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Reconnecter le Vieux-Montréal et le Vieux-Port

La cyclopiétonnisation de la rue de la Commune à l’été 2020 a reçu un accueil mitigé du public.

Par Pierre-Etienne Caza

5 février 2021 à 15 h 02

Mis à jour le 5 février 2021 à 16 h 02

La rue de la Commune, dans le Vieux-Montréal, est un véritable casse-tête urbanistique. «Historiquement, il s’agissait d’une voie de service pour le transport des marchandises du Port de Montréal, note Priscilla Ananian. Cette rue, qui était un peu la ruelle du Vieux-Montréal, n’a jamais fait l’objet d’une réflexion approfondie malgré son rôle crucial: elle agit comme interface et permet de connecter le Vieux-Montréal et le Vieux-Port.»

Dans le cadre de l’Observatoire des milieux de vie urbains qu’elle dirige, la professeure du Département d’études urbaines et touristiques de l’ESG UQAM s’intéresse depuis de nombreuses années aux secteurs du Vieux-Montréal et du Vieux-Port. L’an dernier, elle a obtenu une subvention d’engagement partenarial du CRSH afin de réaliser une étude sur le projet pilote de réaménagement de la rue de la Commune, mis en place à l’été 2020 par la Ville de Montréal. «Nous avons été la première équipe de l’ESG UQAM à aller sur le terrain après le confinement du printemps, en prenant bien sûr toutes les précautions et en appliquant toutes les mesures sanitaires nécessaires», raconte la chercheuse. 

Rien de neuf depuis 1992

À deux reprises, en 1979 et en 1986, le Vieux-Port a consulté les citoyens et citoyennes de Montréal, rappelle Priscilla Ananian. «Chaque fois, ce fut sans équivoque: les gens voulaient un espace ouvert donnant accès au fleuve, avec des équipements culturels.»

Or, si le Vieux-Montréal est de juridiction municipale, le Vieux-Port relève du gouvernement fédéral, par l’entremise de la Société du Vieux-Port de Montréal. «Il y a eu des aménagements ponctuels de part et d’autre, mais aucun projet ou plan urbanistique n’a embrassé la totalité de la zone, devenue patrimoniale en 1995», souligne la professeure. 

«La rue de la Commune n’a jamais fait l’objet d’une réflexion approfondie malgré son rôle crucial: elle agit comme interface et permet de connecter le Vieux-Montréal et le Vieux-Port.»

Priscilla Ananian

Professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’ESG UQAM

Les derniers aménagements importants sur la rue de la Commune ont eu lieu dans la foulée des festivités du 350e anniversaire de Montréal en 1992, note Priscilla Ananian. «On a ajouté des arbres le long de la rue du côté du Vieux-Port, on a aménagé la promenade et les trottoirs.»

Point de passage névralgique

Avec les nouveaux attraits touristiques que sont la Tyrolienne, Voiles en voiles ou la Grande Roue, le Vieux-Port connaissait avant la pandémie un afflux touristique majeur. «Beaucoup de visiteurs arrivent à pied par la Place Jacques-Cartier et cela crée des situations de cohabitation problématiques entre cyclistes, piétons et automobilistes sur la rue de la Commune, en raison du désalignement des passages piétonniers», fait remarquer Priscilla Ananian.

«Beaucoup de visiteurs arrivent à pied par la Place Jacques-Cartier et cela crée des situations de cohabitation problématiques entre cyclistes, piétons et automobilistes sur la rue de la Commune, en raison du désalignement des passages piétonniers.»

Lors des discussions entourant les aménagements en vue du 350e de Montréal, on a choisi de donner la priorité à l’alignement original des quais pour donner accès au Vieux-Port plutôt que de réaliser une intégration harmonieuse avec le Vieux-Montréal, raconte la chercheuse. «Plusieurs problématiques découlent de ce non-alignement, particulièrement au point de passage névralgique entre la Place Jacques-Cartier et le Quai Jacques-Cartier.»

