Pandémie oblige, il n’était pas possible de voyager cet hiver dans le cadre du cours Grands projets urbains: analyse, critique et intervention, mais l’exercice a tout de même eu lieu sur l’île de Montréal. Deux équipes de cinq étudiantes et étudiants ont chacune formé leur cabinet (fictif) de consultants en aménagement. Leur mandat: proposer un plan d’aménagement durable à l’horizon 2030 pour le noyau villageois de Pointe-aux-Trembles, dans le respect des dynamiques des quartiers voisins.
«Il s’agit du quartier patrimonial, aussi appelé le Vieux-Pointe-aux-Trembles, qui a été érigé en 1720, précise l’étudiante au baccalauréat en géographie Diana Lavinia Popa. Il a été ravagé par un incendie majeur en 1912, qui a causé la perte de plusieurs bâtiments, mais heureusement il subsiste encore aujourd’hui une dizaine de maisons patrimoniales, de même que le Vieux-Moulin (1719), l’église Saint-Enfant-Jésus (reconstruite en 1939) et le Centre communautaire Roussin (1914).»
Puisque les mesures sanitaires en vigueur empêchaient de faire des sorties en groupe sur le terrain, les étudiants ont effectué leurs relevés et leurs observations individuellement. La zone à l’étude était circonscrite par la 2e Avenue à l’ouest, le boulevard du Tricentenaire à l’est, la rue Victoria au nord et le fleuve Saint-Laurent au sud.
«Quatre séances Zoom ont été organisées avec des intervenants locaux pour bonifier leur diagnostic», précise le professeur du Département de géographie Sylvain Lefebvre, qui donne le cours depuis de nombreuses années. Ces intervenants étaient Jonathan Roy, directeur général pour la Corporation de développement communautaire de la Pointe; Joanne Paiement, présidente de l’Association des commerçants et professionnels du Vieux-Pointe-aux-Trembles; Daniel Gratton, directeur général du Centre communautaire Roussin et directeur des communications pour la Chambre de commerce de la Pointe de l’île; et Marie Renoux (M.Sc. géographie, 2021), chargée de projet au sein de l’organisme d’économie sociale Entremise.
Un quartier enclavé
«L’exercice était intéressant pour les étudiants dans la mesure où le quartier est enclavé entre une friche ferroviaire et le fleuve, en plus d’être situé en périphérie de l’autoroute 40 et des raffineries, note Sylvain Lefebvre. La rue Notre-Dame, qui le traverse, est essentiellement un lieu de passage pour les banlieusards qui travaillent au centre-ville, et la population est vieillissante. Bref, le quartier traîne malgré lui la perception négative qu’ont plusieurs personnes de l’Est de Montréal.»
Au cours des dernières années, quelques projets d’aménagement ont été réalisés, comme la Place du village et la navette fluviale permettant de rejoindre le Vieux-Port en 30 minutes. «Ces aménagements n’ont pas transformé radicalement le quartier, commente le professeur. Est-ce que la venue d’une station du REM à quelques kilomètres de la zone à l’étude changera quelque chose ? C’est à voir.»
La crainte de la gentrification
Lors de leur visite sur le terrain, des étudiantes ont noté des rues désertes en plein jour, ainsi que de nombreux bâtiments vacants. «Le seul endroit un tant soit peu vivant était la Place du village où se retrouvent quotidiennement quelques retraités», raconte Émilie Labourdette, elle aussi inscrite au bac en géographie.
Ces retraités manifestent un sentiment d’appartenance envers leur quartier, ont constaté les étudiantes. «Ils ne veulent pas de développement à grande échelle, note Diana Lavinia Popa. Ils souhaitent conserver l’aspect villageois du quartier.»
«D’un point de vue environnemental, on ne peut pas être contre des améliorations qui embellissent et rendent plus agréables les milieux de vie, mais est-ce que l’on doit pour autant accepter leur embourgeoisement? C’est tout le défi d’un exercice comme celui-là.»
Émilie Labourdette
Étudiante au baccalauréat en géographie
Comme c’est souvent le cas en matière d’aménagement et de revitalisation d’un quartier, l’éléphant dans la pièce est la gentrification. «D’un point de vue environnemental, on ne peut pas être contre des améliorations qui embellissent et rendent plus agréables les milieux de vie, mais est-ce que l’on doit pour autant accepter leur embourgeoisement?, se questionne Émilie Labourdette. C’est tout le défi d’un exercice comme celui-là.»
