«Wow!», «Incroyable!», «Impossible!»: les réactions enthousiastes des étudiantes et étudiants du cours Musique et contre-culture ont fusé lorsque Robert Charlebois est apparu dans leur séance hebdomadaire sur Zoom, le 17 février dernier. À l’invitation de la professeure associée du Département de musique Vanessa Blais-Tremblay, l’auteur-compositeur-interprète avait accepté de témoigner de l’époque effervescente de la fin des années 1960 et du début des années 1970, et du tournant dans l’histoire de la musique dont il a été l’un des principaux artisans au Québec.
«C’est la première fois que je fais ça!», s’est exclamé le chanteur à propos de sa connexion à Zoom depuis sa résidence de Morin-Heights, après une première journée en studio depuis le début de la pandémie.
Séjour initiatique en Californie
Robert Charlebois a évoqué la coupure marquée entre ses débuts comme chansonnier –opposé à l’époque au yé-yé, qui consistait à traduire des chansons populaires américaines ou anglaises – et son voyage en Californie, en 1968, durant lequel il a côtoyé des musiciens tels que Janis Joplin et les membres de Grateful Dead. «On dit parfois que j’ai inventé le rock québécois, mais ce n’est pas vrai, note-t-il. Il y avait déjà des groupes rock au Québec, mais ils étaient façonnés par des producteurs qui choisissaient leurs habits, leurs chansons et leurs chorégraphies. À San Francisco, j’ai découvert comment fonctionnaient les groupes de la révolution psychédélique, la manière dont ils créaient leurs chansons, et j’ai vu comment on pouvait utiliser la guitare électrique autrement – c’était l’apparition de la pédale fuzz qui distordait le son.»
Le chanteur a raconté une tournée mémorable de l’été 1970… sur un train! «Cela s’appelait le Festival Express. Nous traversions le Canada et lorsque nous nous arrêtions dans une gare, les gens arrivaient pour assister au spectacle! Il y avait, entre autres, Janis Joplin, Grateful Dead, Johnny Winter, Rush et April Wine. Nous étions environ 75 musiciens et j’étais le seul artiste francophone. Je jouais très tôt dans la soirée; ce n’était pas moi la tête d’affiche, se remémore-t-il en riant. C’est le genre d’expérience qui passe une seule fois dans une vie!» Il se rappelle avoir composé Fu Man Chu sur ce train.
Sa collaboration avec Réjean Ducharme
Lorsqu’un étudiant lui demande comment se déroulait sa collaboration avec Réjean Ducharme, qui a écrit les textes de plusieurs de ses chansons, Robert Charlebois est visiblement ému. «J’étais avec lui aujourd’hui même en studio, car j’ai encore de ses textes inédits… L’un des grands plaisirs de ma vie d’artiste a été de travailler et de côtoyer Réjean Ducharme, dit-il à propos du poète et romancier décédé en 2017. Sa poésie est tellement magistrale. Et je n’ai jamais vu quelqu’un écrire aussi rapidement. Si on écrivait ensemble et que l’on bloquait après quelques vers, il allait faire le tour du bloc et il revenait avec huit vers impeccables. Il faisait partie de ces auteurs qui t’envoient des textes et à la lecture, la musique vient toute seule.»
L’Osstidcho
À plusieurs reprises, Robert Charlebois évoque la synchronicité de la vie, ces rencontres ou ces occasions qui changent le cours d’une carrière, comme ce fut le cas pour l’étrange succession d’événements ayant mené à la création de L’Osstidcho. «La pièce Les Belles-Sœurs de Michel Tremblay devait être présentée au Théâtre du Quat’Sous, mais ça ne fonctionnait plus et le directeur, Paul Buissonneau, a appelé Yvon Deschamps pour lui demander s’il pouvait monter un spectacle pour tenir l’affiche pendant un mois», raconte le chanteur. On connaît la suite: le spectacle de musique et d’humour auquel ont participé Deschamps et Charlebois ainsi que Louise Forestier et Mouffe est devenu un show mythique, l’un des moments marquants de la contre-culture québécoise. «Je me rappelle l’ovation monstre après la première représentation. Et ce qui est très drôle, c’est que le lendemain, la moitié des gens qui avait assisté à la première sont revenus parce qu’ils pensaient que nous avions déconné pendant une heure et demie et que le spectacle serait différent!»
Les chansons California et Lindberg, emblématiques de l’incursion du joual dans la chanson québécoise, figuraient au programme de L’Osstidcho. «Je n’ai rien inventé, insiste à nouveau Charlebois. Michel Tremblay écrivait déjà en joual, mais c’est vrai que plusieurs personnes entendaient des chansons québécoises en joual pour la première fois et qu’elles se reconnaissaient dans cette langue-là.»
Enregistrer avec Zappa
Le chanteur a également évoqué Frank Zappa, qu’il a côtoyé et avec lequel il a même enregistré la chanson Petroleum. «Nous avons déliré ensemble – à jeun parce que contrairement à la croyance populaire, Frank ne buvait pas et ne prenait pas de drogue. En revanche, il pouvait prendre 24 cafés par jour! Nous étions un peu comme des frères d’imagination, même si je n’ai pas le centième de son génie musical.»
Avant de tirer sa révérence, question de reposer sa voix pour une autre séance en studio le lendemain, Robert Charlebois s’est avancé sur l’avenir de la musique. «La musique progresse souvent lors des grands malheurs planétaires, dit-il. Est-ce que ce sera le cas lors de cette pandémie? Espérons que cela rapprochera les humains et donnera une autre dimension à la musique populaire. Ce n’est pas évident de repousser les limites et de créer des contenus réellement originaux, mais pour cela, je pense que nous devrions porter attention aux musiques orientales qui exploitent les quarts de ton et des tempos très différents des nôtres. La gamme n’est pas infinie, mais tous les sons et les musiques que l’on peut inventer à partir de celle-ci le sont. Cela dit, le défi demeurera toujours de le faire avec goût!»