Photo: Nathalie St-Pierre
Elle a 32 ans et raffole des défis. Les dossiers les plus complexes et les plus exigeants ne lui font pas peur. La diplômée et avocate Virginie Dufresne-Lemire (B.A. relations publiques, 2011; LL.B., 2014) se trouve sous les feux des projecteurs depuis qu’elle a pris la défense de Mamadi Camara il y a près d’un mois. Ce jeune homme de 31 ans, originaire de la Guinée, que tout le Québec connaît maintenant, a été arrêté et incarcéré à tort pendant six jours, sans avoir pu bénéficier de la présomption d’innocence, un principe pourtant fondamental de notre système pénal.
Lauréate en 2019 du prix de la Relève décerné par le Conseil de diplômés de la Faculté de science politique et de droit, Virginie Dufresne-Lemire a commencé à pratiquer le droit criminel en 2015, après ses études à l’UQAM et un stage au Tribunal des droits de la personne. Puis, elle s’est spécialisée en droit civil dans les dossiers de brutalité policière et d’agressions sexuelles, notamment dans le cadre d’actions collectives contre des congrégations religieuses.
«Défendre et accompagner les victimes de bavures policières et d’abus sexuels commis par des membres de congrégations religieuses, c’est comme David qui affronte Goliath, car ces dossiers mettent en cause la réputation d’institutions sociales, dit la jeune avocate. J’ai réalisé rapidement que, selon la couleur de notre peau, selon qu’on ait de l’argent ou pas ou selon que l’on soit un homme ou une femme, tout le monde n’est pas égal devant le système de justice. Le fait d’être confrontée aux iniquités et aux failles de ce système m’a donné envie de les combattre.»
«J’ai appris à concevoir le droit comme un outil et non comme une fin en soi.»
Virginie Dufresne-Lemire,
Diplômée et avocate en droit civil
Des relations publiques au droit
Rien ne prédestinait Virginie Dufresne-Lemire à devenir avocate. Elle étudie d’abord en relations publiques à l’UQAM, avant d’entreprendre un bac en droit. «Après avoir travaillé un peu en communications, j’ai pris conscience que l’univers des relations publiques ne répondait pas vraiment à mes attentes, raconte-t-elle. Mon père m’a alors conseillé d’étudier en droit en me disant: il me semble que tu ferais une bonne avocate. Au départ, le monde du droit m’apparaissait prestigieux, voire élitiste, et je me disais que ce n’était pas pour moi. Aujourd’hui, je sais que j’ai fait le bon choix.»
La jeune femme dit avoir apprécié ses études de droit à l’UQAM. «J’y ai connu des professeurs compétents qui ne craignaient pas de donner leur avis et qui encourageaient le débat. L’approche était très critique et j’aimais ça. Plutôt que de nous faire entrer dans un moule, on nous encourageait à réfléchir sur le rôle du droit et du système de justice dans la société. J’ai appris à concevoir le droit comme un outil et non comme une fin en soi.»
Après ses études, en 2015, un heureux concours de circonstances amène Virginie Dufresne-Lemire à s’impliquer dans une importante poursuite collective, malgré son manque d’expérience. «J’ai aussitôt cherché un mentor en droit civil et je l’ai trouvé en la personne de Me Alain Arsenault (LL.B., 1980), un diplômé de l’UQAM, qui est aujourd’hui mon collègue au sein du cabinet Arsenault, Dufresne, Wee Avocats. Reconnu pour son expertise dans les cas de brutalité policière et d’agressions sexuelles, c’est lui qui m’a formée. Mon intérêt pour ces dossiers a grandi en travaillant avec Alain Arsenault, puis s’est transformé en une véritable passion.»
«Bien que les bavures policières touchent tout le monde, j’ai pu constater, tant en droit criminel qu’en droit civil, que les personnes racisées sont sur-représentées parmi les victimes.»
Un petit cabinet
En 2017, la diplômée s’associe à Justin Wee (LL.B., 2015), un jeune avocat comme elle, pour former un petit cabinet. «Me Arsenault, qui travaillait à son compte depuis plus de 30 ans, s’est joint à nous en 2018. Il a dû trouver que l’on se débrouillait plutôt bien. Notre bureau est l’un des rares à se spécialiser dans les dossiers concernant la violence policière et celles à caractère sexuel.»
Virginie Dufresne-Lemire reconnaît que ces types de dossiers, très médiatisés, touchent des cordes sensibles dans l’opinion publique, ce qui pose des défis particuliers dans son travail. «Il faut avoir une approche globale. On ne peut pas réfléchir à ces enjeux uniquement en termes de droit – ce que dit la loi, ce que doit être la stratégie juridique –, mais aussi à la façon dont on parle aux médias et à la manière dont on peut obtenir des appuis. Ma formation en relations publiques m’a aidée à comprendre l’importance de l’opinion publique, du rôle des journalistes et du travail de vulgarisation.»