Présentation devant jury
Le 28 avril dernier, les deux équipes présentaient leurs projets devant un jury composé de cinq experts invités par Sylvain Lefebvre. L’équipe de la firme ÜRBA.CO composée des étudiantes Alexandra Leclerc, Paméla Massie-Sylvain, Sheïma Shiri, Rebecca Simard et Diana Lavinia Popa a remporté la bourse de 1000 dollars décernée au projet le plus convaincant.
Intitulée «Le noyau villageois de Pointe-aux-Trembles: une nouvelle vitalité», leur scénario d’aménagement souhaite faire du quartier un lieu où il fait bon vivre, tout en en faisant une destination touristique attrayante pour les touristes d’un jour.
ÜRBA.CO propose de réaliser un parc linéaire sur la friche ferroviaire qui traverse la zone, agrémenté d’équipements pour répondre aux besoins des cyclistes et des piétons durant l’été, mais aussi des sportifs d’hiver, avec des pistes de ski de fond et une patinoire extérieure.
Les étudiantes souhaitent aussi aménager une nouvelle promenade le long des berges du fleuve, allant du Vieux-Moulin jusqu’au boulevard du Tricentenaire. Dans leur vision, l’église Saint-Enfant-Jésus deviendrait un centre culturel et la Place du village, adjacente, serait dotée d’une scène extérieure où seraient présentés des spectacles.
Image: Google Earth
Les spécialistes d’ÜRBA.CO proposent de revitaliser la rue Notre-Dame en installant un marché d’alimentation local, palliant ainsi l’absence d’offre alimentaire à distance de marche dans le quartier, ainsi qu’un parc urbain et un centre sportif sur les terrains vacants situés entre le boulevard du Tricentenaire et la 19e Avenue. Elles souhaitent également piétonniser une partie de la rue Notre-Dame lors de la saison estivale entre le boulevard Saint-Jean-Baptiste et la 2e Avenue, tout en y consolidant l’activité économique avec l’ouverture de restaurants, boutiques et commerces spécialisés. L’agriculture urbaine est également envisagée pour répondre à une demande croissante et attirer les jeunes familles.
Les membres du jury ont particulièrement apprécié l’uniformité de leur proposition d’aménagement, laquelle comporte une signature visuelle forte et cohérente pour le territoire à l’étude. Sous le signe de l’urbanisme tactique, leurs interventions proposent plusieurs petits changements permettant de connecter l’ensemble du noyau villageois. L’emphase mise sur la revitalisation de la rue Notre-Dame à titre d’artère commerciale a particulièrement plu aux membres du jury, tout comme le développement de la friche ferroviaire, autant dans une perspective estivale qu’hivernale.
«Soyez réalistes et audacieux!»
«Puisque les étudiants n’ont ni contraintes budgétaires ni pressions politiques, ils proposent chaque fois des scénarios inspirants qui sortent parfois du cadre. Au début du cours, je leur dit: “Soyez réalistes et audacieux!”», souligne Sylvain Lefebvre.
Les scénarios d’aménagement des deux équipes ont intéressé les intervenants qui assistaient aux présentations, parmi lesquels Claudine Gratton, directrice du Bureau de circonscription de Chantal Rouleau, ministre déléguée aux Transports et ministre responsable de la Métropole et de la région de Montréal, ainsi que Caroline Bourgeois (B.A. communication/journalisme, 2006), mairesse de l’arrondissement Rivière-des-Prairies – Pointe-aux-Trembles.
«On pourrait essayer de plaire à tout le monde, mais c’est impossible. Il faut être capable de justifier nos décisions et assumer que chacune d’entre elles entraîne des conséquences pour les gens qui habitent le quartier.»
Diana Lavinia Popa
Étudiante au baccalauréat en géographie
Comme le répète chaque année Sylvain Lefebvre, l’aménagement n’est pas neutre. «C’est un acte de pouvoir, insiste-t-il. On aura beau organiser des consultations publiques et être à l’écoute de tout un chacun, il faut se résoudre en bout de piste à trancher.»
Les étudiantes et étudiants ont trouvé l’exercice difficile, mais enrichissant. «On pourrait essayer de plaire à tout le monde, mais c’est impossible. Il faut être capable de justifier nos décisions et assumer que chacune d’entre elles entraîne des conséquences pour les gens qui habitent le quartier», conclut Diana Lavinia Popa.