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Quand la procréation assistée n’a pas fonctionné

Céline Boissonneault donne une voix aux femmes pour qui les traitements se sont avérés infructueux.

Série

Doc en poche

Par Valérie Martin

2 février 2021 à 16 h 02

Mis à jour le 5 février 2021 à 16 h 02

Série Doc en poche

Armés de leur doctorat, les diplômés de l’UQAM sont des vecteurs de changement dans leur domaine respectif.

Céline Boissonneault.Photo: Nathalie St-Pierre

Céline Boissonneault (Ph.D.psychologie, 2020)

Titre de sa thèse: «Lorsque la procréation n’advient pas: vers une compréhension existentielle de l’expérience de femmes ayant fait plusieurs fécondations in vitro desquelles aucun enfant n’est issu»

Direction de recherche: Florence Vinit, professeure au Département de psychologie

Enjeu social: une vie sans enfant

Qu’arrive-t-il aux femmes qui, malgré la procréation assistée, multiplient les échecs et ne réussissent pas à mener une grossesse à terme? Comment vivent-elles le deuil? Comment envisagent-elles l’idée de ne pas devenir mères et de vivre une vie sans enfant? «On voit le côté miraculeux de la procréation médicalement assistée (PMA), mais que se passe-t-il lorsque cela ne fonctionne pas? On entend moins parler des échecs de la PMA et, pourtant, cela existe», relève Céline Boissonneault.

La recherche doctorale de Céline Boissonneault porte sur l’expérience de femmes hétérosexuelles et en couple n’ayant pas eu d’enfants suite à la fécondation in vitro. «Les parcours en fertilité sont souvent longs et difficiles, remarque la psychologue, qui travaille en clinique privée. La plupart des femmes hétérosexuelles qui décident de s’engager dans de tels traitements essaient depuis des années de fonder une famille. Au moment d’entamer leur démarche, elles ont déjà vécu des expériences douloureuses.»

Pour mieux comprendre les expériences de femmes ayant subi des traitements infructueux de PMA, Céline Boissonneault a mené des entretiens auprès de cinq d’entre elles au moment où elles décidaient d’arrêter leurs démarches. «Le fardeau psychologique des traitements est l’un des premiers facteurs d’abandon, précise Céline Boissonneault. Les femmes éprouvent un sentiment d’impuissance et une impression de perte de contrôle. Elles sont vues comme des patientes, même celles dont les conjoints sont infertiles.»

Selon la psychologue, il est important pour ces femmes d’exprimer leur vécu, de mettre en mots leurs expériences, d’être écoutées. «Elles rapportent avoir ressenti beaucoup de solitude et peu d’espace pour parler réellement de ce qu’elles vivaient, relate la psychologue. Même si les choses changent, il y a encore une forme de tabou autour de l’infertilité.»

Malgré l’expertise, l’enthousiasme et la bonne volonté du personnel des cliniques de fertilité, les patientes se sentent souvent bousculées durant leur parcours. «Les travailleuses et travailleurs du domaine sont toujours en mode action. Il y a beaucoup de protocoles et de marches à suivre, le tout déboule assez rapidement, témoigne la chercheuse. Une ponction d’ovules doit se faire à tel moment précis du cycle menstruel, par exemple.» Un tel contexte fait en sorte qu’il n’existe pas de moment où les patientes peuvent discuter avec le personnel si l’expérience s’avère difficile.

Le corps et le rapport au corps constituent des éléments importants du récit des participantes. «Le corps devient un vecteur de parole», constate Céline Boissonneault. Les participantes ont décrit comment leur corps avait été meurtri, la douleur des traitements et les sensations désagréables vécues. «Cette manière de raconter les faits leur permet de parler d’elle sans le faire au je, poursuit la psychologue. C’est moins intime et confrontant.»

«Comme le processus de devenir parent ou de vouloir devenir parent ne se réalise pas, il est presqu’impossible pour ces femmes de se projeter dans le futur. »

Céline Boissonneault,

Psychologue

La démarche en fertilité occupe toute la place dans la vie des femmes suivant des traitements. «La vie devient centrée autour de la quête de l’enfant, observe la psychologue. Le quotidien est figé et très chargé par l’exigence des traitements. Un peu comme si leur vie était mise sur pause.» L’expérience de la PMA amène un rapport particulier au temps. «Comme le processus de devenir parent ou de vouloir devenir parent ne se réalise pas, il est presqu’impossible pour ces femmes de se projeter dans le futur», dit Céline Boissonneault. Le désir d’enfant renvoie également les femmes à revisiter leur passé tout en faisant resurgir des éléments de leur enfance.

Faire le deuil d’une vie avec un enfant (du moins biologique) est une étape importante à franchir. «L’identité féminine est encore fortement liée à l’idée d’avoir des enfants, relève la psychologue. Même si la société évolue, la vie des femmes reste encore orientée vers une vie de famille.» La non-maternité amène les femmes qui vivent cette expérience à s’interroger sur le rôle qu’elles pourraient occuper dans la société. «Leur vécu amène une forme de remaniement autour d’une identité qui se définit par le manque, par le fait de ne pas avoir d’enfant», explique Céline Boissonneault.

Des participantes ont fait le constat que l’échec des traitements, tout en étant une expérience souffrante, s’était avéré un processus transformateur. «Une des participantes, par exemple, a réalisé qu’elle ne souhaitait pas avoir un enfant à tout prix, illustre la psychologue. Son désir répondait davantage aux normes sociales. En participant à la recherche, elle a été capable d’affirmer son choix et d’être entendue.»

Recommandations

Chargée de cours au Département de psychologie, Céline Boissonneault croit qu’il faut aussi donner la parole aux hommes dont les conjointes font l’expérience de la PMA. «Ces derniers sont souvent mis de côté en périnatalité et il y a peu de place pour leur récit, avance la chercheuse. Pourtant, il y a matière à explorer autour du remaniement identitaire et de la notion de paternité.»

La psychologue propose de sensibiliser davantage le personnel des cliniques de fertilité au vécu des patientes et patients. «Il faut leur offrir une écoute plus ouverte et sensible, croit-elle. Certaines cliniques, par exemple, offrent déjà des groupes de soutien.» Les proches doivent aussi faire preuve d’empathie. Enfin, la psychologue recommande un suivi thérapeutique. «Considérant que les traitements de fertilité sont déjà exigeants et prenants, il n’est pas nécessaire de s’engager dans une longue thérapie, précise-t-elle. Mais cette expérience est loin d’être banale. Il faut en parler!»