Série Mois de l’histoire des Noirs
Le mois de février est l’occasion de découvrir la richesse et la diversité des communautés noires.
Ils sont nés et ont grandi au Québec, mais ne se sentent pas québécois pour autant. Dans le cadre de son doctorat en sociologie, Bénédict Nguiagain (M.A. histoire, 2014) s’est intéressée à la construction de l’expérience sociale chez de jeunes adultes québécois de la seconde génération issus de l’immigration africaine subsaharienne (Cameroun, Congo, Rwanda et Burundi). La chercheuse a interrogé une vingtaine de jeunes âgés de 18 à 33 ans vivant à Montréal afin de mieux comprendre pourquoi ils ne se définissent pas comme Québécois ou Québécoises, tout en mettant en lumière le racisme, les inégalités et la discrimination qu’ils et elles vivent au quotidien.
«On leur rappelle chaque jour leur différence», constate la chercheuse. Il peut s’agir de remarques sur leur physique comme «Tu es belle pour une Noire», de questions sur leurs origines ou sur leur lieu de naissance, telles que «D’où viens-tu?» ou «D’où viennent tes parents?». Parfois, on les confond avec des membres de la communauté haïtienne. «Ce qui est choquant pour eux, c’est de se faire parler en créole!», précise Bénédict Nguiagain.
En se faisant questionner sur leurs origines ou rappeler leur différence au quotidien, les jeunes ayant participé à l’étude en viennent à se sentir étrangers dans une société qui les a vus grandir. «Plus les personnes sont discriminées et racisées, plus elles développent un imaginaire, voire une expérience transnationale, explique la doctorante. Le sentiment d’appartenance envers le pays d’origine des parents s’en trouve ainsi renforcé. Les jeunes vont davantage s’identifier en tant qu’Africain, et se sentir moins Québécois ou Canadiens.»
Aux yeux de plusieurs, les membres du groupe majoritaire ne les considèrent pas comme des citoyens à part entière. «Pour les Québécois, c’est comme s’il était impossible de concevoir qu’une personne noire soit née et ait grandi à quelques pas de chez eux», fait remarquer Bénédict Nguiagain. Il est quand même bizarre que des shampoings destinés aux personnes de couleur n’aient pas été catégorisés comme produits essentiels durant le confinement, s’exclame-t-elle. «En quoi ces produits de beauté sont-ils moins nécessaires que ceux de type Herbal Essences, par exemple? On ne peut pas fonctionner ainsi dans une société multiculturelle!»
Une thèse nécessaire
Dirigée par la professeure au Département de sociologie Marie Nathalie LeBlanc, la thèse de Bénédict Nguiagain contribue à combler un vide sur la réalité de cette génération de citoyennes et citoyens québécois d’origine africaine. «Ma thèse vient décloisonner une catégorie de la population qu’on ne connaît pas et qu’on étudie peu, précise la doctorante. Quelque 95 % des Africains subsahariens qui immigrent au Québec vivent à Montréal et plus de la moitié est originaire du Congo, du Rwanda, du Cameroun ou du Burundi.»
Perçu au départ comme un biais à sa recherche, le fait que Bénédict Nguiagain soit elle-même une personne de seconde génération – elle est née à Québec d’un père camerounais et d’une mère issue du groupe majoritaire – s’est révélé enrichissant. «Les participantes et participants ont été davantage portés à partager leur vécu puisque nous avons, en quelque sorte, les mêmes expériences et réalité», dit-elle.
L’ouverture anglophone
La plupart des personnes interrogées reconnaissent la générosité des Québécois, tout en pointant leur manque d’ouverture. «Durant leurs études, elles affirment s’être senties plus à l’aise dans les milieux anglophones que francophones, malgré le fait qu’elles parlent d’abord le français», note Bénédict Nguiagain. Pourquoi? «Les répondantes et répondants apprécient la plus grande diversité culturelle au sein du corps professoral, répond la doctorante. Il y a davantage d’enseignantes et enseignants issus des groupes minoritaires.»
