Depuis une semaine, les personnes affectées par les allergies saisonnières renouent avec les yeux qui piquent et le nez qui coule. «On vient d’entrer dans la pire saison, celle de l’herbe à poux», se désole le professeur du Département des sciences biologiques Alain Paquette, qui en souffre lui-même.
Au début de l’été, les membres de son équipe ont réalisé une étude originale. Ils ont analysé la quantité de pollen inhalée par les cyclistes sur deux des principales pistes cyclables montréalaises. «Il s’agit d’une partie du REV Saint-Denis, fortement fréquenté en semaine et peu bordé de végétaux, et du canal de Lachine, qui est très achalandé la fin de semaine et bien végétalisé», précise l’étudiant au baccalauréat en biologie en apprentissage par problèmes Gabriel Davidson-Roy, qui a réalisé cette étude en compagnie de la doctorante Sarah Tardif, sous la supervision d’Alain Paquette.
Afin de recueillir le pollen, les deux chercheurs ont monté un capteur portatif, appelé Pollen Sniffer, sur leurs bicyclettes respectives. «Le capteur aspire l’air ambiant afin d’attraper les pollens qui s’y retrouvent, lesquels se déposent ensuite sur une lamelle recouverte de vaseline», explique Gabriel Davidson-Roy.
L’expérience a été réalisée le 30 juin dernier sur des trajets de 3,1 kilomètres, effectués simultanément et à la même vitesse – 18,6 km/h – par les deux chercheurs, qui ont répété l’expérience le matin à 8 h 30 et 10 h 30, puis l’après-midi à 16 h 30.
Trois fois plus de pollen aux abords du canal de Lachine
Les analyses microscopiques des lamelles ont permis de déterminer la quantité de pollen absorbé par mètre cube d’air, puis de calculer le nombre de grains de pollen inhalés par minute. «Les résultats révèlent que les cyclistes du canal de Lachine respirent en moyenne trois fois plus de pollens que ceux du REV Saint-Denis, indique Gabriel Davidson-Roy. Un cycliste sur le canal respire environ neuf grains de pollen par minute, tandis qu’un cycliste sur le REV Saint-Denis n’en respire que trois.»
Une personne à vélo empruntant le REV entre le boulevard Rosemont et la rue Berri respirera ainsi environ 33 grains de pollen sur son trajet, en moyenne, tandis qu’une autre circulant aux abords du canal de Lachine, entre Griffintown et l’Esplanade du Centenaire, inhalera environ 95 grains de pollen. «Il faut, bien sûr, considérer que la quantité de pollen dans l’air varie beaucoup avec les saisons. Les chiffres absolus sont donc à prendre avec précaution. C’est le contraste des valeurs relatives entre les deux trajets qui a retenu notre attention», note l’étudiant.

Les chercheurs ont également tenté d’identifier la provenance des pollens avec lesquels les cyclistes entrent en contact. «Au microscope, nous ne pouvons pas identifier spécifiquement l’espèce, mais nous sommes capables de cerner la famille ou le genre, précise Gabriel Davidson-Roy. Ainsi, on observe que la majorité des pollens provient des graminées (59 % sur le canal de Lachine et 40 % sur le REV Saint-Denis), des pinacées, une grande famille de conifères incluant les sapins, les épinettes, les mélèzes et les pins (18 % et 29 %) et des tilleuls (18 % et 19 %). Là aussi, il importe de préciser que la provenance varie selon les saisons.»
Un outil complémentaire
«Cette expérience à vélo visait à évaluer l’utilisation des Pollen Sniffer sur des places publiques en complément de ce qu’on fait avec les 25 stations permanentes installées sur l’île de Montréal dans le cadre du projet financé par le ministère de la Santé et des Services sociaux et les programmes Alliance et Nouvelles frontières en recherche du CRSNG», explique Alain Paquette, titulaire de la Chaire de recherche sur la forêt urbaine. «Il faut beaucoup de temps pour récolter suffisamment de pollen dans l’une de nos stations, car on doit attendre que celui-ci s’y dépose naturellement, précise-t-il. Les Pollen Sniffer ont l’avantage d’être mobiles et “d’avaler” une grande quantité d’air en peu de temps, ce qui se rapproche plus d’un humain qui respire.»
Tout comme son directeur de thèse, Sarah Tardif souffre d’allergies saisonnières. «C’est pour cette raison, entre autres, que je me suis intéressée au projet de recherche sur les pollens en milieu urbain et les allergies saisonnières, et que j’y consacre ma thèse», souligne la doctorante, qui est codirigée par Rita Sousa Silva (Université de Freiburg) et Isabelle Laforest-Lapointe (Université de Sherbrooke), lesquelles participent également au projet de recherche.
Celui-ci consiste à développer et à mettre en place un vaste réseau de surveillance du pollen pour représenter avec précision la variabilité des concentrations de pollen à Montréal, et à identifier à l’aide d’outils moléculaires les types de pollens des arbres, des graminées et des herbes au niveau des espèces. «Ces informations nous permettront de modéliser et de prévoir la concentration des différentes espèces de pollen et d’explorer les liens avec la santé humaine», explique Sarah Tardif.
Cycliste affligé lui aussi d’allergies saisonnières au printemps et au début de l’été, Gabriel Davidson-Roy trouve important que les personnes fortement allergiques au pollen soient informées des endroits où leurs symptômes risquent de s’intensifier. «C’est toujours plus agréable d’admirer le paysage les yeux au sec», conclut-il.