
Les sites d’enfouissement de la grande région métropolitaine constituent la principale source d’exposition aux retardateurs de flamme pour les goélands. L’air qu’ils y respirent est rempli de poussières contaminées. Voilà l’étonnante conclusion à laquelle est parvenue l’équipe du professeur du Département des sciences biologiques Jonathan Verreault après des années d’investigations minutieuses.
Un article faisant état de ces résultats a été publié l’an dernier dans Environmental International, l’une des plus prestigieuses revues en sciences de l’environnement. Sa première autrice est la diplômée Manon Sorais (Ph.D. biologie, 2020). L’article est cosigné par les professeurs Marc J. Mazerolle (Université Laval), Jean-François Giroux (UQAM) et Jonathan Verreault.
Omnivores et opportunistes
Il y a quelques années, Jonathan Verreault et son équipe avaient émis l’hypothèse que les goélands étaient principalement exposés aux retardateurs de flamme sur leur lieu de nidification, l’île Deslauriers, située entre Montréal et Varennes. Cette île abrite sur un site d’environ un kilomètre carré plus de 50 000 couples, soit la plus grosse colonie de goélands à bec cerclé au Québec, et l’une des plus importantes en Amérique du Nord.
Cela était plausible, car l’île se trouve dans le panache de l’effluent de la station d’épuration des eaux usées de la Ville de Montréal, un point d’émission connu et documenté de retardateurs de flamme. «Tous les modèles en écotoxicologie prédisent que l’alimentation est le vecteur d’exposition principal aux contaminants chez les espèces sauvages», rappelle Jonathan Verreault, qui est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en toxicologie comparée des espèces aviaires et membre du Groupe de recherche en toxicologie de l’environnement (TOXEN).
Or, en munissant une soixantaine de goélands d’une balise GPS, on s’est aperçu que plusieurs d’entre eux ne se contentent pas de dénicher des aliments à proximité de leur nid: ils parcourent des kilomètres pour se nourrir. On les retrouve ainsi sur les terres agricoles ainsi que dans les parcs urbains, les cours arrière de restaurants et les dépotoirs. «Ce sont des oiseaux omnivores et opportunistes, explique le chercheur. Ils peuvent manger aussi bien des poissons et des larves que des petits animaux ou des restes de nourriture humaine. S’ils trouvent un endroit qui leur assure un approvisionnement constant, ils l’adoptent. Et c’est le cas des dépotoirs qui, malgré la collecte des matières compostables, regorgent encore de restants de table.»
L’analyse des tissus des goélands a révélé que ceux qui fréquentent les sites d’enfouissement présentent plus de contaminants que les autres, ce qui a soulevé des interrogations chez les chercheurs. «Si l’alimentation est en cause, et plus spécifiquement les restes de nourriture humaine, pourquoi les goélands qui se nourrissent dans les poubelles des parcs ou les cours arrière des restaurants ne présentent-ils pas les mêmes taux de contamination?», demande Jonathan Verreault. C’est à ce moment que les chercheurs ont délaissé l’hypothèse de l’alimentation pour se tourner vers la piste de la qualité de l’air des dépotoirs.
Un petit sac à dos
Les dépotoirs sont remplis de produits de consommation usés contenant des retardateurs de flamme, comme des meubles rembourrés, des produits électroniques, des déchets de l’industrie automobile et des matériaux isolants. «Ces rebus compactés génèrent de la poussière qui est inhalée par les goélands ou qui adhère à leur plumage. Quand ils se nettoient, ils ingèrent les substances toxiques», explique Jonathan Verreault.
Avec son ancien collègue Ricardo Izquierdo (aujourd’hui professeur à l’ÉTS), le chercheur et son équipe ont développé un dispositif faisant office d’échantillonneur passif d’air, qu’ils ont fixé sur le dos des goélands, comme un petit sac à dos. «Avec ce dispositif et la balise GPS, nous avons été en mesure de confirmer que les goélands qui passent plus de temps dans les dépotoirs sont exposés à de plus fortes concentrations de contaminants comme les retardateurs de flamme», souligne-t-il.
La signature des contaminants dans l’échantillonneur d’air ressemble à la signature tissulaire dans le plasma et le foie des goélands ayant fréquenté les dépotoirs, mais l’équipe ne peut établir un lien direct entre les deux observations pour le moment. «Tous les contaminants que l’on ingère ou que l’on inhale se retrouvent dans notre organisme, mais ils peuvent subir de multiples transformations, au contact de nos enzymes, par exemple, explique le professeur. Voilà pourquoi nous ne pouvons établir une corrélation directe.»
L’équipe de Jonathan Verreault ne conteste pas les modèles prédictifs en écotoxicologie se basant sur l’alimentation comme principal vecteur d’exposition aux contaminants. Elle vient plutôt les bonifier. «Nous démontrons qu’en plus de l’alimentation, les modèles doivent inclure l’inhalation de poussières contaminées dans certains milieux urbains», précise-t-il.
Les suites du projet
La doctorante Anaïs Kerric poursuit le travail avec le professeur Verreault en s’intéressant cette fois aux sources et à la distribution spatiale des retardateurs de flamme au sein des dépotoirs de la région de Montréal.
Les données recueillies pourraient soulever des enjeux en lien avec la santé des travailleurs des dépotoirs. «Contrairement aux goélands qui y transitent quelques minutes par jour, les travailleurs passent des heures dans les sites d’enfouissement et ils sont ainsi exposés à plusieurs contaminants», note le chercheur. Un dossier à suivre!