La brutalité policière ne date pas d’hier, mais on en parle davantage aujourd’hui, note la juriste. «Ainsi, on ne débat plus seulement de l’existence ou non du profilage racial, mais aussi de la façon dont on peut l’éradiquer, ce qui témoigne d’une évolution positive de notre société. Bien que les bavures policières touchent tout le monde, j’ai pu constater, tant en droit criminel qu’en droit civil, que les personnes racisées sont sur-représentées parmi les victimes. Ce sont des faits incontestables.»
Pour une enquête publique
Dans l’affaire Camara, bien que son client ait été innocenté, toute la lumière n’a pas été faite sur le cafouillage ayant mené à son arrestation et sa détention. La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a exclu la tenue d’une enquête publique parce qu’une enquête criminelle est en cours pour retrouver l’auteur de l’agression contre le policier du SPVM. La ministre a toutefois annoncé que le juge Louis Dionne, ancien directeur des poursuites criminelles et pénales, avait reçu le mandat de mener une enquête indépendante. Virginie Dufresne-Lemire, elle, défend la nécessité d’une enquête publique pour des raisons de transparence.
«Il y a clairement des problèmes de profilage racial et de discrimination dans ce dossier et je crains qu’ils ne soient pas abordés dans le cadre d’une enquête indépendante menée en vase clos», souligne l’avocate. De plus, ajoute-t-elle, rien ne garantit que le rapport du juge Dionne soit rendu public et celui-ci pourrait ne contenir aucun blâme ni recommandation de sanction. «Dans une enquête publique, des questions et des commentaires peuvent être formulés ouvertement, observe Virginie Dufresne-Lemire. Il est important que la société civile participe au débat sur les enjeux que soulève cette affaire. C’est aussi la meilleure façon d’agir si on veut que la population ne perde pas confiance dans les forces policières.»
«Après tout ce qu’il a subi, il est important que M. Camara obtienne sa résidence permanente pour qu’il puisse terminer ses études et se remettre sur pied en toute tranquillité.»
Un autre avocat uqamien
Un autre avocat issu de l’UQAM défend Mamadi Camara dans son dossier d’immigration. Il s’agit de l’avocat en immigration Guillaume Cliche-Rivard (B.A. relations internationales et droit international, 2011; LL.B., 2014), également chargé de cours à la Faculté de science politique et de droit.
Le 16 février dernier, les députés de la Chambre des communes, à Ottawa, et de l’Assemblée nationale, à Québec, ont adopté à l’unanimité des motions demandant au gouvernement fédéral d’accorder la résidence permanente à Mamadi Camara, dont le statut temporaire d’étudiant étranger expire le 15 mai prochain.
«Après tout ce qu’il a subi, il est important que M. Camara obtienne sa résidence permanente pour qu’il puisse terminer ses études et se remettre sur pied en toute tranquillité», commente la diplômée.
Engagement social et communautaire
Parallèlement à ses fonctions d’avocate, Virginie Dufresne-Lemire s’est constamment impliquée dans, divers organismes. Elle a été membre du C.A. du Centre de ressources et d’intervention pour hommes abusés sexuellement dans leur enfance (CRIPHASE), un organisme à but non lucratif qui aide ces personnes à se libérer de leur traumatisme, ainsi que membre bénévole du Comité pro bono et du Comité affaires publiques du Jeune Barreau de Montréal. Membre de la Ligue des droits et libertés du Québec, elle siège également au C.A. de la Fondation Yvon Deschamps Centre-Sud, qui vient en aide aux familles et aux jeunes du quartier. Enfin, depuis quelques années, Virginie Dufresne-Lemire a agi à titre d’avocate partenaire à la Clinique internationale de défense des droits humains (CIDDHU), à l’UQAM, où elle a supervisé des équipes d’étudiants.
C’est d’ailleurs pour souligner les retombées humaines, sociales et communautaires de son engagement que le Conseil de diplômés de la Faculté de science politique et de droit lui a décerné son prix de la Relève.
L’avocate hésite, toutefois, à se qualifier de personne engagée, un terme qu’elle juge galvaudé. «Je connais des personnes qui le sont tellement plus que moi, dit-elle. Mais j’aime travailler avec des gens qui me proposent des projets intéressants. Et tant mieux si cela peut faire bouger les choses socialement.»
Parmi tous les dossiers dans lesquels Virginie Dufresne-Lemire a été impliquée depuis qu’elle a commencé à pratiquer le droit, certains ont été plus délicats à traiter que d’autres. «ll est difficile de côtoyer des personnes en détresse et dont la vie a été gâchée parce qu’elles ont été victimes d’agressions sexuelles, dit la juriste. J’ai rencontré des hommes de 80 ans et plus qui avaient subi dans leur enfance des sévices sexuels de la part de membres de congrégations religieuses et qui vivent encore dans la honte. Ce sont des dossiers importants, mais lourds à porter. Heureusement, je peux compter sur l’appui de mes collègues. Nous formons une petite équipe, mais nous sommes là les uns pour les autres.»
Il y a aussi des moments qui procurent une grande satisfaction, confie la diplômée. «C’est le cas quand un juge comprend ce que l’on essaie de faire, quand on sent qu’il nous suit dans notre raisonnement. Enfin, les mots de remerciement que l’on reçoit de nos clients… cela fait tellement de bien!»