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Les personnes immigrantes et l’amitié

Les amitiés interculturelles aideraient les nouveaux arrivants à mieux s’intégrer à la culture majoritaire.

Par Valérie Martin

16 juin 2021 à 10 h 06

Mis à jour le 16 juin 2021 à 10 h 06

Les chercheurs ont constaté qu’avoir des amis provenant du groupe majoritaire favorise l’intégration des personnes immigrantes, mais seulement si ces amis se connaissent entre eux et sont interconnectés.  Photo: Getty Images

L’immigration est un processus long et complexe. En arrivant dans un nouveau pays, les personnes immigrantes doivent apprendre une autre langue, acquérir de nouvelles compétences, se refaire un réseau d’amis, se familiariser avec des manières de faire et se forger d’autres identités culturelles. La professeure du Département de psychologie Marina Doucerain, sa collègue Catherine Amiot et Andrew Ryder, de l’Université Concordia, ont réalisé une étude auprès des membres de la communauté russe, ou se déclarant comme appartenant à l’ethnicité russe, installés au Canada pour mieux comprendre les impacts des réseaux sociaux sur l’intégration identitaire des personnes immigrantes. Les résultats de la recherche ont été publiés dans la revue Self and Identity au mois d’avril dernier.

Les personnes qui ont participé à l’étude étaient invitées à décrire leurs réseaux sociaux. «Elles devaient, par exemple, indiquer les noms et cultures d’origine de leurs amis et si ces derniers se connaissent entre eux, explique Marina Doucerain. Nous voulions savoir si ces amis se fréquentent et se connaissent à l’intérieur d’un même réseau ou s’ils sont isolés les uns des autres.»

Les chercheurs ont constaté qu’avoir des amis provenant du groupe majoritaire favorise l’intégration identitaire des personnes immigrantes, mais seulement si ces amis se connaissent entre eux et sont interconnectés. «C’est l’idée de constituer un tout cohérent et de former un réseau de soutien efficace et tissé serré», souligne Marina Doucerain. Au contraire, fréquenter des amis québécois dans différents contextes – rencontrer un ami pour jouer au tennis, par exemple, ou prendre son repas avec une collègue de bureau – contribue moins à l’intégration des personnes immigrantes. «Même si ces amis sont issus de la culture dominante, les connections sont disparates. Les normes et les codes sociaux changent d’une rencontre et d’un contexte à l’autre, et c’est déstabilisant, avance la professeure. Il est quand même difficile de tisser des liens forts avec des personnes issues de la culture majoritaire.»

Établir des liens avec sa communauté d’origine: oui, mais pas trop!

S’impliquer dans sa communauté d’origine aide les personnes immigrantes à se sentir plus intégrées. «À condition, cette fois, de ne avoir trop d’amis au sein de cette communauté!», observe Marina Doucerain. Fréquenter intensément les membres de la communauté d’origine est synonyme d’une moins bonne intégration à la culture dominante. «Il faut tisser juste assez de liens avec des membres de notre communauté pour maintenir un sentiment d’appartenance et de sécurité», explique la professeure.

Amitiés et diversité

Développer des amitiés avec des personnes issues d’autres cultures offre d’importants bénéfices. Peu importe, dans un tel cas, si les amis de la culture tierce sont des connaissances ou perçus comme des proches, s’ils sont nombreux ou peu nombreux, et s’ils sont tissés serrés.  «Cette culture tierce joue un rôle crucial, puisqu’elle fait le travail d’intégration à la culture dominante, fait remarquer Marina Doucerain. Elle crée des ponts entre les communautés.»

Parmi les autres aspects importants de l’amitié interculturelle, la chercheuse note la simplicité apparente des liens. «Au sein du groupe d’origine, il peut exister une croyance voulant que les membres se sentant bien intégrés à la culture dominante finissent par délaisser ou renier le groupe au fil du temps, dit Marina Doucerain. Dans le groupe majoritaire, les personnes immigrantes peuvent se sentir non reconnues ou validées dans leur identité québécoise.» Dans la culture tierce, ces enjeux n’existent pas, précise la chercheuse. «Il est facile de s’inventer une nouvelle manière d’être et de développer son identité.»

Marina Doucerain croit que la recherche pourra aider les organismes communautaires à peaufiner leurs programmes de soutien aux personnes immigrantes. «Les équipes d’intervention pourraient s’assurer, en premier lieu, que des liens s’établissent entre les personnes immigrantes et les membres de différentes communautés culturelles, propose la chercheuse. C’est un pont pour créer ensuite d’autres liens avec la culture dominante, par exemple.»

Dans une société multiculturelle comme la nôtre, rappelle la chercheuse, il est important de mieux comprendre comment les personnes issues de l’immigration intègrent leur identité d’origine et l’identité dominante de leur pays d’accueil, comment elles se font des amis et quels types de relations et de réseaux sociaux elles doivent prioriser. «Cela contribue au bien-être de ces personnes tout en favorisant la cohésion sociale au sein de la société d’accueil», exprime-t-elle.

La professeure, qui dirige le Laboratoire culture, identité, et langues (CIEL), lequel vise à mieux comprendre et faciliter les processus sociaux en jeu lorsqu’une personne joint un nouvel environnement culturel ou social, est à la recherche de personnes issues de l’immigration pour prendre part à des études rémunérées en psychologie. On peut consulter ici la liste des projets de recherche.