Série En vert et pour tous
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En ce début des ventes du Vendredi fou (Black Friday), les consommatrices et consommateurs ont peut-être remarqué une étiquette «P65» apposée sur leur nouvel achat. L’étiquette indique que le produit contient des substances chimiques pouvant causer le cancer, des malformations congénitales ou des problèmes de reproduction.
La Proposition 65 est une loi californienne obligeant les entreprises et les manufacturiers de produits de consommation à informer le public de la présence de contaminants chimiques dans les biens de consommation tels que vêtements, jouets, produits électroniques ou articles ménagers. Quelque 900 substances chimiques, dont les effets cancérigènes ou la toxicité pour la reproduction sont reconnus par l’État californien, y sont répertoriées. Parmi le large éventail de produits chimiques naturels et synthétiques de la liste, on compte des solvants, des teintures et des pesticides. «La P65 permet au public de s’informer du risque d’exposition aux produits chimiques et de faire des choix éclairés en matière de biens de consommation», explique le professeur du Département des sciences biologiques Jonathan Verreault.
Selon la professeure du Département de marketing Elisabeth Robinot, une spécialiste des comportements de consommation, ces étiquettes permettent de sensibiliser les personnes les plus réfractaires ou peu familières avec ce genre de risque. «Les étiquettes peuvent amener une prise de conscience, dit-elle. L’achat du produit se fait alors en toute connaissance de cause.»
Le hic, c’est que l’étiquette P65 ne précise pas, dans la majeure partie des cas, quelles sont les substances chimiques entrant dans la fabrication du bien de consommation ni en quelles concentrations ces substances s’y trouvent. «Une entreprise a l’obligation d’apposer une étiquette d’avertissement quand les concentrations des composés chimiques dépassent un certain seuil de toxicité connu ou prédit», précise Jonathan Verreault. Il n’y a toutefois pas de seuil établi pour la majorité des substances chimiques reconnues comme étant cancérigènes ou potentiellement cancérigènes, reconnaît le chercheur. «Les seuils d’exposition sont, la plupart du temps, difficiles à déterminer; il y a donc une sorte de zone grise quant à ces niveaux.»
Les seuils peuvent aussi varier en fonction du public auquel s’adresse le produit de consommation et de la fréquence à laquelle les personnes sont exposées. «Dans le cas d’un jeune enfant ou d’une femme enceinte, par exemple, le risque est réel même si la concentration est faible», poursuit le chercheur. De même, le risque augmente lorsqu’on fait un usage quotidien d’un produit contenant des substances chimiques potentiellement cancérigènes.
Un bien de consommation qui contient plusieurs produits chimiques est également plus dangereux qu’un autre qui n’en contient qu’un seul (même si cela est plutôt rare). «Le danger vient principalement du fait que nous nous retrouvons face à un cocktail de produits chimiques dans l’air que nous respirons, dans les aliments que nous mangeons et dans l’eau que nous buvons», souligne le professeur.
Jonathan Verreault s’intéresse en particulier aux retardateurs de flammes, ces composés ajoutés à plusieurs produits de consommation afin de retarder la propagation des flammes lors d’un incendie. On retrouve ces composés nocifs pour la santé et l’environnement dans les meubles rembourrés, les appareils électriques et les matériaux de construction, entre autres. La Californie, encore une fois, a adopté une loi, la loi TB-117-2013, qui rend obligatoire l’étiquetage des produits de consommation pour indiquer ceux qui contiennent des retardateurs de flammes et ceux qui n’en contiennent pas.
Une fatigue environnementale
De nombreux détracteurs de la P65 reprochent à l’État de Californie d’apposer des étiquettes un peu partout, des boutiques aux restaurants, en passant par les parcs d’attraction et les musées, sans tenir compte du risque véritable d’exposition. Au musée Getty de Los Angeles, une étiquette P65 avertissait le public, en 2011, des risques pour la santé humaine d’une sculpture en plomb, alors que le seul danger véritable pour l’humain serait de consommer un morceau de la sculpture comme repas… Devant une telle surenchère, existe-il un risque de devenir collectivement blasés? «Oui, constate Élisabeth Robinot. Les gens peuvent s’habituer à voir ces étiquettes et devenir insensibles à la cause environnementale. À trop agiter le drapeau rouge, on développe des mécanismes de protection pour ne pas angoisser. On ne peut être responsable des changements climatiques tous les jours.» Les étiquettes doivent rester informatives et sensibiliser sans tomber dans la culpabilisation, sinon cela dessert la cause, croit celle qui est aussi membre chercheuse de l’Observatoire de la consommation responsable (OCR) ESG UQAM.
