Le professeur du Département des sciences juridiques Bernard Duhaime devait figurer parmi les trois conférenciers invités lors de la réunion du Conseil permanent, principal organe de l’Organisation des États américains (OÉA), le 7 décembre dernier, afin de souligner le 75e anniversaire de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme. «Le Conseil permanent avait jugé pertinent d’organiser cet événement à quelques jours de la Journée internationale des droits humains, célébrée partout dans le monde le 10 décembre», souligne le juriste, qui a été invité à prendre la parole à titre de spécialiste du système interaméricain de protection des droits de la personne. Avant son embauche à l’UQAM, Bernard Duhaime agissait comme avocat au Secrétariat de la Commission interaméricaine des droits de l’homme de l’OÉA.
Coup de théâtre: alors qu’il s’apprête à prendre la parole après sa collègue Kathryn Sikkink, éminente spécialiste des droits humains à Harvard, l’ambassadeur du Pérou avise l’assemblée qu’un coup d’État a lieu au moment même dans son pays!
Ce jour-là, le président du Pérou, Pedro Castillo, a tenté de dissoudre le Congrès pour réécrire la Constitution du pays, vraisemblablement afin de s’accrocher au pouvoir. Son geste a entraîné plusieurs ministres de son cabinet à remettre leur démission en guise de protestation. Re-coup de théâtre quelques heures plus tard: le Congrès a voté à 101 voix sur 130 la destitution du président, qui a été arrêté, puis détenu par la police de Lima. La vice-présidente Dina Boluarte a été assermentée à titre de nouvelle présidente, mais elle devra obtenir l’approbation des autres partis pour gouverner.
«C’était l’Histoire qui s’écrit en direct», commente avec stupéfaction Bernard Duhaime. Ces événements venant jeter de l’ombre sur une célébration des droits humains et, par extension, de la démocratie et de l’État de droit, les travaux du Conseil permanent de l’OÉA ont été suspendus pour le reste de la journée.
«En 2023, l’ONU célébrera le 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Or, la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme l’a précédée de huit mois, en avril 1948, et l’a influencée à coup sûr, nous apprend Bernard Duhaime. Les deux documents constituent en quelque sorte le point de départ du régime international des droits humains.»
Reprise le lendemain
La réunion a repris le 8 décembre là où elle avait été interrompue. Au début de sa présentation, Bernard Duhaime n’a pas manqué de souligner les faits récents survenus au Pérou, réitérant «l’engagement de la communauté internationale envers les idéaux de dignité, de liberté et de justice pour tous.»
Le juriste a présenté ensuite un exposé succinct sur l’importance de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, sa contribution à l’architecture des droits humains dans les Amériques et à l’international. «Ce fut le seul instrument de l’OÉA pendant 31 ans, jusqu’à l’entrée en vigueur de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, en 1979, qui constitue le traité international majeur du système interaméricain de protection des droits humains», précise-t-il.
Pendant toutes ces années, la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme a servi de document de référence afin d’innover sur le plan des normes juridiques internationales, poursuit le professeur. «Même s’il ne s’agit pas d’un traité, on a fini par en reconnaître le caractère contraignant, c’est ce qu’on appelle du droit coutumier, ou si l’on veut un ensemble de règles qui découlent d’une pratique générale acceptée comme étant une norme de droit», explique-t-il.
«Depuis cinq ans, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a adopté une vision plus large de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme par rapport aux droits économiques, sociaux et culturels, étendant ainsi, en quelque sorte, son influence en matière de principes généraux, notamment sur l’éducation et la santé», poursuit le juriste.
Bernard Duhaime a fondé et dirigé la Clinique internationale de défense des droits humains (CIDDHU) de l’UQAM, dont le travail a mené à deux verdicts favorables auprès de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans deux affaires au Guatemala (2010) et en République Dominicaine (2012).
«Prendre la parole devant le Conseil permanent de l’OÉA aujourd’hui pour célébrer la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme était un peu comme revenir à mes débuts», conclut le professeur, qui a également œuvré de 2014 à 2021 à titre de membre, puis de président-rapporteur du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires des Nations Unies, où il a eu l’occasion de s’adresser au Conseil des droits de l’homme, à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité de l’ONU. Le Barreau du Québec lui a décerné le titre d’avocat émérite en 2021.