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Contrer la coercition reproductive

Sylvie Lévesque et Catherine Rousseau ont conçu deux brochures informatives sur ce phénomène méconnu.

Par Pierre-Etienne Caza

3 juin 2021 à 9 h 06

Mis à jour le 4 juin 2021 à 13 h 06

«La coercition reproductive réfère à des comportements qui interfèrent avec la contraception et la planification des naissances et réduisent l’autonomie des femmes», explique Sylvie Lévesque.Image tirée de la brochure «Mon corps, mes choix…»

Après avoir rencontré une vingtaine de jeunes femmes rapportant avoir vécu de la coercition reproductive et discuté avec plusieurs intervenantes œuvrant dans des cliniques d’avortement ou des centres venant en aide aux femmes victimes de violence conjugale, la professeure du Département de sexologie Sylvie Lévesque et la doctorante Catherine Rousseau (M.A. sexologie, 2019) ont produit deux brochures informatives sur le sujet à l’intention du personnel du réseau de la santé. Ces outils ont été élaborés en collaboration avec l’Institut national de santé publique du Québec et la Fédération du Québec pour le planning des naissances, avec le soutien financier du Secrétariat à la condition féminine. 

«La coercition reproductive réfère à des comportements qui interfèrent avec la contraception et la planification des naissances et réduisent l’autonomie des femmes, explique Sylvie Lévesque. La relation sexuelle est consentie, mais pas le fait qu’elle ne soit pas protégée.» Un partenaire qui met de la pression pour que sa conjointe arrête de prendre la pilule et tombe enceinte, qui jette à son insu ses pilules, qui l’empêche d’avoir accès à la contraception orale d’urgence ou qui refuse d’utiliser un condom constituent des exemples de coercition reproductive. 

Lorsque Sylvie Lévesque et Catherine Rousseau ont amorcé un projet de recherche financé par le FRQSC pour tenter de mieux comprendre le phénomème, en 2016, le concept était encore peu documenté au Québec. «Pourtant, les études réalisées aux États-Unis auprès de jeunes femmes indiquaient des taux élevés de prévalence: près d’une sur six rapportait avoir subi du sabotage contraceptif alors qu’une sur cinq indiquait avoir été victime de coercition quant à l’issue de sa grossesse», souligne la professeure.

Leur étude, qui a donné lieu à deux articles scientifiques et un chapitre dans un livre sur les violences sexuelles à paraître cet été aux Presses de l’Université du Québec, démontrait une méconnaissance de la problématique de la coercition reproductive chez les professionnels du réseau de la santé et du réseau communautaire. «Nous avons créé les deux brochures pour répondre à leurs besoins, pour les outiller lorsqu’ils et elles font face à une situation impliquant de la coercition reproductive», précise la professeure.

«L’objectif est de pouvoir aborder le sujet sans gêne et sans malaise. On peut ensuite, au besoin, référer ces femmes vers les bonnes ressources.»

Sylvie Lévesque

Professeure au Département de sexologie

La brochure destinée aux professionnels de la santé et aux intervenants comporte une quarantaine de pages. On y explique ce qu’est la coercition reproductive et quels sont les indicateurs à surveiller chez les femmes qu’ils soupçonnent de vivre une telle situation. On y suggère également des questions à poser, sous forme d’arbre décisionnel. «L’objectif est de pouvoir aborder le sujet sans gêne et sans malaise, note Sylvie Lévesque. On peut ensuite, au besoin, référer ces femmes vers les bonnes ressources.»

Les autrices suggèrent de remettre la deuxième brochure à toutes les femmes soupçonnées de vivre de la coercition reproductive. «Cette brochure plus discrète a pour objectif d’amener les femmes à réfléchir à leur relation de couple, précise Sylvie Lévesque. Est-ce une relation saine? Est-ce que je m’y sens bien? En sécurité? Est-ce que j’ai du pouvoir sur la protection utilisée? Faut-il chaque fois que je négocie pour avoir une relation sexuelle protégée? Est-ce que je me fais manipuler?»

Un nouveau projet

Le principal obstacle dans la méconnaissance de la coercition reproductive est la fausse perception, chez les professionnels et les intervenants, qu’ils vont heurter les femmes et les contrarier en leur posant des questions sur le sujet, note Sylvie Lévesque. «Ce n’est pas le cas, bien au contraire. Les femmes n’y sont pas réfractaires, car cela leur donne un espace pour aborder la question en toute légitimité, même si elles n’en ressentent pas nécessairement le besoin sur le coup. Aux États-Unis, les études ont démontré que les interventions brèves, de quatre ou cinq minutes, peuvent avoir un effet positif sur le dévoilement de situations de coercition reproductive et sur les mesures de sécurité qui peuvent être mises en place.»

Méconnue il y a quelques années, la coercition reproductive sort de l’ombre grâce au travail de chercheuses comme Sylvie Lévesque et Catherine Rousseau. Et le travail n’est pas terminé: en collaboration avec des collègues québécois et canadiens, elles amorcent un nouveau projet de recherche financé par le CRSH. «Nous souhaitons inclure dans nos analyses l’influence des membres de la famille ou de la belle-famille, des entraîneurs –pour les athlètes professionnelles – et des institutions sur la coercition reproductive, précise la chercheuse. Un projet de web documentaire est aussi au programme.» À suivre ! 

L’interférence contraceptive

Toutes les formes sévères de coercition dans l’intention de contrôler la trajectoire reproductive de la partenaire surviennent dans des contextes où il y a d’autres formes de violences, précise Sylvie Lévesque, mais il y a un comportement particulier qui a attiré l’attention des chercheuses lors de leur étude. 

Elles ont découvert une pratique dont on parle très peu dans la littérature scientifique: le stealthing, ou interférence contraceptive. «Il s’agit du retrait non consensuel du condom, qui survient surtout lors des relations éphémères, explique Sylvie Lévesque. Puisqu’il n’y a pas de dynamique relationnelle, il ne s’agit pas nécessairement d’un contexte de violence et cela passe souvent sous silence.» 

Les femmes qui s’aperçoivent du retrait du condom (ce n’est pas toujours le cas) ne perçoivent pas une intention de contrôler leur trajectoire reproductive – elles estiment que leur partenaire a simplement voulu maximiser son plaisir. «La résultante est toutefois la même, car la femme s’expose à des infections transmissibles sexuellement et au risque d’une grossesse non désirée, note la professeure. Les femmes qui ont vécu du stealthing sont secouées: elles se sentent coupables de s’être fait duper et savent qu’on leur reprochera une certaine frivolité si elles en parlent. Mais elles ne sont coupables de rien. Elles ont consenti à une relation sexuelle qui ne s’est pas déroulée comme prévu.»

Mieux documenter le phénomène d’interférence contraceptive constitue le projet doctoral de Catherine Rousseau, qui est boursière du FRQSC.