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Valoriser l’expertise citoyenne en environnement

Le réseau de formation FORJE a permis un dialogue entre groupes écologistes et chercheurs universitaires.

Par Claude Gauvreau

23 août 2021 à 18 h 08

Mis à jour le 23 août 2021 à 18 h 08

Série En vert et pour tous
Projets de recherche, initiatives, débats: tous les articles qui portent sur l’environnement.

Photo: Getty/Images

Ces dernières années, plusieurs mégaprojets de développement énergétique – projets de ports méthaniers à Cacouna et Lévis, projet de pipeline Énergie-Est, exploitation du gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent – se sont heurtés à l’opposition d’organisations de la société civile québécoise. Ces mobilisations populaires pour une transition énergétique respectueuse de l’environnement ont révélé l’existence d’une expertise citoyenne dans ce domaine, dont la légitimité demeure toutefois peu reconnue dans l’espace public.

Afin de mettre en valeur les savoirs de groupes écologistes, de comités écocitoyens et d’associations syndicales, et de les faire dialoguer avec ceux de chercheurs universitaires, le projet de recherche-action FORJE (FORmation collaborative pour une Justice Énergétique) a été mis sur pied en 2018, à l’instigation de la professeure du Département de didactique Laurence Brière. Soutenu par le Service aux collectivités (SAC), ce projet est issu d’un partenariat entre le Réseau québécois des groupes écologistes (RQGE) et le Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté (Centr’ERE) de l’UQAM. Il a été développé par un comité de pilotage formé de personnes représentant des groupes écologistes ainsi que de chercheuses et de chercheurs.

«En créant ce réseau de formation collaborative, nous voulions partager l’expertise des groupes écologistes, acquise sur le terrain grâce au travail militant», souligne Laurence Brière, membre du Centr’ERE. Dans un rapport de recherche publié en juillet dernier, «Encourager et nourrir la formation réciproque au cœur d’initiatives citoyennes de résistance et de transition énergétique», le réseau FORJE insiste sur l’importance de la justice cognitive, laquelle affirme l’égalité des intelligences et la complémentarité des expertises scientifiques et non scientifiques.

«Des études ont déjà souligné la fécondité du dialogue des savoirs citoyens, expérientiels, ancestraux, autochtones et scientifiques quand il s’agit d’appréhender la complexité des enjeux socio-écologiques et de développer une conscience sociale et environnementale. Dans les débats publics sur les projets énergétiques, ces divers types de savoirs devraient être pleinement reconnus et non pas relégués automatiquement du côté de l’opinion.»

Laurence Brière,

Professeure au Département de didactique

«Des études ont déjà souligné la fécondité du dialogue des savoirs citoyens, expérientiels, ancestraux, autochtones et scientifiques quand il s’agit d’appréhender la complexité des enjeux socio-écologiques et de développer une conscience sociale et environnementale, rappelle Laurence Brière. Dans les débats publics sur les projets énergétiques, ces divers types de savoirs devraient être pleinement reconnus et non pas relégués automatiquement du côté de l’opinion.»

Transition énergétique et justice sociale

Pour le réseau FORJE, la valorisation et le partage des savoirs, loin de constituer une fin en soi, doivent servir l’action collective pour une transition et une justice énergétiques. C’est pourquoi le réseau s’est arrimé, en 2019, au Front commun pour la transition énergétique (FCTE), qui chapeaute quelque 90 organisations de la société civile. Depuis, le FCTE a lancé le projet d’action Québec ZéN (zéro émission nette) pour une transition vers la décarbonisation de l’économie, tout en soutenant la mise en œuvre de 12 chantiers régionaux de transition énergétique au Québec.

«La transition vers la carboneutralité promue par le FCTE se veut porteuse de justice sociale et vise à inscrire les gens les plus susceptibles de subir les conséquences des changements climatiques dans le dialogue autour des choix sociétaux de production, de distribution et de consommation d’énergie, observe Laurence Brière. Cela implique de tenir compte des réalités et des besoins des groupes vulnérables et marginalisés, comme les communautés autochtones et les populations défavorisées dans les grands centres urbains.»

