Série Les Jeux de Tokyo
Les Jeux olympiques se dérouleront du 23 juillet au 8 août à Tokyo, au Japon, tandis que les Jeux paralympiques auront lieu du 24 août au 5 septembre.

Photo: Getty Images
La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Tokyo aura bel et bien lieu le 23 juillet prochain. «Depuis l’annonce du report des Jeux, il y a un an, l’acceptation de la population à l’effet de tenir l’événement décline sans cesse», observe Benoît Hardy-Chartrand (M.A. science politique, 2012), professeur auxiliaire au département d’affaires internationales et de science politique du campus japonais de l’Université Temple, et chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques.
Il ne s’agit pas d’un refus idéologique lié à l’événement sportif en soi, précise le chercheur. «Les Japonais ont toujours été friands des Jeux olympiques, qu’ils ont accueillis en 1964 (Tokyo), 1972 (Sapporo) et 1998 (Nagano), rappelle-t-il. Ils sont fiers de leurs athlètes et de leurs équipes sportives. Mais la pandémie a changé la donne.»
Jusqu’à maintenant, le Japon a réussi à éviter le pire de la COVID-19, avec un peu plus de 14 450 décès pour une population d’environ 126 millions de personnes, pour une moyenne de 11,44 décès par 100 000 habitants (la moyenne du Brésil est de 239,15, celle de l’Angleterre de 191,93 et celle des États-Unis 183,54). Mais une nouvelle vague d’infections a surgi au printemps, forçant le retour de mesures plus strictes dans les grandes villes du pays. C’est dans cette foulée que des citoyens ont lancé une pétition en ligne intitulée «Cancel the Tokyo Olympics to protect our lives», qui a récolté plus de 300 000 signatures en 4 jours au début du mois de mai.
Les ratés de la campagne de vaccination
L’inquiétude des Japonais est liée à une campagne de vaccination qui éprouve des ratés. En date du 23 juin, 8,2 % de la population nippone avait reçu deux doses (18,8 % des Québécois à la même date). «Le gouvernement n’a pas planifié et réservé assez tôt un nombre suffisant de doses, alors qu’il aurait dû accélérer le processus dès l’annonce du report des Jeux», observe Benoit Hardy-Chartrand.
Les autorités sanitaires japonaises ont perdu un temps précieux en appliquant des protocoles d’évaluation et d’études cliniques – jugés inutiles par plusieurs spécialistes au pays – pour les vaccins déjà approuvés en Occident, ajoute-t-il. Le vaccin de Pfizer a été approuvé en sol japonais à la mi-février, soit deux mois après son approbation aux États-Unis, tandis que ceux de Moderna et d’AstraZeneca l’ont été à la fin mai.
Ajoutons à cela une gestion sanitaire discutable aux yeux de plusieurs – par exemple, le gouvernement japonais a encouragé ses habitants à voyager au pays à l’été 2020, ce qui a causé une résurgence de cas parmi les touristes et les travailleurs du secteur hôtelier – ainsi que des problèmes logistiques: seuls les médecins et les infirmières sont autorisés à vacciner les gens, ce qui ralentit considérablement le processus.
Il faut aussi noter que la population japonaise est plutôt craintive envers les vaccins, plusieurs recours collectifs ayant été intentés en lien avec leurs effets secondaires depuis les années 1970 (concernant notamment le vaccin contre la variole et celui contre la rubéole, les oreillons et la rougeole). Cet héritage se traduit par un manque de confiance de la population nippone envers l’information émanant de l’appareil gouvernemental, incapable de communiquer un message clair à propos des risques (minimes, mais toujours présents) liés aux effets secondaires des vaccins.
Selon un sondage mené en décembre dernier par Ipsos-World Economic Forum, seulement 60 % des Japonais affirmaient être prêts à recevoir un vaccin, comparativement à 80 % de la population en Chine, 77 % en Angleterre, 75 % en Corée du Sud et 69 % aux États-Unis. Un autre sondage mené par la société de télécommunication japonaise NHK indiquait que seulement la moitié des répondants voulaient se faire vacciner, tandis que 36 % y étaient totalement opposés.
Une facture salée
L’addition de tous ces éléments explique sans aucun doute pourquoi près de 80 % des Japonais souhaitent une annulation totale ou un autre report des Jeux olympiques, note Benoît Hardy-Chartrand. Mais, selon lui, cela n’arrivera pas. «Si on annulait les Jeux, les bris de contrats coûteraient encore plus cher que la facture actuelle», précise le chercheur. Le report des Jeux, rappelle-t-il, a ajouté près de 3,4 milliards de dollars à la facture totale qui avoisine désormais les 20 milliards de dollars, selon les organisateurs des Jeux.
Le CIO et le comité organisateur ont annoncé le 21 juin dernier qu’un nombre maximum de 10 000 spectateurs locaux pourront assister aux Jeux, à la condition que les sites de compétition n’excèdent pas 50 % de leur capacité. Les organisateurs pourront recouvrer une partie des coûts des Jeux, mais même avec les contrats de télévision, l’événement sera déficitaire. «Puisque le Japon est en récession depuis le début de la pandémie, ce déficit financier plombera encore davantage les finances publiques», estime Benoît Hardy-Chartand.
Pas besoin de touristes
Les gouvernements qui acceptent d’organiser les Jeux misent sur une visibilité extraordinaire à l’échelle planétaire, ce qui se traduit habituellement par une hausse du nombre de touristes dans les mois suivant les Jeux. «Le Japon n’a pas besoin d’attirer plus de touristes, note toutefois Benoit Hardy-Chartrand. Avant la pandémie, le pays battait chaque année des records d’affluence touristique.» En 2019, par exemple, on a atteint 31,9 millions de visiteurs étrangers. «Certaines villes sont débordées par les touristes et tentent de les diriger vers d’autres régions du pays. Mais ce débat est inutile, car l’industrie touristique nippone compte pour une fraction du PIB», insiste le chercheur.
Un enjeu électoral
Ce qui est presque certain, c’est que le succès ou l’échec des Jeux olympiques deviendra un enjeu électoral puisque le gouvernement du premier ministre Yoshihide Suga, qui a succédé à Shinzo Abe sans être élu, doit déclencher des élections cette année. «Si la crise sanitaire empire à la suite des Jeux, cela sera sans doute dévastateur pour Suga», conclut Benoit Hardy-Chartrand.