Une cyclopiétonnisation

Au début de juillet 2020, la Ville de Montréal a fermé aux automobilistes le tronçon de la rue de la Commune entre la rue Saint-Gabriel et la rue Bonsecours (les voitures et les camions pouvaient circuler jusqu’à 11 heures pour assurer la livraison des marchandises). «Il s’agissait d’une “cyclopiétonnisation” de la chaussée sur 400 mètres, une première à Montréal –  on avait prévu ce projet avant le déploiement des voies actives sécuritaires en réaction à la pandémie», note Priscilla Ananian.

Priscilla Ananian, au centre, entourée de son équipe.Photo: Observatoire des milieux de vie urbains

Même si les touristes étrangers étaient absents, il y avait beaucoup de visiteurs québécois et de Montréalais en quête de plein air dans le quartier, souligne la chercheuse, dont l’objectif était de jauger la réaction des gens face au projet. «Notre équipe a documenté les interactions entre les différents usagers sur la rue de la Commune.» Le projet pilote, évolutif, ne comportait pas de plan d’aménagement définitif. 

L’équipe composée d’une dizaine d’étudiants au bac en urbanisme et de candidats à la maîtrise et au doctorat en études urbaines a procédé à 10 séances d’observations directes de juillet à septembre, en plus de réaliser un vox pop auprès de plus de 200 personnes ayant fréquenté le site. Une enquête en ligne a été réalisée auprès de plus de 300 résidents du Vieux-Montréal.

Appréciation mitigée

Deux semaines après le début du projet, la Ville a amputé le tronçon situé devant le marché Bonsecours sous la pression des marchands et commerçants. Sur le tronçon restant, on a ajouté des brumisateurs pour permettre aux usagers de se rafraîchir et des bancs de bois pour qu’ils puissent s’asseoir. «Nous n’avons jamais été témoins d’accidents entre piétons et cyclistes, mais les doléances ont été constantes tout au long de l’été à l’effet que les cyclistes zigzaguaient en frôlant les piétons», note Priscilla Ananian.  

Au mois d’août, la Ville a ajouté d’autres bancs sur les trottoirs ainsi que des installations ludiques sur la chaussée, avec la collaboration du Partenariat du Quartier des spectacles. «Cela compliquait la tâche des cyclistes car les familles profitaient de ces installations au beau milieu de la rue», raconte la chercheuse. 

Au mois d’août, la Ville a ajouté des installations ludiques sur la chaussée, avec la collaboration du Partenariat du Quartier des spectacles. Photo: Observatoire des milieux de vie urbains

Au final, l’équipe a constaté que cette cyclopiétonnisation de la rue de la Commune a reçu un accueil mitigé. «Les raisons motivant ce projet pilote ne semblent pas avoir été comprises par les usagers et cela s’est traduit par une hésitation quant à la manière de percevoir et d’occuper les lieux», note Priscilla Ananian.

Environ 50 % des personnes interrogées étaient pour ou contre ces aménagements de manière ferme, tandis que les 50 % restants avaient un discours plus nuancé, poursuit-elle. «L’enjeu majeur est le transit local et métropolitain. Les résidents n’ont pas apprécié que la rue soit fermée. Ils souhaitent pouvoir y accéder en voiture, mais, du même souffle, ils aimeraient une réduction de la circulation, car plusieurs automobilistes et camionneurs s’en servent comme voie de transit.» Les autres enjeux sont le stationnement sur rue, l’élargissement des trottoirs, le verdissement et l’installation de mobilier pour investir les lieux. 

Priscilla Ananian ne sait pas si le projet sera reconduit à l’été 2021, ni sous quelle forme, le cas échéant. La décision appartient à la Ville de Montréal, qui a pris connaissance des observations des chercheurs de l’UQAM. Les résultats ont également été présentés à l’Association des résidants du Vieux-Montréal.  

«L’expérience de l’été 2020 nous donne des pistes pour que la rue de la Commune ne soit pas uniquement un lieu de connexion avec le Vieux-Port, mais bien un lieu ayant son caractère et sa propre finalité», conclut la professeure.