Il y aurait aussi plus d’ouverture, relève-t-elle. Bénédict Nguiagain donne l’exemple des noms de famille africains, parfois un peu difficile à prononcer pour l’individu lambda. «Les anglophones font davantage l’effort de bien prononcer les noms de famille, quitte à demander une seconde fois le nom de la personne, tandis que la plupart des francophones ne feront pas cet effort. Ils vont massacrer le nom ou tout simplement dire madame ou monsieur», illustre la doctorante. Pour les anglophones, les personnes issues des minorités visibles ne sont pas systématiquement des étrangers, ajoute-t-elle. «Certains se considèrent eux-mêmes comme des étrangers au Québec.»
Plusieurs des jeunes témoignent tout de même de l’attachement pour leur ville d’origine. «Ils et elles vont se définir comme Montréalais, même s’ils habitent sur la Rive-Sud (!). Montréal est une ville multiculturelle dans laquelle ils se sentent bien», précise la doctorante.
Pour réussir leur ascension dans l’échelle sociale tout en jouant la carte de la mobilité internationale, ces enfants d’immigrants misent sur une éducation dans les deux langues officielles. «Il y a une volonté marquée d’être parfaitement bilingue afin de pouvoir avoir la chance d’obtenir les meilleurs emplois possibles, ici comme ailleurs au pays et dans le monde», relève Bénédict Nguiagain.
Projet de retour
Un tiers des jeunes interrogés expriment le souhait de quitter la province pour vivre dans le pays d’origine de leurs parents. «Ils aspirent à vivre là-bas, dans une société différente de celle dans laquelle ils ont été socialisés», dit la doctorante. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas un idéal transmis par les parents. «Ces derniers n’ont pas du tout cette volonté de retour au pays. Ils ont immigré pour pouvoir offrir le meilleur à leurs enfants», rappelle Bénédict Nguiagain.
Comment se passe l’intégration dans le milieu de travail? Pas très bien, relève la chercheuse. «Il existe une discrimination à l’embauche, un rejet systématique des CV de personnes portant des noms à consonance africaine ou maghrébine, dit-elle. C’est une situation qui perdure, malgré le nombre d’études l’ayant déjà dénoncée.»
Le phénomène se manifeste en particulier dans les cas d’emplois qualifiés. «Les jeunes ont rencontré plusieurs obstacles à caractère discriminatoire et raciste dès qu’il était question d’un poste dans leur domaine d’étude, précise Bénédict Nguiagain. Aux yeux de l’employeur, c’est comme si le diplôme d’une personne racisée avait moins de valeur.»
Dans les milieux de travail, les stéréotypes, le manque d’ouverture, les inégalités et la discrimination sont malheureusement encore au rendez-vous. «Telle personne va prendre conscience qu’elle est moins bien rémunérée que son collègue à tâches égales, alors qu’une autre mentionne que ses collègues de bureau n’ont jamais réussi à retenir son prénom ou à la distinguer parmi les rares employés noirs de l’entreprise», souligne Bénédict Nguiagain.
Le privilège blanc
Selon la chercheuse, les mentalités doivent changer et les personnes issues du groupe majoritaire doivent prendre conscience des privilèges qu’ils possèdent. «Il serait impensable pour une personne noire de dire à une femme qu’elle est belle pour une Blanche, parce que dans nos construits sociaux, les membres du groupe majoritaire sont déjà au sommet de l’échelle de beauté, observe Bénédict Nguiagain. Ce sont eux qui déterminent les critères de beauté. Quand on a des privilèges, on ne s’en rend pas compte et c’est déjà un premier pas d’en prendre conscience.»
La solution pour des relations saines et égalitaires entre les membres du groupe majoritaire et les personnes issues de la diversité? «Commençons par déconstruire les construits sociaux, martèle la doctorante. Embauchons davantage de personnes issues des communautés ethnoculturelles sur le marché du travail et dans les milieux académiques.» Pourquoi embaucher un Québécois au lieu d’un Africain à qualification égale? Les employeurs et le personnel des ressources humaines doivent s’interroger sur leurs pratiques de sélection lors du recrutement de personnel. «Tel qu’annoncé par Statistique Canada, le paysage montréalais sera démographiquement transformé dans une dizaine d’années avec un nombre plus important de minorités visibles que de personnes issues du groupe majoritaire, poursuit Bénédict Nguiagain. Le Canada est un pays d’immigration qui ne peut pas survivre économiquement sans cette main d’œuvre nécessaire au développement de la société. Les Québécois doivent s’y préparer.»