Utilisé surtout en milieu universitaire, le récent concept de justice énergétique est aussi mis de l’avant par certains groupes écologistes et communautaires. «Il fait référence à la nécessité de transformer, par l’engagement populaire, le système économico-énergétique hégémonique dans une perspective de justice sociale et de respect de l’environnement, indique la professeure. Dans un idéal de justice énergétique, nous gérerions en commun et de manière écologique nos systèmes énergétiques.»

«Nous avons développé un cadre conceptuel novateur de la justice énergétique, qui évite de se concentrer uniquement sur les aspects économiques et techniques de la transition énergétique, qui prend en compte ses dimensions sociales ainsi que les réalités concrètes des luttes écocitoyennes.»

Des besoins prioritaires

Le projet FORJE comportait deux volets. Le premier consistait en une «enquête diagnostique» réalisée auprès de 26 personnes dans 11 régions du Québec, représentant des groupes écologistes, des comités écocitoyens, des associations syndicales et des communautés autochtones. L’enquête a permis, notamment, d’identifier quatre besoins prioritaires, lesquels ont été examinés dans des groupes de discussion lors du deuxième volet de la recherche. Ces besoins concernaient la nécessité d’identifier des stratégies permettant l’atteinte d’objectifs communs, tout en portant une attention particulière aux réalités des groupes marginalisés; de reconnaître l’épuisement militant et d’apprendre à prendre soin de soi et des autres dans le travail collectif; de cerner des approches de co-construction de savoirs communautés-universités; de mieux connaître les réalités du monde municipal pour investir cet espace politique de proximité.

Les groupes de discussion sur les besoins ont servi à débroussailler le terrain, mais le travail de réflexion est à poursuivre, dit Laurence Brière, notamment sur les stratégies dont les groupes militants doivent se doter pour être plus inclusifs dans le travail de mobilisation et sur celles associées à la co-construction de savoirs avec les chercheurs et chercheuses universitaires. «Les militants des groupes connaissent mal les structures de recherche en milieu universitaire et ne savent pas toujours à quelle porte frapper, note la professeure. Quelqu’un a avancé l’idée de créer une sorte de guichet se situant à l’interface du milieu universitaire et de celui des groupes écologistes afin de faciliter les échanges.»

L’épuisement militant est un autre thème qui a beaucoup interpellé le comité de pilotage. «Il ne s’agit pas de faire des thérapies de groupe, mais de reconnaître l’existence du phénomène, lequel peut avoir des effets nocifs sur les plans individuel et collectif», relève Laurence Brière. On sait que les enjeux énergétiques et environnementaux sont lourds et complexes, et que le travail de mobilisation est exigeant et n’a pas toujours des retombées tangibles et immédiates. «Le fait que des personnes militantes abandonnent par essoufflement ou découragement entraîne une perte de savoirs et d’expériences pour l’ensemble du mouvement écologiste.»

Les participants aux groupes de discussion ont insisté sur l’importance de mieux comprendre le fonctionnement des paliers de gouvernement municipaux, d’identifier les principaux leviers de pouvoir, de former des élus aux enjeux environnementaux et de soutenir des candidats écologistes lors des prochaines élections municipales.

Une communauté de pratique

Au cours de la phase finale du projet FORJE, quatre ateliers thématiques de transfert et de mobilisation des savoirs ont été mis sur pied, réunissant près de 80 militantes et militants du FCTÉ et des chantiers régionaux de la transition énergétique. Un cinquième atelier, réalisé lors d’une rencontre de la Table des chantiers, visait à identifier les modalités de mise en œuvre d’une communauté d’apprentissage et de pratique au sein du FCTE. «Cet objectif a été conçu sous l’influence du réseau FORJE, c’est l’une des retombées importantes du projet», souligne la professeure.

Le projet FORJE a déployé une méthodologie qui pourra inspirer de futurs partenariats de recherche, notamment quant aux approches de coformation et de co-analyse, insiste Laurence Brière. «Les membres du comité de pilotage, issus des différents groupes écologistes, ont participé à toutes les activités du réseau, dont l’animation d’ateliers et de groupes de discussion, et ce, à toutes les étapes de la démarche. Nous avons développé un cadre conceptuel novateur de la justice énergétique, qui évite de se concentrer uniquement sur les aspects économiques et techniques de la transition énergétique, qui prend en compte ses dimensions sociales ainsi que les réalités concrètes des luttes écocitoyennes.»