L’escalier peut-il être un espace de création? La fenêtre peut-elle servir de matériel de base à une œuvre collective? «Pourquoi pas?», lance la chargée de cours de l’École des arts visuels et médiatiques (ÉAVM) Dominique Carreau (B.A. arts plastiques, 1980). Dans son récent ouvrage Des arts plastiques partout partout (Brault et Bouthillier), la chargée de cours propose aux enseignantes et enseignants du primaire et aux éducatrices et éducateurs à la petite enfance d’explorer différents lieux de création avec les enfants de trois à six ans. «On a tendance bien souvent à faire travailler les enfants assis à la table, question de gagner du temps ou d’éviter les débordements, regrette Dominique Carreau. En investissant des espaces de création moins conventionnels, on stimule davantage la créativité des enfants, on les fait bouger, et on découvre l’environnement.»
Dominique Carreau enseigne la didactique des arts plastiques au primaire à l’ÉAVM depuis plus de 20 ans. Abondamment illustré de créations d’enfants (800 photos!), son répertoire présente une liste d’espaces favorables à l’expression artistique, qu’ils soient situés à l’intérieur –plancher, porte, fenêtre ou mur de la classe – ou à l’extérieur – cour, trottoir, bordure de rue ou terrain de jeux. «L’ouvrage donne des idées d’activités tout en expliquant leur visée pédagogique, précise Dominique Carreau. Il aborde également les thèmes choisis, les matériaux utilisés ainsi que les techniques priorisées, mais ce n’est pas sur cela qu’il met l’emphase, puisqu’il existe déjà beaucoup d’ouvrages sur le sujet.»
Parmi les exemples décrits dans le livre, on retrouve une chenille de papillon monarque réalisée par un groupe d’enfants dans les escaliers de leur garderie. Un autre groupe s’est servi des marches de l’escalier comme de cases de bande dessinée pour raconter une histoire. «En fonction de l’endroit où l’on se trouve dans l’escalier, d’en haut ou d’en bas, la perspective sur l’œuvre sera différente», remarque Dominique Carreau.
Le travail au sol – sur le plancher du gymnase, par exemple – permet aux petits «de prendre de l’ampleur dans le geste, de profiter d’un point de vue en plongée sur leur création et de circuler autour de celle-ci», observe la chargée de cours. Être au sol permet également de solliciter le corps de manière différente: il est possible de dessiner en position assise, couchée ou accroupie. L’enfant peut dessiner sa silhouette sur une feuille ou encore produire des œuvres deux fois plus grandes que lui. «Au lieu de dire aux enfants de dessiner quelque chose, mieux vaut leur proposer une idée ou un thème plus précis, sinon ils ne savent pas toujours quoi faire. C’est plus sécurisant pour eux», remarque Dominique Carreau. En faisant ainsi, on les libère du souci de performance. «On demande beaucoup aux enfants, ajoute-t-elle. On leur dit go! c’est le temps de dessiner alors qu’on sait bien qu’on ne crée pas sur demande!»
Grands et petits espaces
Travailler dans de petits espaces offre d’autres perspectives et oblige les tout-petits à mieux contrôler leur geste, tout en favorisant l’introspection et le calme. Dominique Carreau suggère de laisser les enfants construire une cachette au moyen de boîtes ou de couvertures. «Les enfants doivent souvent partager les jouets et les crayons entre eux, souligne-t-elle. Créer une cachette donne l’occasion à l’enfant d’avoir son propre espace et son matériel.»
Selon la chargée de cours, offrir le choix du lieu de création aux enfants est essentiel au développement de leur esprit créateur. «J’étais un brin déstabilisée le jour où un enfant m’a proposé d’aller dessiner en dessous du lavabo ou lorsqu’un autre est allé se cacher en dessous de la table!, raconte cette ancienne enseignante spécialisée en arts plastiques au primaire et éducatrice à la petite enfance. Après coup, je me suis dit que si j’acceptais leur proposition, le fait de briser la routine pourrait aider à la création. Il faut être à l’écoute des enfants le plus possible tout en s’assurant que le lieu proposé est sécuritaire ou faire en sorte qu’il le soit.» En classe, Dominique Carreau laissait les enfants trouver eux-mêmes des solutions à leur problème. «Si la boîte est trop grande et que l’enfant n’arrive pas à la découper pour son projet de bricolage, il doit d’abord nommer le problème, puis trouver une solution telle qu’avoir recours à un marchepied, par exemple. Cela fait aussi partie du processus créateur.»
Du land art au dessin d’observation
À l’extérieur, les enfants peuvent se servir d’éléments de la nature comme des cailloux ou du sable. Après avoir pataugé dans les flaques d’eau, par exemple, les enfants peuvent se munir de craies et dessiner le contour des flaques. Les tracés formeront d’intéressantes formes abstraites, lesquelles pourront inspirer une autre création.
Les visites de quartier permettent aux enfants de s’imprégner de l’esprit des lieux et de s’en inspirer pour une création. Sur place, ils peuvent dessiner les maisons ou la végétation, tout en ayant la possibilité de percevoir chaque détail afin d’enrichir leurs œuvres. L’une des activités proposées dans le livre est la visite d’une poissonnerie pour voir, sentir et toucher les textures et les formes des poissons. De retour en classe, les petits vont créer des modelages avec de l’argile ou de la pâte à modeler.
Des artistes ont participé à l’ouvrage. Des photos les montrent dans différents lieux de création. Ainsi, l’artiste et chargée de cours Dominique Sarrazin travaille sur de grands espaces muraux. D’autres photos présentent des œuvres réalisées dans divers espaces inusités. C’est le cas d’une installation éphémère composée de 25 000 pliages en origami. L’œuvre de l’artiste Mademoiselle Maurice se déploie dans les escaliers de la ville d’Angers, en France. «Il était important pour moi de souligner que même les artistes professionnels ne travaillent pas toujours assis sur une table», conclut la chargée de cours.