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Recherche sur une tourbière en transformation

L’équipe du professeur Daniel Kneeshaw mène une lutte intense contre le roseau commun, une espèce exotique envahissante.

Par Pierre-Etienne Caza

28 octobre 2021 à 13 h 10

Mis à jour le 5 juillet 2022 à 8 h 58

Amorcé en 2016, le projet de restauration de la tourbière du boisé des Terres noires, située à l’Assomption, sur la rive nord de Montréal, avance rondement. «Nous avons le sentiment de gagner la bataille contre le roseau commun à plusieurs endroits dans la zone où nous menons des recherches, se réjouit Daniel Kneeshaw, mais il faut être vigilant et persévérant, car quelques tiges peuvent rapidement s’étendre et se multiplier.»

Titulaire de la Chaire stratégique sur la résilience et les vulnérabilités des forêts aux changements climatiques et membre du Centre d’étude de la forêt, le professeur du Département des sciences biologiques et son équipe ont planté près de 14 000 arbres et arbustes afin de restaurer un secteur de la tourbière.

«Cadeau» de l’ancienne Agence métropolitaine de transport (AMT – voir encadré) au professeur Kneeshaw, la restauration de cette tourbière – une recommandation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement – devait compenser la destruction de milieux boisés et de milieux humides engendrée par les travaux d’aménagement du Train de l’Est (ligne Mascouche). Le Service des partenariats et du soutien à l’innovation (SePSI) de l’UQAM a été impliqué dans l’élaboration de l’entente de partenariat avec l’AMT et assure un suivi du projet.

Le casse-tête du roseau commun

La zone où travaille depuis quelques années le professeur Kneeshaw et son équipe s’étale sur environ 3 des 30 hectares de cette tourbière forestière entourée de terres agricoles. Certains secteurs de cette zone sont envahis par le roseau commun (Phragmites australis), une plante non indigène qui pousse de façon très dense – entre 100 et 250 tiges par mètre carré, certaines atteignant 3,5 mètres. «Il faut porter des lunettes de sécurité, car c’est dangereux pour les yeux et les tiges percent parfois les bottes», note le chercheur.

Après avoir plié à la main ou avec un rouleau les tiges de roseau commun, l’équipe du professeur Kneeshaw a planté des arbres, espérant que la canopée de ceux-ci finisse par empêcher le roseau de proliférer.

Son équipe a envisagé de couper au sol le roseau commun mais il repousse trop rapidement et ses rhizomes (ses racines) sont tellement denses qu’il est pratiquement impossible de le déraciner sans détruire l’écosystème. «Nous avons tenté une expérience: plier à la main ou avec un rouleau les tiges et les repousses des tiges que nous avons coupées, explique le spécialiste. À notre grande surprise, nous nous sommes aperçus que c’est comme si le roseau ne savait plus quoi faire: sa croissance est ralentie et les arbres peuvent en “profiter” pour pousser tout autour.» L’objectif, ajoute-t-il, est que la canopée de ces arbres finisse par empêcher le roseau de proliférer, comme ça semble être le cas dans certaines zones de la tourbière où l’on retrouve des bouleaux gris et des érables rouges de quatre à cinq mètres de hauteur.

Exercice de microtopographie

Dans une zone où la nappe phréatique est haute, on a créé de petits monticules de terre entourés de fosses de drainage. Chaque drapeau représente un arbre ou un arbuste numérotés aux fins de la recherche.

À mi-parcours de ce projet qui s’échelonnera officiellement jusqu’en 2027, Daniel Kneeshaw, constate l’utilité de créer une microtopographie sur le site. «Il y a sur l’ensemble du site à l’étude une dénivellation d’un mètre, tout au plus, et à plusieurs endroits la nappe phréatique est très près de la surface, explique-t-il. Au printemps en période de dégel, ou lorsqu’il y a de fortes pluies, les sols organiques, mal drainés là où il y a une faible pente, demeurent donc imbibés d’eau et les racines des arbres peuvent y pourrir.» Depuis 2016, le chercheur et son équipe ont créé une microtopographie, c’est-à-dire de petits monticules de terre, entourés de fosses de drainage, et ils y ont planté des arbres. «Ce projet a donné les résultats escomptés, les arbres poussent bien et la création des fosses a ralenti le roseau en cassant ses rhizomes», dit-il avec satisfaction.