Bannir un composé… pour le remplacer par un autre, tout aussi dangereux!
Au fil des années – la P65 a vu le jour en 1986 – les fabricants de biens de consommation ont appris à contourner les règles et à remplacer les substances chimiques bannies par d’autres produits chimiques… parfois tout aussi dangereux! «Lorsqu’une substance chimique est bannie ou régulée, l’industrie réagit en proposant une solution», explique Jonathan Verreault. Et que propose-t-elle? Il faut savoir que chaque substance chimique possède une identité unique, aussi appelée Chemical Identification Number. En faisant une petite modification à la molécule, le tour est joué: on a affaire à une nouvelle substance qui portera un autre numéro d’identification! «C’est une manière simple et peu coûteuse de remplacer un produit chimique par un autre, même si les impacts toxicologiques chez les humains et les animaux restent parfois les mêmes», déplore le chercheur. Le cas a été observé pour le bisphénol A (BPA), un produit utilisé dans la fabrication du plastique reconnu comme un perturbateur endocrinien et jadis présent dans les biberons. Ce dernier a été remplacé par des composés alternatifs tels que le bisphénol S (BPS)… «Il existe encore aujourd’hui plusieurs types de bisphénols», souligne Jonathan Verreault.
Pour remédier à la situation, selon le professeur, il faudrait bannir les grandes classes de composés chimiques dangereux – les surfactants fluorés, les retardateurs de flammes, etc. –, au lieu des composés individuels. «On éviterait ainsi de réaliser de longues études coûteuses au cas par cas, qui doivent être refaites chaque fois qu’une nouvelle molécule en remplace une autre pour la même application.»
À quand des produits écoresponsables?
Hélas, l’étiquetage des biens de consommation n’est pas obligatoire au Canada, comme c’est le cas en Californie. Il est presque impossible de savoir si les produits de consommation que nous achetons contiennent des produits chimiques. Selon Jonathan Verreault, le Canada devrait adopter des lois plus agressives par rapport à l’obligation d’étiquetage des produits de consommation qui entrent au pays pour avoir un meilleur contrôle. «Mais on ne peut pas, bien sûr, exiger du manufacturier étranger de nous dévoiler sa liste de produits chimiques, car cela relève normalement du secret industriel», dit le professeur.
En Europe, tous les produits électroménagers possèdent une étiquette, remarque Élisabeth Robinot. En France, il existe un système pour mesurer la consommation énergétique des appareils électroménagers. À l’épicerie, les aliments sont classés en fonction de leur valeur nutritionnelle. «Les biscuits pour enfants, des gâteries bourrées de sucre et d’huile de palme, affichent un code rouge», illustre Elisabeth Robinot. Selon la professeure, le code couleur sensibilise les parents «à trouver de meilleurs produits, si cela est possible, ou à réfléchir à des alternatives plus saines».
«L’Union européenne fait en sorte qu’il revient aux fabricants de démontrer l’innocuité de leurs produits», renchérit Jonathan Verreault. L’Union européenne fonctionne beaucoup plus en fonction du principe de précaution, ajoute le chercheur.
Pourquoi ne fabrique-t-on pas des produits plus écoresponsables? C’est une question de coût, relève Jonathan Verreault. On sait aujourd’hui que les retardateurs de flamme n’ont pas d’effet réel par rapport au ralentissement de la propagation de la flamme, en plus de générer des gaz toxiques lorsqu’il y a combustion. Pourtant, certaines compagnies de meubles continuent de les utiliser. «L’industrie est capable de faire de l’écoconception, dit le professeur. Il existe des textiles naturels qui agissent comme une barrière contre le feu et qui peuvent être inclus dans la fabrication des meubles rembourrés.» Cela suppose toutefois des coûts plus élevés de fabrication.
Le Canada accuse un retard important par rapport à l’Europe, ou même à la Californie, en matière de lois environnementales. À titre d’exemple, l’Union européenne a interdit l’été dernier les produits de plastique à usage unique, comme les pailles, les couverts et assiettes et les cotons-tiges, lesquels représentent 70% des déchets trouvés dans les mers et sur les plages aux quatre coins de la planète. À Montréal, la loi sera en vigueur au début de 2023. «Les choses sont appelées à changer, croit Élisabeth Robinot. Avec ce qui se passe en Colombie-Britannique, le dôme de chaleur de l’été suivi des inondations que l’on connaît présentement, le tout en contexte mondial de pandémie, nous commençons à vivre les conséquences des changements climatiques, et l’environnement est davantage à l’avant-scène.»