervenants en relation d’aide, qui ne sont pas nécessairement formés à accompagner et à soutenir des hommes victimes de violences sexuelles durant l’enfance, précise Natacha Godbout. Il faut les sensibiliser eux aussi.»
Amener les hommes à demander de l’aide
Les recherches démontrent que les hommes attendent entre 25 et 40 ans en moyenne avant de parler des violences sexuelles qu’ils ont subies. «Le tabou de l’agression sexuelle touche toutes les victimes, relève Natacha Godbout. Mais il est encore plus difficile pour les hommes d’en parler et de demander de l’aide puisque ils ont intégré depuis qu’ils sont petits l’idée, fausse, qu’un homme, un vrai, doit être fort et ne pas demander de l’aide.»
Beaucoup d’hommes ne veulent pas s’identifier comme victimes. «Ils se disent qu’ils vont oublier les agressions qu’ils ont subies, mais cela ne s’oublie pas, précise la professeure. Les victimes peuvent développer plusieurs problèmes comme une incapacité à faire confiance aux autres ou une faible estime de soi ou encore vivre des relations de couple difficiles.»
Voir d’autres hommes témoigner des gestes dont ils ont été victimes peut amener les hommes à chercher de l’aide. «Faire appel à des hommes qui ont eux-mêmes vécu des abus et des agressions sexuels pour les capsules vidéo a un plus grand impact incitatif auprès du public masculin que si nous avions seulement présenté des résultats de recherche sur le sujet», illustre Natacha Godbout. Selon Stéphanie Pelletier, coordonnatrice de TRACE, les capsules peuvent contribuer à donner un exemple aux plus jeunes qui ont vécu des traumatismes durant l’enfance et les inciter à prendre la parole à leur tour.
Agressés par des femmes
Dans l’une des capsules, on fait ressortir le fait que les agresseurs peuvent être des femmes. «Oui, on peut dire, statistiques à l’appui, que les hommes constituent les principaux agresseurs, mais il est aussi vrai que les femmes commettent des crimes sexuels», constate la professeure. Elle affirme du même souffle que les hommes agressés par des femmes se font parfois dire qu’ils sont chanceux. «Il faut changer ces perceptions. Ce n’est pas vrai que les hommes sont heureux d’avoir une relation sexuelle dans un contexte où ils ne sont pas consentants ou pas en mesure de donner leur consentement.»
Les hommes étant supposés être forts et capables de se défendre, selon les normes sociales de la masculinité, nombreux sont ceux qui croient qu’ils auraient dû se défendre et mettre leurs limites, même s’ils étaient enfants. «Il y a un travail de conscientisation et d’éducation à faire sur le fait qu’un enfant n’a pas à dire qu’il est consentant ou pas, note Natacha Godbout. Cela ne se pose pas, du moins pas avant l’âge de 12 ans. L’enfant n’a pas ce qu’il faut pour consentir à des actes sexuels.»
Dans les conversations informelles, l’idée qu’une fille a provoqué une agression par sa façon de s’habiller ou qu’elle fait plus vieille que son âge est encore véhiculée, observe la chercheuse. «Le blâme des victimes est encore très présent, autant pour les femmes que pour les hommes.»
Masculinité toxique… aussi pour les hommes
Même si les vidéos mettent en lumière les agressions vécues par les hommes, elles n’ont pas pour but d’occulter la réalité de la violence faite aux femmes. «TRACE est une équipe de recherche féministe, souligne Stéphanie Pelletier, et la masculinité toxique n’est pas toxique seulement pour les femmes. Les hommes empêtrés dans certains mythes entourant la masculinité ont du mal à chercher de l’aide, car ils ne réalisent pas qu’ils sont victimes d’actes criminels. Nos projets de recherche essaient de déconstruire cette masculinité toxique afin de donner une voix à toutes les personnes victimes, indépendamment de leur identité sexuelle et de genre.»
Dans l’esprit populaire, les hommes ne peuvent pas être victimes d’abus ou d’agressions sexuels, poursuit Natacha Godbout. «On campe parfois les hommes dans le rôle de l’agresseur et cela fait partie du problème, puisque cela rend difficile le fait de documenter le phénomène, de reconnaitre la victimisation au masculin et d’y répondre adéquatement .» Selon la chercheuse, on estime qu’entre 10 et 35 % des hommes auraient été victimes d’agressions sexuelles durant l’enfance. «Cela dépend de la manière dont on pose la question, note-t-elle. Pour obtenir des réponses, il faut des questions concrètes.»
Le fait que l’information soit difficile à obtenir complique la tâche consistant à organiser les services, à guider les campagnes d’information et de sensibilisation, et à mettre sur pied des mesures d’intervention. Cela fait souvent en sorte que l’homme qui décide de demander de l’aide ne sait pas où aller.
Un projet partenarial
Ce projet partenarial est chapeauté par un comité aviseur composé de la chercheuse principale, Natacha Godbout, d’un des cochercheurs, le professeur Jean-Martin Deslauriers (Université d’Ottawa), d’une représentante de la relève, la doctorante en psychologie Rose Lebeau, de deux représentants des organismes partenaires qui viennent en aide aux hommes, soit les directeurs d’AutonHommie et de Soutien aux hommes agressés sexuellement – Estrie (SHASE), et de deux représentants d’hommes survivants de traumas interpersonnels durant l’enfance, Alain Faubert et Daniel Lalonde.
Les professeures du Département de sexologie Mylène Fernet et Martine Hébert collaborent aussi à ce projet à titre de cochercheuses, de même que Marie-Pier Vaillancourt-Morel (UQTR) et Audrey Brassard (Université de Sherbrooke).
Plusieurs partenaires du milieu sont aussi impliqués:
- A coeur d’homme: Réseau d’aide aux hommes pour une société sans violence
- AutonHommie
- Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel La Bôme-Gaspésie (CALACS)
- Centre d’aide pour victimes d’agression sexuelle Richelieu-Yamaska Sorel-Tracy (CAVAS)
- Centre d’entraide et de traitement des agressions sexuelles (CETAS)
- Centre de ressources et d’intervention pour hommes abusés sexuellement dans leur enfance (CRIPHASE)
- Centre d’intervention en abus sexuels pour la famille (CIASF)
- Centres d’aide aux victimes d’actes criminels de la Montérégie (CAVAC)
- Laboratoire d’étude de la santé sexuelle
- Milieu d’intervention et de thérapie en agression sexuelle (MITAS)
- Pôle d’expertise et de recherche en santé et bien-être des hommes
- Pro-gam Inc.
- Soutien aux hommes agressés sexuellement – Estrie
- Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS)
Des résultats positifs
Les résultats d’une recherche visant à évaluer la portée des vidéos fera l’objet d’un article. Natacha Godbout a demandé à différentes personnes (des femmes pour la plupart, mais aussi des hommes et des personnes non binaires) de répondre à un questionnaire portant sur leurs attitudes et leurs connaissances face au trauma, avant et après le visionnement des capsules vidéos, puis elle a comparé leurs réponses. Les participantes et participants ont aussi fait part de leur appréciation des vidéos. «Les résultats montrent que les connaissances sur les traumas étaient plus élevées après avoir visionné les capsules, observe la chercheuse. Les participantes et participants se sentaient plus aptes à discuter avec une personne victime de son vécu, à l’orienter vers des ressources d’aide, à dénoncer un comportement sexuel et à réagir à un dévoilement de manière appropriée après avoir visionné les capsules.»
Selon Natacha Godbout, les résultats de cette recherche démontrent qu’il y a un avantage à diffuser les vidéos et à rejoindre le plus large public possible.