Après les arbres et les arbustes, les mousses

En plus des quelque 14 000 arbres (érable rouge, épinette blanche, pin gris, pin blanc, mélèze, aulne, peuplier deltoïde et érable argenté) et arbustes plantés par son équipe, le nouveau partenaire du projet et propriétaire du terrain, la Fiducie de conservation des écosystèmes de Lanaudière, en a planté environ 5 000 de plus.

Un plant de myrique beaumier.

«Afin d’empêcher l’apparition du roseau commun, nous avons étendu sur certaines zones un géotextile très résistant, comme celui qui est utilisé dans la construction des routes, note Daniel Kneeshaw. Nous avons découpé des ouvertures et planté des arbustes, comme le myrique beaumier, le thé du Labrador et de petits bleuetiers. La troisième phase du projet, la plus risquée car les espèces ne sont pas très compétitives, consiste à planter des mousses et des sphaignes, typiques des tourbières forestières.»

Le retour de la faune

Dans une autre zone, les partenaires du projet ont créé un lac afin d’inonder le roseau commun, en plus de creuser huit étangs autour desquels on a planté des arbres et des arbustes. «C’est fascinant de constater à quel point la vie animale est revenue dans ces environnements, souligne Daniel Kneeshaw. Quand nous avons visité le site pour la première fois, en 2016, il n’y avait que des maringouins. Insectes, oiseaux, batraciens et chauve-souris sont désormais légion. Nous nous sommes même aperçus que la chaleur emmagasinée par le géotextile attire les couleuvres, dont certaines espèces menacées ou vulnérables.»

On a planté des arbres aux abords du lac qui a été créé par la Fiducie de conservation des écosystèmes de Lanaudière, propriétaire du site et partenaire du projet de recherche du professeur Kneeshaw.

Lapins destructeurs

En 2016, le professeur craignait que la surpopulation de chevreuils, qui broutent les jeunes pousses là où le roseau commun se fait moins dense, mette à mal les nouvelles plantations d’arbres. Il a changé d’avis depuis. «Le plus grand prédateur de nos jeunes pousses est le lapin à queue blanche, un herbivore vorace, révèle-t-il. Si pendant les cinq mois les plus chauds de l’année, les lapins ont des feuilles à manger en quantité, ce n’est plus le cas pendant les sept autres mois et ils se tournent vers nos jeunes épinettes!» L’équipe du professeur Kneeshaw a installé un protecteur autour de plusieurs milliers d’arbres pour leur permettre d’atteindre leur maturité, mais ce n’était pas possible pour tous les individus. «Nous continuons à nous creuser la tête pour protéger le plus d’arbres possible», ajoute-t-il.

Plusieurs étudiantes et étudiants de fin de bac et de maîtrise effectuent des recherches au boisé des Terres noires, sous la direction du professeur Kneeshaw ou de sa collègue Tanya Handa.

Nouveau propriétaire et nouvelle dénomination

En juin 2017, l’Agence métropolitaine de transport (AMT) a été remplacée par deux organisations: l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) et le Réseau de transport métropolitain (RTM). Ce dernier est né de la fusion de 14 entités différentes qui opéraient le réseau de trains et les services d’autobus des couronnes nord et sud. En mai 2018, le RTM est devenu le réseau exo.

«Dans la foulée de ces réorganisations, le réseau exo a vendu le territoire du chemin du Bois brûlé, tel qu’il était nommé à l’époque, à la Fiducie de conservation des écosystèmes de Lanaudière, qui en est devenue propriétaire, explique Daniel Kneeshaw. On nomme désormais ce territoire le boisé des Terres noires.»